lundi 25 avril 2022

Un curriculum émergent, cela a l’air de quoi? Un exemple

 


Par Anne Mauffette

C’est quoi un curriculum émergent? Grosso modo : C’est un curriculum qui s’adapte aux enfants et non l’inverse.

Voir l’article précédent : Qu’est-ce qu’un curriculum émergent https://jeulibrequebec.blogspot.com/2022/04/quest-ce-quun-curriculum-emergent.html

En voici un exemple. Naissance d’un projet sur les araignées

Photo ©Catherine Bocher
 

L’enseignante avait planifié le sujet d’une causerie.

 Mais des enfants ont trouvé une toile d’araignée dans la cour. Ils sont très excités et observent l’araignée tout en commentant haut et fort leurs impressions, ce qui attire les autres enfants. Certains ont peur («il faut la tuer, c’est dangereux») d’autres s’opposent. L’éducatrice/enseignante rassure les enfants craintifs. (Il n’y a pas d’araignées dangereuses au Québec). Les araignées sont très utiles, il faut les protéger.

Les enfants demandent à l’éducatrice/enseignante de prendre une photo. Elle leur suggère plutôt de dessiner ce qu’ils voient et les enfants courent chercher des planchettes et s’empressent de le faire (certains n’étant pourtant pas très portés sur le dessin). Elle encourage les enfants à observer.

En rentrant, l’éducatrice/enseignante aurait pu simplement laisser l’histoire de l’araignée et poursuivre son idée initiale. Mais elle décide de profiter de l’intérêt manifesté par les enfants y voyant une source de multiples apprentissages.

Elle invite ceux-ci à partager et commenter leurs dessins et observations. Elle les interroge sur ce qu’ils savent des araignées.

Ils disent qu’elles tissent des toiles (elles n’en font pas toutes, certaines préférant chasser), sont des insectes (ce qu’elles ne sont pas), qu’elles peuvent piquer. Une dit qu’elle aime les toiles d’araignées  parce qu’elles attrapent les moustiques pour qu’ils ne la piquent pas. Que les toiles d’araignées  ne peuvent pas vous faire de mal, elles servent à attraper des insectes. Ils débordent d’histoires d’araignée dans la salle de bains et autres situations où ils en ont rencontrées.

Photo tirée de l’article de la NAEYC


 





L’éducatrice/ enseignante consigne les dires des enfants et envoie un courriel aux parents leur indiquant ce nouvel intérêt des enfants.

 

Le lendemain, les enfants sont de nouveau à la recherche d’autres toiles d’araignées et en trouvent une autre.

Ils ont toutes sortes de questions: est-ce qu’elles dorment la nuit? Comment elles font pour marcher au plafond?, etc.

 

L’éducatrice leur demande comment ils pourraient trouver des réponses à leurs questions.

 

 L’éducatrice/enseignante apporte des livres sur les araignées de la bibliothèque. Des documentaires mais aussi des histoires d’araignées.

Les enfants apprennent, entre autres, que ce ne sont pas des insectes mais des arachnides. « C’est comme arachide!». (phonologie)

 

L’éducatrice/enseignante en parle aussi dans son réseau

Une conversation avec une voisine fait que celle-ci donne à la classe une tarentule ce qui motive encore plus les enfants dans leurs recherches.

Les parents, mis au courant, se mettent à parler d’araignées avec leurs enfants et à leur lire des livres sur le sujet.

 

L’éducatrice/enseignante modifie son environnement et ajoute des éléments.

Elle place à côté du terrarium des loupes, planchettes avec du papier et des marqueurs.

 

Les enfants se posent toutes sortes d’autres questions : est-ce que c’est un garçon ou une fille? D’où vient-elle?

 

L’éducatrice/enseignante a aussi placé des photos de différentes sortes d’araignées et de toiles. Les enfants comparent la tarentule aux autres.

Un enfant a apporté une araignée en plastique et celle-ci a été ajoutée à côté du terrarium. « Ça lui fait une amie» dit un enfant.

 La construction de savoir chez les enfants devient évidente : ils ajoutent dans leurs dessins des sacs à œufs, des yeux multiples (elles peuvent en avoir de deux à huit), ils comptent les pattes (huit) et les comparent les araignées aux insectes trouvés sur la cour.

Ils demandent comment on écrit tarentule, sac d’œufs, filière (pour la soie). Les enfants veulent écrire parce que c’est signifiant pour eux. La recherche scientifique, les mathématiques, le vocabulaire et l’apprentissage de l’écrit, trouvent naturellement leur place dans le cadre de cette investigation.

Ils intègrent le sujet des araignées dans leurs jeux : ils marchent sur des troncs et montent sur les structures de jeux « comme des araignées».

