lundi 25 avril 2022

Un curriculum émergent, cela a l’air de quoi? Un exemple

 


Par Anne Mauffette

C’est quoi un curriculum émergent? Grosso modo : C’est un curriculum qui s’adapte aux enfants et non l’inverse.

Voir l’article précédent : Qu’est-ce qu’un curriculum émergent https://jeulibrequebec.blogspot.com/2022/04/quest-ce-quun-curriculum-emergent.html

En voici un exemple. Naissance d’un projet sur les araignées

Photo ©Catherine Bocher
 

L’enseignante avait planifié le sujet d’une causerie.

 Mais des enfants ont trouvé une toile d’araignée dans la cour. Ils sont très excités et observent l’araignée tout en commentant haut et fort leurs impressions, ce qui attire les autres enfants. Certains ont peur («il faut la tuer, c’est dangereux») d’autres s’opposent. L’éducatrice/enseignante rassure les enfants craintifs. (Il n’y a pas d’araignées dangereuses au Québec). Les araignées sont très utiles, il faut les protéger.

Les enfants demandent à l’éducatrice/enseignante de prendre une photo. Elle leur suggère plutôt de dessiner ce qu’ils voient et les enfants courent chercher des planchettes et s’empressent de le faire (certains n’étant pourtant pas très portés sur le dessin). Elle encourage les enfants à observer.

En rentrant, l’éducatrice/enseignante aurait pu simplement laisser l’histoire de l’araignée et poursuivre son idée initiale. Mais elle décide de profiter de l’intérêt manifesté par les enfants y voyant une source de multiples apprentissages.

Elle invite ceux-ci à partager et commenter leurs dessins et observations. Elle les interroge sur ce qu’ils savent des araignées.

Ils disent qu’elles tissent des toiles (elles n’en font pas toutes, certaines préférant chasser), sont des insectes (ce qu’elles ne sont pas), qu’elles peuvent piquer. Une dit qu’elle aime les toiles d’araignées  parce qu’elles attrapent les moustiques pour qu’ils ne la piquent pas. Que les toiles d’araignées  ne peuvent pas vous faire de mal, elles servent à attraper des insectes. Ils débordent d’histoires d’araignée dans la salle de bains et autres situations où ils en ont rencontrées.

Photo tirée de l’article de la NAEYC


 





L’éducatrice/ enseignante consigne les dires des enfants et envoie un courriel aux parents leur indiquant ce nouvel intérêt des enfants.

 

Le lendemain, les enfants sont de nouveau à la recherche d’autres toiles d’araignées et en trouvent une autre.

Ils ont toutes sortes de questions: est-ce qu’elles dorment la nuit? Comment elles font pour marcher au plafond?, etc.

 

L’éducatrice leur demande comment ils pourraient trouver des réponses à leurs questions.

 

 L’éducatrice/enseignante apporte des livres sur les araignées de la bibliothèque. Des documentaires mais aussi des histoires d’araignées.

Les enfants apprennent, entre autres, que ce ne sont pas des insectes mais des arachnides. « C’est comme arachide!». (phonologie)

 

L’éducatrice/enseignante en parle aussi dans son réseau

Une conversation avec une voisine fait que celle-ci donne à la classe une tarentule ce qui motive encore plus les enfants dans leurs recherches.

Les parents, mis au courant, se mettent à parler d’araignées avec leurs enfants et à leur lire des livres sur le sujet.

 

L’éducatrice/enseignante modifie son environnement et ajoute des éléments.

Elle place à côté du terrarium des loupes, planchettes avec du papier et des marqueurs.

 

Les enfants se posent toutes sortes d’autres questions : est-ce que c’est un garçon ou une fille? D’où vient-elle?

 

L’éducatrice/enseignante a aussi placé des photos de différentes sortes d’araignées et de toiles. Les enfants comparent la tarentule aux autres.

Un enfant a apporté une araignée en plastique et celle-ci a été ajoutée à côté du terrarium. « Ça lui fait une amie» dit un enfant.

 La construction de savoir chez les enfants devient évidente : ils ajoutent dans leurs dessins des sacs à œufs, des yeux multiples (elles peuvent en avoir de deux à huit), ils comptent les pattes (huit) et les comparent les araignées aux insectes trouvés sur la cour.

