Jouer avec les matériaux : les collages

Anne Mauffette

  1. Jouer avec les formes et les couleurs
  2. Il y a plusieurs années, j’avais suivi un atelier avec Dominique Carreau1. Une des activités qu’elle avait proposées était de préparer des morceaux de carton en lanières, en cercles, carrés, rectangles, triangles, hexagones… et formes irrégulières. Bien sûr on peut impliquer les enfants dans les découpages préparatifs mais comme il en faut une bonne quantité, il faut en faire nous-mêmes.

    Les enfants allaient piger les formes qui leur permettraient de représenter ce qu’ils avaient envie de représenter. Je les laissais d’abord jouer avec les formes puis leur offrais de la colle. Je l’ai expérimenté avec des enfants de 3, 4 et 5 ans. Voici quelques-unes de leurs productions.





    On pourrait aussi le faire avec des tissus unis et imprimés.

  3. Jouer avec les matériaux

  4. On pourrait aussi arranger des éléments attirants dans de petits plateaux (en ce moment de confinement) ou dans des plus grands à partager (plus tard) en se centrant sur une couleur principale et les offrir aux enfants pour qu’ils fassent des compositions.

    C’est le livre Materia : tra percepzioni tattili e visive2 (La matière : entre perceptions tactiles et visuelles) en italien seulement, de Reggio Children qui m’en a donné l’idée. Les enfants ont été exposés à des variations monochromatiques.


    En confinement, j’ai dû me contenter de ce que j’avais dans la maison :
    alors j’ai inventorié ma boîte à couture et mes réserves.



    On pourrait y retrouver différents types et épaisseurs de cartons (ondulé ou non, rugueux et lisses), des morceaux d’emballage, des filets, des gommettes, des rubans et tissus, des morceaux d’acétates de couleurs, du papier d’origami, du velcro, des papiers brillants (emballages de bonbons et chocolats), des formes en plastique, du ruban gommé de couleur, des perles, des plumes, des boutons, etc. Les enfants y choisiront ce qui les inspire.

    Mais avant d’offrir la colle :
    • On les laissera d’abord toucher aux matériaux. Quelles associations font-ils ? « Le rouge, ça me fait pense à Noël ». Quelles caractéristiques remarquent-ils : « Celui-ci est plus léger, plus épais, plus transparent, brillant ». « Il danse quand je souffle. »
    • Ensuite on pourra leur proposer de faire des arrangements directement sur la table : on prendra des photos du processus et des résultats changeants, car les enfants vont sans doute modifier plusieurs fois l’organisation des matériaux dans l’espace pour en arriver à une forme globale qui leur plaise.
    • Puis on pourrait leur offrir un fond : des cartons, des morceaux de tissus (feutre ou autre) qu’ils pourront utiliser comme tels ou les découper pour faire une autre forme sur laquelle ils pourront arranger leurs compositions. On pourrait aussi choisir de leur donner une forme particulière déjà découpée. Si tous les enfants ont tendance à faire des rectangles par exemple, on pourra proposer un cercle ou un ovale pour observer les différences dans les agencements.
    • Puis lorsque les enfants seront satisfaits de leur œuvre on pourra enfin offrir de la colle. En plus d’être un exercice visuomoteur, il s’agit aussi d’un exercice esthétique et d’expression.


  5. Un exemple avec le projet à l’occasion d’une exposition
  6. Voici une réalisation par un enfant des écoles préscolaires de Reggio Emilia. Il s’agit d’un des résultats d’un projet, à long terme, entrepris avec des enfants sur les tons de blanc.

    • Au préalable
    • À l’occasion d’une exposition de Alberto Burri, au lieu de montrer aux enfants les œuvres de cet artiste et de leur demander de faire « à la manière de », ils ont fait la démarche contraire.

      Ils ont d’abord prévu du matériel dans les teintes de certaines de ses œuvres qu’ils ont proposé aux enfants. Ils ont amené les enfants à explorer l’éventail des blancs, à la fois avec la peinture et avec du petit matériel. Le travail s’est fait principalement en groupes de trois.

      Il s’agit d’une sorte de provocation pour stimuler leurs perceptions visuelles, tactiles et même olfactives, leur sensibilité et leur imagination et pour développer un regard aiguisé, une attention aux nuances et à la couleur dans l’espace. Une recherche sur les sortes de blancs dans l’environnement. « Il y a des blancs partout ! »

      La documentation présentée dans Materai nous permet de suivre les enfants dans leur enquête.

      Les enfants ont d’abord longuement manipulé, interagi avec du matériel très varié, auquel on a ajouté des éléments au fur et à mesure des explorations et des demandes des enfants. Ceux-ci ont aussi amené des objets de la maison.

      Les enseignantes notaient ce que le matériel leur disait, ce qu’ils disaient du matériel, les analogies qu’ils faisaient : comme un dialogue entre les enfants et les matériaux. Les enfants avaient besoin de toucher le matériel pour en découvrir l’identité (sa flexibilité par exemple) et les usages possibles.