Photos Buffalo Zoo



Après leur «chasses» initiales aux araignées, ils ont aussi pris des photos pour tenter de mieux les identifier dans les livres et sur internet. Ils ont regardé un vidéo de la naissance des bébés araignées qui sortent de leur cocon.

 Ils en cherchent et en trouvent partout (avec leurs parents aussi) au parc, au zoo etc.

Photos Buffalo Zoo


Les enfants apportent des roches, des morceaux de bois pour faire es cachettes et des maisons aux araignées.

Ils les représentent avec de la glaise, du fil de fer, du carton etc.

Photo Garden Gate Development Center








 Mais l’éducatrice enseignante se rend compte que ce qui intéresse le plus les enfants c’est les toiles.

Elle met à leur disposition toutes sortes de matériaux.

Même s’ils savent maintenant que les toiles peuvent avoir différentes formes (triangulaire, en carré, en forme de hamac, en dôme, en entonnoir), c’est la forme circulaire qui les captive.

Les enfants peuvent en représenter de différentes façons : craie, marqueurs, peinture, blocs Légos, ruban cache, laine,  etc.

                    Photo Buffalo Zoo                                        Photo Garden Gate Development Center



3 Photos École Saint Sauveur                                          Photo Thames Tiddler Nursery

 

 Une provocation.

Une araignée sur un rétroprojecteur

 Dans le local d’arts plastiques quand les enfants entrent, il y a une toile d’araignée qui est projetée au sol. Les enfants se demandent comment cela est possible et hésitent à toucher cette ombre au sol. Les enfants découvrent la source de la lumière. Sur le rétroprojecteur est placée une photo d’une araignée.

Les enfants explorent l’équipement et découvrent que  quand ils font bouger l’araignée, elle  bouge au sol. Certains enfants hésitent à toucher l’ombre araignée. D’autres demandent s’ils peuvent dessiner l’araignée dans sa toile.

 L’animatrice qui a anticipé cette possibilité a préparé une grande feuille et les enfants s’installent sur la feuille et se mettent à tracer l’ombre.

Une tangente

 Plus tard, un enfant fait remarquer que c’est difficile de se rappeler où elles sont sur la cour. Cela donne a un petit groupe l’occasion d’apprendre à faire des cartes. Ils représentent la cour y indiquent les emplacements et  font une légende.


 Comme ce n’est pas tous les enfants qui s’intéressent à la conception de cartes, l’éducatrice/ enseignante propose aux enfants de former un Club des Insectes. Là, tous embarquent. Ils se fabriquent un insigne (une simple carte avec une ficelle) où ils dessinent leur insecte préféré et y écrivent leur nom. Ils ont un petit cahier avec leur photo et leur nom  (Le journal du club des insectes) sur lequel ils peuvent dessiner les insectes vus et noter leurs observations, des nouveaux mots, etc.

L’enquête s’élargit.

«Celui-ci a six pattes.»  Photo Buffalo Zoo



Photo Garden Gate Development Centre



Un ver de terre est-ce que c’est un insecte?


  



 « Il a des ailes, il est différent». Photo Buffalo Zoo

 

Et les fourmis aussi ont été suivies dans leurs déplacements : « Regarde, elles transportent  de la nourriture!»

 Les enfants représentent les insectes dans leurs dessins, peintures, collages, etc




Photo©Dominique Carreau



Ils apportent des toutous en classe : coccinelles et même un tamanoir mangeur de fourmis « pour vrai» et les utilisent dans leurs jeux de faire semblant.

Photo Buffalo Zoo

Les enfants classent spontanément les figurines d’insectes et araignées dans des contenants différents.

 Ils ont aussi parlé de la chaîne alimentaire: qui mange qui.

 

L’éducatrice/enseignante  continue à aller dehors avec les enfants avec leur petit journal de découverte de la nature, car le projet est loin d’être terminé.  Il s’arrêtera quand l’intérêt des enfants sera satisfait et que les enfants commencent à délaisser le sujet.

 

L’éducatrice enseignante peut aussi organiser des sorties et inviter des spécialistes en lien avec le sujet étudié.

Dans un autre groupe qui s’intéressait aussi aux araignées, l’éducatrice/enseignante

est allée avec les enfants et des parents à un Zoo dans l’espace Diversité de la Vie. Ils y sont même retournés pour répondre à d’autres questions : «Les araignées ont-elles une bouche?» «Des dents?» (Elles ont des crochets)

On pourrait aller à un insectarium s’il y en a un dans sa région.

 

Photos Buffalo Zoo

Elle a aussi  fait venir un entomologiste. Qui a répondu à d’autres questions : «Est-ce qu’elles ont une famille?» « Est-ce qu’elles grandissent »? (Oui, elles muent). « Est-ce qu’elle piquent?»