Ils demandent comment on écrit tarentule, sac d’œufs, filière (pour la soie). Les enfants veulent écrire parce que c’est signifiant pour eux. La recherche scientifique, les mathématiques, le vocabulaire et l’apprentissage de l’écrit, trouvent naturellement leur place dans le cadre de cette investigation.

Ils intègrent le sujet des araignées dans leurs jeux : ils marchent sur des troncs et montent sur les structures de jeux « comme des araignées».

Photos Buffalo Zoo



Après leur «chasses» initiales aux araignées, ils ont aussi pris des photos pour tenter de mieux les identifier dans les livres et sur internet. Ils ont regardé un vidéo de la naissance des bébés araignées qui sortent de leur cocon.

 Ils en cherchent et en trouvent partout (avec leurs parents aussi) au parc, au zoo etc.

Photos Buffalo Zoo


Les enfants apportent des roches, des morceaux de bois pour faire es cachettes et des maisons aux araignées.

Ils les représentent avec de la glaise, du fil de fer, du carton etc.

Photo Garden Gate Development Center








 Mais l’éducatrice enseignante se rend compte que ce qui intéresse le plus les enfants c’est les toiles.

Elle met à leur disposition toutes sortes de matériaux.

Même s’ils savent maintenant que les toiles peuvent avoir différentes formes (triangulaire, en carré, en forme de hamac, en dôme, en entonnoir), c’est la forme circulaire qui les captive.

Les enfants peuvent en représenter de différentes façons : craie, marqueurs, peinture, blocs Légos, ruban cache, laine,  etc.

                    Photo Buffalo Zoo                                        Photo Garden Gate Development Center



3 Photos École Saint Sauveur                                          Photo Thames Tiddler Nursery

 

 Une provocation.

Une araignée sur un rétroprojecteur

 Dans le local d’arts plastiques quand les enfants entrent, il y a une toile d’araignée qui est projetée au sol. Les enfants se demandent comment cela est possible et hésitent à toucher cette ombre au sol. Les enfants découvrent la source de la lumière. Sur le rétroprojecteur est placée une photo d’une araignée.

Les enfants explorent l’équipement et découvrent que  quand ils font bouger l’araignée, elle  bouge au sol. Certains enfants hésitent à toucher l’ombre araignée. D’autres demandent s’ils peuvent dessiner l’araignée dans sa toile.

 L’animatrice qui a anticipé cette possibilité a préparé une grande feuille et les enfants s’installent sur la feuille et se mettent à tracer l’ombre.

Une tangente

 Plus tard, un enfant fait remarquer que c’est difficile de se rappeler où elles sont sur la cour. Cela donne a un petit groupe l’occasion d’apprendre à faire des cartes. Ils représentent la cour y indiquent les emplacements et  font une légende.


 Comme ce n’est pas tous les enfants qui s’intéressent à la conception de cartes, l’éducatrice/ enseignante propose aux enfants de former un Club des Insectes. Là, tous embarquent. Ils se fabriquent un insigne (une simple carte avec une ficelle) où ils dessinent leur insecte préféré et y écrivent leur nom. Ils ont un petit cahier avec leur photo et leur nom  (Le journal du club des insectes) sur lequel ils peuvent dessiner les insectes vus et noter leurs observations, des nouveaux mots, etc.

L’enquête s’élargit.

«Celui-ci a six pattes.»  Photo Buffalo Zoo



Photo Garden Gate Development Centre



Un ver de terre est-ce que c’est un insecte?


  



 « Il a des ailes, il est différent». Photo Buffalo Zoo

 

Et les fourmis aussi ont été suivies dans leurs déplacements : « Regarde, elles transportent  de la nourriture!»

 Les enfants représentent les insectes dans leurs dessins, peintures, collages, etc




Photo©Dominique Carreau



Ils apportent des toutous en classe : coccinelles et même un tamanoir mangeur de fourmis « pour vrai» et les utilisent dans leurs jeux de faire semblant.

Photo Buffalo Zoo

Les enfants classent spontanément les figurines d’insectes et araignées dans des contenants différents.

 Ils ont aussi parlé de la chaîne alimentaire: qui mange qui.

 

L’éducatrice/enseignante  continue à aller dehors avec les enfants avec leur petit journal de découverte de la nature, car le projet est loin d’être terminé.  Il s’arrêtera quand l’intérêt des enfants sera satisfait et que les enfants commencent à délaisser le sujet.