      Au début les enfants ont commencé en faisant des oppositions : plus blancs, moins blancs. Puis ils ont nommé les matériaux et fait des catégories : blanc argenté, blanc transparent, blanc neige, blanc lumière, blanc chinois, vieux blanc. L’idée de « composition » est venue d’une petite fille et ce terme a tout de suite été adopté par les groupes. « Évidemment, c’est un dessin abstrait » dit un autre. Les enfants se sont attardés à différents aspects de la composition.

    • L’espace et la forme
    • Dans leurs premiers essais les enfants ont commencé par le tour, les angles, puis se sont intéressés au centre. La chose considérée la plus belle allait au centre. Ils semblaient rechercher par des jeux de symétrie et d’asymétrie une rigueur esthétique, un ordre où chaque chose semble avoir sa propre place.

      Après avoir travaillé sur des tables, les enfants ont senti le besoin de créer un contexte pour leurs compositions. Les enseignantes ont proposé des tissus de coton, des matériaux synthétiques, etc.

      Après le rectangle et le carré, le cercle a exigé une nouvelle organisation des différentes pièces et d’ajouter des éléments. Les enfants ont voulu par exemple des cercles plus petits à l’intérieur du grand cercle.

      Une autre stratégie utilisée par les enfants était celle de la ligne, avec de la corde, par exemple. Pour que la composition ne se modifie pas, ils ont senti le besoin d’utiliser du ruban gommé pour fixer certains éléments en place. Une petite fille a cousu un morceau de dentelle.

      Plusieurs enfants disposaient les matériaux de manière symétrique ce qui donnait une impression d’équilibre grâce à l’alignement et l’alternance. Ils cherchaient des formes qui se prêtaient à la répétition. Ils imposaient un rythme aux éléments.

      Si la composition devenait trop encombrée aux yeux d’un des créateurs (« C’est confus », « Il y en a trop », « On ne voit plus rien », « Il faut faire de la place »), ils discutaient et décidaient quelles pièces retirer.

    • La composition
    • Les enfants voulaient faire de belles formes, « quelque chose qui n’existe pas ». Leur concept d’une composition a été résumé ainsi : une forme faite d’un ensemble de formes. Et la forme est suggérée par le matériel. « Ce sont différentes choses, un peu spéciales qui sont toutes éparses et font une forme abstraite ».

      La composition a des composantes mathématiques : forme, mesure, quantité, séquences.

    • Le matériel
    • Le matériel a des qualités différentes : souplesse, aspect brillant (etc.) et même des spécificités sonores.

      Les enfants en jouent avec fluidité, mettent ensemble des choses qui nous étonnent et ont des processus de catégorisation de similitudes et différence auxquelles un adulte n’aurait pas pensé.

    • La beauté
    • Les enfants ont demandé d’avoir des choses petites et précieuses qui amènent à penser la composition comme quelque chose de raffiné : des perles, de l’or, de l’argent. Ils évoquaient la joaillerie, les vêtements de fête.

      Quand les enfants reconnaissaient la beauté de quelque chose, ils empruntaient la technique, les gestes, les motifs qui les avaient intéressés et les incorporaient dans leurs propres œuvres. Il y avait souvent contagion.

      Le projet s’est terminé avec une œuvre collective. Les enfants ont discuté de la grandeur : « il faudrait qu’elle soit grande et belle ». Ils se sont demandé où elle irait. La décision de la mettre à la verticale sur un mur leur a posé toutes sortes de problèmes. Ils étaient préoccupés par la solidité (comment faire tenir les éléments) et la pérennité de leur œuvre. Ils ont fini par décider de joindre sur une toile des compositions plus petites. Des compositions dans la composition. Les enfants ont choisi un matériau prévalent : la corde qui donna naissance à des gestes et des formes droites ou sinueuses. Cela a donné un effet d’ensemble, tout en restant très diversifié. Certains, par exemple, ont expérimenté toutes les possibilités du carton, explorant sa flexibilité, sa transparence, sa résistance à travers une articulation de gestes (enroulement, etc.). Le dévoilement s’est fait dans les formes de l’art : les enfants ont mis une toile devant la toile, tenue par deux enfants puis relâchée pour être révélée aux parents. Pour cette fête, ils avaient confectionné pour leurs parents des gâteaux au chocolat… blanc.

      Quand les enfants iront finalement voir l’exposition de Burri, leur première réaction sera : « Il fait comme nous ». Les enseignantes ont pu constater l’affinement de leurs habiletés perceptives et leur analyse plus approfondie des tableaux : conscience des lignes, du pourtour, des couleurs, des textures et leurs judicieux commentaires.


  7. Jouer avec les éléments de la nature


  8. On peut aussi proposer des objets trouvés dans la nature.

    Des mariés

    Mais ça, c’est une autre histoire.


Anne Gillain Mauffette juin 2020

1 Chargée de cours à l’UQAM, spécialiste en arts plastiques, de tous les groupes d’âge, de la petite enfance et du primaire. Auteure et personne-ressource: http://dominiquecarreau.com/

2Autori : le bambini della sezione C , Scuola Communale dell’infanzia ( 2001-2002) : Materia : tra percepzioni tattili e visive. Ideazione e conduizione dela progetto : Barbara Quini ; Insegnati : Cristina Beggi, Elena Cote; Progettazione grafica : Barbara Quinti; Consulenza pedagoica : Claudia Giudici

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