Avec l’aide de l’éducatrice/ enseignante, les enfants peuvent aussi, comme point culminant, faire une exposition de leurs travaux, pour les présenter aux autres groupes et même à leurs parents, à la directrice. Ils peuvent guider les invités en leur montrant ce qu’ils ont appris.

Ou faire un livre réunissant leurs observations.

 

L'enseignante fait le bilan des apprentissages des enfants et des siens

Les enfants ont observé et appris beaucoup de choses sur les araignées (et les insectes). Ils ont étudié les parties du corps des araignées. Ils savent maintenant qu’elles sont de différentes grandeurs, couleurs et formes. Comment elles se nourrissent. Que les  araignées ont différentes manières d’attraper des proies, qu’elles sont de très bons ingénieurs et sont systématiques dans la construction de celle-ci, que  leurs toiles servent à plusieurs chose (pas juste à attraper des proies). Que chaque espèce fait des toiles différentes. Qu’elles font des bébés.  Qu’elles sont utiles, qu’il faut les laisser tranquilles, etc.

Mais aussi ils ont appris comment trouver des réponses à leurs questions, à représenter symboliquement  (dessin, trois dimensions, écrit) des choses, acquis des méthodes de travail, du vocabulaire, catégorisé, fait des comparaisons, articulé et enrichi leurs connaissances, développé des habiletés. Ils ont « lu» et se sont fait lire des livres. Ils ont échangé, fait des liens, appris comment se comporter avec respect face aux  créatures dans la nature. Ils ont exercé leur motricité. Sans oublier leur plaisir de la découverte.

Ils se sont rendu compte que l’éducatrice/enseignante  s’intéresse à ce qui les intéresse, à leurs pensées, leurs créations. Cela a renforcé leur estime de soi.

 

On aura pu constater, au cours de cette enquête, que les projets sont des occasions rêvées pour l’émergence de l’écrit : les enfants sont motivés et trouvent du sens à leur écriture, lecture.

Ceux-ci ont partagé leurs connaissances grandissantes et formé, incluant l’éducatrice enseignante et les parents,  une vraie communauté d’apprentissage où chacun a trouvé sa place. Ils ont senti aussi que leurs idées comptent, ils ont forgé leur identité et développé l’assurance qu’ils sont des apprenants compétents.

 

Conclusion

 Bien sûr le projet s’inscrit dans le quotidien des enfants. Il est entremêlé dans le jeu. On ne fait pas que cela. Mais cela oriente leur attention et les amène à étudier en profondeur un sujet qui les captive.

L’éducatrice/enseignante les guide dans leurs recherches d’informations.

 Dans toute cette démarche, l’éducatrice/enseignante a documenté les dires et les réalisations des enfants et a partagé ces informations avec les parents et les enfants.

 Elle aussi a acquis toutes sortes de connaissances sur les araignées et certains insectes, mais surtout beaucoup sur les enfants eux-mêmes et leurs façons d’apprendre ainsi que sur leurs familles.

Pour les éducatrices/enseignantes qui planifient de façon émergente, qu’elles soient inspirées de Reggio Emilia ou de l’approche par projets ou l’enquête, les recherches et activités émergent des expériences quotidiennes des enfants dans leurs jeux, leurs explorations, leurs questionnements et émerveillement. Cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas proposer des sujets/activités mais qu’elles sont à l’écoute des enfants pour faire leurs propositions. C’est une façon de penser l’enseignement qui demande de la confiance en soi comme éducatrice/enseignante, une grande flexibilité et une confiance dans les capacités des enfants.

 

Références:


Bocher, Catherine (2012) The Spider – An investigation by children as a Project Approach, Posted on September 6th.

Harris Helm, Judy (2004) Projects that Power Young Minds

Ileto Anna  (2017) The Spider Project . A project by 3-4 year olds in the MWF Class Preschool at the Buffalo Zoo Project date: September 8th – December 20th.

National Association for the Education of Young Children (2015) Inspired by Reggio Emilia : Emergent Curriculum in Relationship-Driven Learning Environments, Young Children, November Issue.

Saskatchewan Ministry of Education.  Making Learning Visible in Kindergarten Classrooms. Embedding and Meeting Curriculum through Inquiry, Play-Based Learning

Thames Tiddler Nursery: The Spider Project


 Notes :

Cet article est une adaptation des articles ci-haut mentionnés.

Les photos de cet article ont été prises dans les sites de plusieurs CPE et maternelles où les enseignantes utilisent un curriculum émergent dans lequel on retrouve des projets dont ceux sur les araignées et les insectes.

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