 

L’éducatrice enseignante peut aussi organiser des sorties et inviter des spécialistes en lien avec le sujet étudié.

Dans un autre groupe qui s’intéressait aussi aux araignées, l’éducatrice/enseignante

est allée avec les enfants et des parents à un Zoo dans l’espace Diversité de la Vie. Ils y sont même retournés pour répondre à d’autres questions : «Les araignées ont-elles une bouche?» «Des dents?» (Elles ont des crochets)

On pourrait aller à un insectarium s’il y en a un dans sa région.

 

Photos Buffalo Zoo

Elle a aussi  fait venir un entomologiste. Qui a répondu à d’autres questions : «Est-ce qu’elles ont une famille?» « Est-ce qu’elles grandissent »? (Oui, elles muent). « Est-ce qu’elle piquent?»

Avec l’aide de l’éducatrice/ enseignante, les enfants peuvent aussi, comme point culminant, faire une exposition de leurs travaux, pour les présenter aux autres groupes et même à leurs parents, à la directrice. Ils peuvent guider les invités en leur montrant ce qu’ils ont appris.

Ou faire un livre réunissant leurs observations.

 

L'enseignante fait le bilan des apprentissages des enfants et des siens

Les enfants ont observé et appris beaucoup de choses sur les araignées (et les insectes). Ils ont étudié les parties du corps des araignées. Ils savent maintenant qu’elles sont de différentes grandeurs, couleurs et formes. Comment elles se nourrissent. Que les  araignées ont différentes manières d’attraper des proies, qu’elles sont de très bons ingénieurs et sont systématiques dans la construction de celle-ci, que  leurs toiles servent à plusieurs chose (pas juste à attraper des proies). Que chaque espèce fait des toiles différentes. Qu’elles font des bébés.  Qu’elles sont utiles, qu’il faut les laisser tranquilles, etc.

Mais aussi ils ont appris comment trouver des réponses à leurs questions, à représenter symboliquement  (dessin, trois dimensions, écrit) des choses, acquis des méthodes de travail, du vocabulaire, catégorisé, fait des comparaisons, articulé et enrichi leurs connaissances, développé des habiletés. Ils ont « lu» et se sont fait lire des livres. Ils ont échangé, fait des liens, appris comment se comporter avec respect face aux  créatures dans la nature. Ils ont exercé leur motricité. Sans oublier leur plaisir de la découverte.

Ils se sont rendu compte que l’éducatrice/enseignante  s’intéresse à ce qui les intéresse, à leurs pensées, leurs créations. Cela a renforcé leur estime de soi.

 

On aura pu constater, au cours de cette enquête, que les projets sont des occasions rêvées pour l’émergence de l’écrit : les enfants sont motivés et trouvent du sens à leur écriture, lecture.

Ceux-ci ont partagé leurs connaissances grandissantes et formé, incluant l’éducatrice enseignante et les parents,  une vraie communauté d’apprentissage où chacun a trouvé sa place. Ils ont senti aussi que leurs idées comptent, ils ont forgé leur identité et développé l’assurance qu’ils sont des apprenants compétents.

 

Conclusion

 Bien sûr le projet s’inscrit dans le quotidien des enfants. Il est entremêlé dans le jeu. On ne fait pas que cela. Mais cela oriente leur attention et les amène à étudier en profondeur un sujet qui les captive.

L’éducatrice/enseignante les guide dans leurs recherches d’informations.

 Dans toute cette démarche, l’éducatrice/enseignante a documenté les dires et les réalisations des enfants et a partagé ces informations avec les parents et les enfants.

 Elle aussi a acquis toutes sortes de connaissances sur les araignées et certains insectes, mais surtout beaucoup sur les enfants eux-mêmes et leurs façons d’apprendre ainsi que sur leurs familles.

Pour les éducatrices/enseignantes qui planifient de façon émergente, qu’elles soient inspirées de Reggio Emilia ou de l’approche par projets ou l’enquête, les recherches et activités émergent des expériences quotidiennes des enfants dans leurs jeux, leurs explorations, leurs questionnements et émerveillement. Cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas proposer des sujets/activités mais qu’elles sont à l’écoute des enfants pour faire leurs propositions. C’est une façon de penser l’enseignement qui demande de la confiance en soi comme éducatrice/enseignante, une grande flexibilité et une confiance dans les capacités des enfants.

 

Références:


Bocher, Catherine (2012) The Spider – An investigation by children as a Project Approach, Posted on September 6th.

Harris Helm, Judy (2004) Projects that Power Young Minds

Ileto Anna  (2017) The Spider Project . A project by 3-4 year olds in the MWF Class Preschool at the Buffalo Zoo Project date: September 8th – December 20th.

National Association for the Education of Young Children (2015) Inspired by Reggio Emilia : Emergent Curriculum in Relationship-Driven Learning Environments, Young Children, November Issue.

Saskatchewan Ministry of Education.  Making Learning Visible in Kindergarten Classrooms. Embedding and Meeting Curriculum through Inquiry, Play-Based Learning

Thames Tiddler Nursery: The Spider Project


 Notes :

Cet article est une adaptation des articles ci-haut mentionnés.

Les photos de cet article ont été prises dans les sites de plusieurs CPE et maternelles où les enseignantes utilisent un curriculum émergent dans lequel on retrouve des projets dont ceux sur les araignées et les insectes.

jeudi 21 avril 2022

Qu’est-ce qu’un curriculum émergent ?

 Par Anne Gillain Mauffette

Une visite au marché. Photo© Danielle Jasmin


 

 







Mais d'abord: qu'est-ce qu'un curriculum ?

C’est plus qu’un programme. En plus des éléments des  programmes, cela comprend les attitudes, interactions de tous les acteurs, les expériences proposées…

En fait c’est tout ce que les enfants vivent dès qu’ils mettent les pieds dans le milieu éducatif (et même avant dans l’autobus s’il y a lieu) ainsi que ce qui se passe dans la famille en lien avec la garderie ou l’école : conversations avec les parents sur les activités et projets, objets à apporter à l’école, lecture de livre prêtés…

Ce n’est pas seulement le contenu des activités mais aussi la manière de faire les choses, ce qui est dit et non dit c'est-à-dire les valeurs sous-jacentes qui sont perçues et ressenties par les enfants. L’enfant va-t-il apprendre qu’il a de bonnes idées  ou que c’est l’adulte qui a les idées, qu’aller dehors est important, va-t-il absorber des stéréotypes…

En fait il n’y a pas qu’un curriculum, il y en a autant que d’éducatrices/enseignantes et qu’il y a d’enfants dans un groupe. L’éducatrice/enseignante est la principale responsable du/des curriculums.

Il y a plusieurs manières de planifier un curriculum.

 

Différences entre un curriculum émergent et le modèle plus traditionnel d’enseignement

Nous tenterons dans ce tableau d’identifier certains aspects qui distinguent un curriculum émergent d’un modèle plus traditionnel de planification du curriculum et des activités.

Comme tout tableau comparatif, celui-ci peut paraître caricatural. Comme éducatrice/enseignante nous nous retrouverons parfois à droite parfois à gauche, étant probablement quelque part sur le continuum entre les deux pôles, à différents moments.


Modèle «traditionnel»

Curriculum émergent (ou négocié, interactif, d’inspiration spontanée)

Le curriculum est centré sur le contenu, les routines, l’horaire, les comportements et l’éducatrice ou l’enseignante.

Il est déjà préparé avant même que les enfants ne rentrent dans l’école, l’enseignante décide en avance des thèmes qu’elle va aborder. Il est donc indépendant du groupe d’enfants ou des individus.

Ce modèle est davantage basé sur les théories béhavioristes.

Le curriculum est centré sur les enfants et bâti sur leurs idées, celles de l’éducatrice et de son équipe, des événements dans la vie des enfants, de l’école et de la communauté et des ressources du milieu. 

Il est le résultat des interactions entre les enfants et l’éducatrice.


Les références principales sont Piaget, Vygotsky et autres constructivistes ou socio constructivistes.

L’éducatrice/enseignante élabore des activités appropriées à l’âge des enfants en tenant compte des étapes du développement et des objectifs du programme ou d’objectifs qu’elle définit.

L’éducatrice/enseignante présente des situations qui répondent aux différences des enfants, à leurs capacités individuelles, leur style d’apprentissage, leurs intérêts (tout en répondant aux prescriptions du programme)…

Les idées de thèmes et d’activités viennent :

- des objectifs à couvrir

- des fêtes traditionnelles

- des cycles de la nature

- de sujets perçus par l’éducatrice comme populaires auprès des enfants

Les idées  d’activités et de projets sont inspirées  souvent par:

- les intérêts et passions des enfants

- les choses, événements et gens dans l’environnement

- des influences familiales et culturelles

- des situations créées par la vie en commun

- les intérêts et passions des adultes

- des valeurs (contre le sexisme/pour l’inclusion)

En fait, l’observation des intérêts des enfants est à la base de la planification.

 

L’enfant est vu comme un réceptacle d’information. L’éducatrice choisit l’information et les activités que les enfants vont « recevoir» en fonction des objectifs du programme ou personnels.

On entendra des formulations du genre :

« J’apprends aux enfants à…» ou « Je manque de temps, j’ai trop de choses à leur apprendre.

Les éducatrices croient savoir ce que tous doivent appendre (Reynolds).

On guide les enfants.

L’enfant est vu comme compétent ici et maintenant, créateur, constructeur de ses connaissances par ses interactions avec l’environnement (incluant les autres enfants et les adultes).

Dans ce type d’approche, le plan de «leçon» avec ses objectifs uniformes pour chacun n’a pas sa place. On profite de moments propices à «l’enseignement».

Ce sont les passions des enfants qui dirigent le programme.

Les enfants nous guident.

On travaille souvent tout le groupe ensemble.

On travaille surtout en petits groupes (car tout le monde n’a pas les mêmes intérêts).

Dans certains cas, on enseigne de façon formelle, systématique, explicite en grand groupe certaines notions didactiques (la lettre ou le son de la semaine).

Les enfants explorent, découvrent. L’éducatrice les aide à faire des liens, à vérifier leurs hypothèses et connaissances, à remarquer des constantes.

Les activités de découverte du langage écrit sont crées à partir de l’intérêt démontré par les enfants.

Le temps est régulé par l’horloge.

La durée d’un thème ou de l’activité est arbitraire que les enfants aient fini de s’interroger ou pas.

L’enfant qui n’a pas fini une activité est incité à se dépêcher (il va donc la bâcler et hésiter la prochaine fois à s’investir) car un temps fixe est prévu pour l’activité et on doit passer à autre chose.

L’enfant qui a terminé doit parfois attendre que les autres aient terminé (et peut alors perturber ou s’ennuyer) à moins qu’une activité alternative soit permise.

L’horaire est souple. Il permet des rythmes différents, des projets personnels et de continuer ce qui a été entrepris le lendemain

L’objectif est d’apprendre.

L’objectif est de développer le goût d’apprendre et de provoquer l’implication des enfants.

 

Le jeu « libre» a une plus ou moins grande place dans l’horaire selon les milieux. Il est même parfois utilisé comme une récompense après qu’on ait «bien travaillé». On retire du temps de jeu à ceux qui n’ont pas bien fait ceci ou cela. Certains enfants plus lents en sont parfois privés (il fait terminer la tâche).

Le jeu est rarement vu comme une pépinière de projets.

Le jeu est interrompu même si les enfants y sont très impliqués pour permettre des activités jugées plus importantes.

L’évaluation est parfois fondée sur les activités dirigées plutôt que sur les manifestations des enfants dans le jeu.

Le jeu « libre» est vu comme l’expression de l’enfant, le lieu de développement et réalisation de ses compétences. En observant le jeu, l’éducatrice/enseignante reconnait les zones proximales de développement des enfants. Elle écoute les idées et intérêts des enfants et combine les objectifs du programme à ceux des enfants de façon innovatrice (Cadwell et Fyfe, 1997 dans Reynolds). Le jeu sert de base à la construction d’autres expériences car il permet de découvrir des thématiques sous-jacentes qui pourraient devenir des projets. L’éducatrice/enseignante pourra ou les éducatrices/enseignantes pourront alors essayer de prévoir une foule de possibilités et choisir les avenues qu’elle(s) juge(nt) les plus prometteuses.

Le jeu des enfants est documenté.

L’extérieur est vu comme un lieu d’activité motrice, d’interactions sociales et de défoulement.

L’extérieur est une grande source de questionnement et de projets, de jeu symbolique, de créativité, de relations sociales et de motricité.

Les sorties dans la communauté sont peu nombreuses et pas toujours relié au sujet d’étude. Elles n’amorcent pas non plus de nouveau thèmes. Les retours sont parfois sommaires.

Les sorties dans la communauté alimentent les sujets d’étude et le jeu des enfants.

 Cela ne veut pas dire qu’on fait n’importe quoi, qu’il n’y a pas de planification, mais celle-ci est souple et se fait autrement, en lien avec le vécu des enfants. Cela veut aussi dire que les enfants influencent ce qui se passe en classe. L’éducatrice/ enseignante reste cependant très présente par son observation et ses décisions par rapport aux pistes les plus porteuses à suivre et sa créativité en réponse aux indices donnés par les enfants tout en ayant en tête les objectifs de son programme.


Une promenade a donné lieu a une découverte : des champignons. Les enfants ont fait plusieurs sorties et les ont étudiés et représentés. Photo Garden Gate Development Center


Rôle de l’adulte:

- L’éducatrice/enseignante élabore des thèmes ou de modules, des activités et des bricolages prédéterminés. Les sujets d’étude choisis reviennent d’année en année (les pommes à l’automne, la St. Valentin…) avec quelques modifications.

 

 

 

 

 

 

-L’éducatrice/enseignante est l’experte, la personne ressource principale. C’est souvent elle qui parle le plus.

 

 

 

 

 

 

 

- L’éducatrice/enseignante donne de l’information, pose des questions pour vérifier les connaissances des enfants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- La curiosité des enfants est redirigée vers le sujet choisi par l’éducatrice.

 

-On peut utiliser parfois des objets populaires (collants et autres récompenses) pour motiver les enfants.

 

- Aménage l’espace qui change peu

- Elle prépare le matériel souvent en facilitant la tâche des enfants (prédécoupant les formes…)

 

 

- Évalue les enfants selon des critères prédéfinis individuellement

 

 

 

 

Rôle de l’adulte

- L’éducatrice/enseignante observe les enfants au jeu, écoute attentivement leurs conversations pour identifier les intérêts des enfants, note le langage utilisé, leurs préoccupations, les questions qu’ils se posent, les conceptions qu’ils ont (justes ou pas) afin de planifier projets et activités.

Elle pose des questions ouvertes et cherche à faire émerger les pensées des enfants.

Les enfants apprennent à poser des questions.

 

- L’éducatrice/enseignante se perçoit comme un chercheur, partenaire avec les enfants qui cherchent ensemble à répondre à des questions. Elle soutient les investigations.

Les enfants sont considérés aussi comme des ressources les uns pour les autres. On fait souvent appel à des spécialistes de l’extérieur pour participer aux recherches ou créations.

 

 

- L’éducatrice/enseignante provoque idées, des résolutions de problèmes, des conflits cognitifs. Elle pose des questions ouvertes, fait des suggestions (que les enfants peuvent refuser), ajoute une dimension plus complexe. Elle offre des matériaux, de l’aide au besoin, pour permettre à l’enfant de gagner un niveau supérieur (Bredekamp et al. 1997 dans Reynolds).

Elle reprend les idées des enfants et les ramène pour des explorations plus poussées.

Elle les aide à trouver des manières de répondre à leurs questions.

L’erreur fait partie du processus d’apprentissage.

 

 

- Accueille l’imprévu, la divergence, la curiosité, le plaisir.

 

- Mise sur la motivation intrinsèque

 

 

 

- Analyse et transforme l’aménagement selon les besoins

- Organise les matériaux pour aider les enfants à prendre des décisions sur les matériaux à utiliser

 

- Documente les processus et progrès des enfants en enregistrant, prenant des photos, filmant.

-Dialogue avec les autres éducatrices et parents autour de la documentation pour décider des actions à poser



-La documentation sert d’évaluation

Relations avec les parents

Les parents sont informés des progrès ou problèmes de leurs enfants de façon officielle quelques fois par année.

Les parents sont appelés à participer à des activités organisées (spectacle, fêtes, sorties).

Relations avec les parents

La documentation pédagogique du quotidien, des projets et réalisations des enfants tient les familles et le reste de l’école au courant de ce qui se passe dans le groupe et pour chaque enfant.

Les parents peuvent contribuer aux différents projets ou activités selon leurs ressources et même se prononcer sur leurs déroulements.

 

Comme adultes nous faisons des choix pour les enfants qui reflètent nos valeurs.

 

 Pourquoi une approche serait-elle meilleure que l’autre ?

Construction d’un autobus Photo ©Danielle Jasmin

J’ai tendance à comparer l’approche par thèmes fixes à un voyage organisé : les lieux de visites sont décidés, il faut suivre l’horaire même si on voudrait s’attarder… et un curriculum émergent à un voyage ou certaines choses sont prévues (l’achat de billets) mais où il y a de la place pour la découverte et le goût du moment (on tombe sur un petite restaurant, on rencontre des gens qui nous conseillent telle visite ou qui nous invitent chez eux, on décide de rester plus longtemps dans une ville ou un village sympathique)… une aventure en quelque sorte.

 

Mais au niveau pédagogique, une méthode est-elle plus justifiée ?

Photo Garden Gate Development Center

 Les études récentes démontrent que les enfants qui ont pu faire des choix, initier leurs propres activités ont : une meilleure motivation, un niveau de langage plus élevé, une meilleure capacité d’autorégulation et de décentration les rendant capables d’empathie. Ils ont plus de facilité à résoudre des problèmes. Ayant développé des habiletés de négociation ils réussissent mieux à régler des conflits. Ils démontrent plus de créativité. Il est même prouvé qu’ils obtiennent de meilleurs résultats académiques à long terme. En effet, plusieurs de ces facteurs ont été identifiés comme des éléments nécessaires pour  être prêt pour l’école (maturité scolaire/ «readiness») et pour une réussite dans le système scolaire et dans la vie.

Les curriculums émergents reposent sur des bases théoriques qui estiment que les enfants construisent leur compréhension et habiletés grâce à des expériences interactives qui ont du sens pour eux.

Un curriculum émergent garde les enfants impliqués et répond à leurs besoins. Il change parce que les enfants changent. Adopter un curriculum émergent nous oblige à passer de nos intentions à l’agenda des enfants.

Une enseignante témoigne : « Je me suis rendue compte de l’inadéquation entre mes propositions et la réalité de leurs désirs et fini par comprendre que je travaillais pour eux sans vraiment les rencontrer».

 

 Autres caractéristiques et avantages d’un curriculum émergent :

- Puisqu’il est ouvert, il répond mieux aux besoins des enfants  et est signifiant pour eux.

- Adultes et enfants  prennent des initiatives et des décisions.

- Les idées qui émergent correspondent à des préoccupations nées dans un certain environnement pour un groupe de personnes en particulier et à un moment particulier.

- Le curriculum évolue sur des chemins divergents (un sujet peut en amener un autre)

et est toujours ouvert à de nouvelles possibilités.

- Il fait le lien entre les apprentissages antérieurs et les nouvelles expériences.

- C’est un processus continu.

- Cette approche encourage l’indépendance des enfants et développe leur sens des responsabilités. Ils sont aussi plus concentrés (parce que plus intéressés).

- L’absence de répétition rend la tâche de l’éducatrice/enseignante plus stimulante.

 

Comment identifier les intérêts des enfants ?

 

 Chez les touts petits, c’est leur regard qui nous guide. Exemple : l’enfant a l’air excité de voir un oiseau, on se rapproche de la fenêtre, on bâtit ou place une mangeoire que l’enfant pourra remplir lui-même tous les jours. Ou il a découvert son ombre…

Photo Garden Gate Development Center

 

Chez les un peu plus grands, en écoutant leurs conversations, en observant leurs jeux ou leurs comportements (les enfants trouvent des vers des insectes, ramènent toujours des cailloux dans leurs poches).

Photo Garden Gate Development Center

 On peut aussi identifier un curriculum caché qu’on pourra ensuite développer avec eux (Ex. : Derrière les jeux de super héros se cache le thème du pouvoir et de la force, sous un jeu de petits minous, le concept de famille).

 On pourrait ensuite faire une carte réseau (seule ou avec des collègues) des avenues possibles (préfigurations) reliées à la thématique naissante et choisir les chemins qui paraissent les plus riches et les plus réalisables dans notre contexte. En écoutant les enfants, on entendra aussi leurs théories intuitives sur toutes sortes de concepts et proposer des expériences pour les faire évoluer.

 

Quelles peuvent être les difficultés d’application d’un curriculum émergent ?

- La pression du milieu (des maternelles/jardins/premières années/parents/administrateurs) qui poussent pour un enseignement précoce de la « littératie» et des mathématiques de plus en plus tôt et des intervenants spécialistes qui poussent vers un enseignement systématique de la phonologie (au lieu des comptines, chansons et poésies).

- La fausse idée qu’on se fait de ce que c’est être prêt pour l’école (readiness) et qui se résume pour plusieurs aux lettres et aux chiffres, alors que les meilleurs outils pour s’adapter à l’école sont le bien-être physique, l’équilibre socio émotionnel, le niveau de langage et les connaissances cognitives générales qui sont tous très bien développés par le jeu et les projets.

- Le manque de temps pour documenter, réfléchir sur nos expériences et pour en discuter avec des collègues.

- L’insécurité ressentie face à l’ambiguïté d’activités qui vont se construire et dont on ne sait pas d’avance les aboutissements exacts. Mais ceux qui s’y risquent vous diront qu’ils ne veulent plus enseigner autrement car les découvertes faites avec et sur les enfants sont stimulantes, enthousiasmantes même. Il faut se faire confiance et surtout faire confiance aux enfants.


 Qu'est-ce qui peut nous aider, nous motiver à adopter un curriculum émergent ?

 

Photo  Garden Gate Development Center

Le programmes cycle du préscolaire et le cadre d’apprentissage pour les CPE favorisent ce genre d’approche et nous permet de défendre ce choix. Heureusement, dans les deux cas, on insiste sur l’importance du jeu.



Le soutien des parents une fois qu’ils auront découvert la profondeur de la pensée de leur enfant à travers les expériences proposées et la documentation ainsi que la joie des enfants vous convaincront sans doute du bien-fondé de pousser plus loin une telle démarche.

Sans oublier les risques que l’enseignement traditionnel fait courir aux enfants : les enfants de 5 ans et moins qu’on empêche d’avoir du contrôle sur leurs apprentissages peuvent être déçus, s’ennuyer et développer une attitude négative permanente associée au milieu éducatif et à l’école.

 

En pratique, un curriculum émergent cela ressemble à quoi?

Il y a de nombreux exemples de milieux préscolaires qui ont adopté ce mode d’apprentissage. Les écoles préscolaires municipales de Reggio Emilia sont les plus connues dans le monde. Elles nous donnent un aperçu d’une façon d’implanter ce type de curriculum.

Voirl’article : https://jeulibrequebec.blogspot.com/search?q=L%2Cenvironnement+physique+%C3%A0+Reggio+Emilia

Voir aussi l'exemple du CPE Tchou Tchou: https://youtu.be/O51_emwinbw

 

Conclusion

Celles qui se sont laissées tenter par l’aventure d’une approche encore plus axée sur les pensées, les théories, les goûts (les vrais, pas ceux qu’on imagine) des enfants, ne veulent jamais revenir en arrière. Car elles ont découvert le plaisir de cette complicité accrue avec les enfants et un émerveillement  devant la profondeur de leur pensée qui est devenu leur moteur.

 

Lectures sur le sujet :

Biermeier, M.A. (2015) Inspired by Reggio Emilia: Curriculum in Relationship-Driven Learning Environments, Young Children Vol 70 No.5, NAEYC, Washington D.C.

Jones, E,; Evans, K. ; Stritzel Rencken, K. The Lively Kindergarten (2001). Emergent Curriculum in Action, NAEYC, Washington D.C

Jones E.; Nimmo, J.: Emergent Curriculum, NAYEC, Washington D.C. (1993-1994)

Edwards, C.; Gandini, L.; Forman, G (1998) The Hundred Languages of Children: The Reggio Emilia Approach- Advanced Reflections. Ablex Publishing Corporation

Lewin-Benham, A. (2008) Powerful Children Understanding How to Teach and Learn Using the Reggio Approach, Teachers College Press, New York


Références:

 Programme de formation de l’école québécoise. Éducation Préscolaire. Programme cycle de l’éducation préscolaire. Ministère de l’Éducation, Gouvernement du Québec. (2021).

Accueillir la petite enfance : programme éducatif pour les services de garde du Québec. Ministère de la famille, Gouvernement du Québec (2019).

Note : ce texte a été adapté d’une présentation faite dans un atelier.

Pour voir la suite de ce texte: Un curriculum émergent, cela a l'air de quoi?, voir:https://jeulibrequebec.blogspot.com/2022/04/un-curriculum-emergent-cela-lair-de.html

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