mercredi 24 août 2022

Connaissons-nous nos familles?

Par Anne Gillain Mauffette

La continuité entre la maison et les autres milieux éducatifs est reconnue comme précieuse pour assurer le développement des enfants.

Qu’est-ce qu’on met en place dans notre environnement et notre planification pour établir ce lien avec les familles?

Photo : Young Children, 1 June 2021






Bien sûr, en début d’année, notre rôle principal est de:

-           Observer les enfants, particulièrement dans les périodes de jeu libre où ils sont vraiment eux-mêmes, pour essayer de cerner leurs intérêts, essayer de comprendre et interpréter leur jeu, mais aussi avoir une idée de leurs compétences émotionnelles, sociales, linguistiques et cognitives, leur degré d’auto- régulation, leur créativité, etc. Observer les individus mais également le groupe et remarquer les aspects relationnels et émotionnels.

-          Établir un climat de sécurité où l’enfant va pouvoir être libre de jouer à sa manière.

-          Fournir du matériel ouvert qui permet aux enfants de choisir leur jeu et d’exprimer leurs idées, sentiments, émotions.

Souvent  le jeu des enfants prend ses origines dans leur culture familiale : ils mettent en scène leurs expériences vécues et représentent leurs connaissances acquises.1 Ils vont recréer, de façon imaginaire, les situations dans lesquelles ils ont participé. Encore faut-il que l’environnement éducatif permette aux enfants de refléter celles-ci.

 Chaque famille a son lot de connaissances incluant des informations, des habiletés, des stratégies, des façons de penser et d’apprendre, des approches éducatives et des compétences pratiques.1 Comment inclure et valoriser le type d’activités vécues à la maison? Les enfants ont-ils l’occasion de modifier des choses dans l’environnement pour représenter leurs expériences familiales? Comment en apprendre sur la culture familiale des enfants?

Même avant l’accueil, pouvons-nous penser à des façons de faire un pont entre la famille et notre milieu?

L’identité est ce qui nous rend singulier. L’identité des enfants est faite de multiples éléments (caractéristiques physiques, personnelles, sociales, affectives et caractéristiques familiales) qui sont influencés par les autres dans leur environnement (famille, voisins, communauté, éducatrices, enseignants, camarades, etc.). Ils ont des frères des sœurs ou pas. Leurs milieux de vie sont situés géographiquement.

Les enfants se font et refont des représentations d’eux-mêmes. L’éducatrice ou l’enseignante a un rôle crucial dans le regard que l’enfant va poser sur lui-même et sa famille. Comment s’assurer que les enfants conservent un sentiment positif d’eux-mêmes? Comment développer des relations signifiantes avec les familles?

Voici quelques exemples qui pourraient vous inspirer.

Deux initiatives :

Première : des photos des familles

 Certaines éducatrices ont eu l’idée de demander aux parents ou substituts une photo de famille. Ils les ont mises en un format identique, puis affichées dans le local. À leur arrivée, les enfants ont eu la joie de se voir avec leur famille sur le mur. Ainsi, ils se sentaient déjà reconnus. Les enfants ont pu échanger sur leur famille avec les autres enfants et l’adulte («ma grande sœur elle fait du soccer; ça c’est mon chien; c’est un Terre-Neuve; ça c’est ma grand mère, elle habite avec nous…»). Occasion d’un apprivoisement mutuel.

                                                        Photo Anne Mauffette


Photo : https://www.zerotothree.org/resources/3391-the-abcs-of-diversity-and-inclusion-developing-an-inclusive-environment-for-diverse-families-in-early-childhood-education

 

 

Parler des différences est bénéfique pour tous les enfants et leur développement identitaire.

Après un certain temps, les photos ont été mises dans un album : Le Livre des Familles que les enfants pouvaient consulter et continuer à échanger ou se consoler ou se rassurer au besoin.

Deuxième : à la recherche de partenaires éducatifs

Dans une autre école, une enseignante pour mieux connaître les parents, a fait un sondage pour récolter des informations sur leurs loisirs, leurs occupations, leurs voyages, leurs disponibilités, etc., afin de faire une place dans sa planification à  l’expertise de tous et faire appel à l’un ou à l’autre pour enrichir les activités et le curriculum.

                    Les enfants goûtent au fromage de chèvre dans une chèvrerie. Photo: Danielle Jasmin

 

Photo: Suzie Nadeau

Dans une discussion avec les enfants, l’enseignante apprend que les parents d’un enfant élevaient des poules. Ce petit garçon était en général timide. Mais là, c’’était lui l’expert dans la classe au sujet des poulets. Il était beaucoup plus loquace.

Sa maman est venue avec une poule dans la maternelle ce qui a donné naissance à un projet.

Voir Un projet emballant: de l’œuf à la poule et de la poule à l’œuf : https://jeulibrequebec.blogspot.com/2021/03/un-projet-emballant-de-luf-la-poule-ou.html



Mais que peut-on faire de plus?

Les enfants acquièrent dans leur milieu des compétences. Celles-ci ne sont pas toujours visibles ou reconnues dans le milieu éducatif si on ne se penche pas sur leur quotidien.

Les enfants dans un groupe sont souvent différents culturellement, linguistiquement, économiquement. Pour certains enfants, leurs histoires ressemblent à celle de l’éducatrice ou l’enseignante et leur culture est assez proche de celle de la garderie, du CPE ou de l’école : ils s’y sentent donc plus facilement et rapidement à l’aise. Mais pour d’autres, il y a un écart entre la culture vécue à la maison et celle dans laquelle ils se retrouvent. Quels moyens peut-on prendre pour atténuer cet écart et faire que tous les enfants se retrouvent dans le nouvel environnement.

Penser l’environnement afin qu’il reflète le quotidien des enfants est une façon d’y arriver. En interrogeant les parents sur leurs lieux d’origine, leurs habitudes culinaires (quels ustensiles utilisent-il : un mortier et un pilon, un tajine, un wok, une galettière?), on pourra introduire des éléments des différentes cultures présentes dans la classe. Des textiles de différents pays, des coussins, du matériel dans le coin cuisine et des poupées aux teints différents…

On pourra ajouter des livres dans notre bibliothèque représentant la vie actuelle, réelle des enfants : blocs d’appartements et non juste des maisons unifamiliales, maman avec tatouage et piercing (comme dans Un chien dans la Maison de Bob Graham), différents types de familles, ainsi que des livres plurilingues (voir Elodil).

Mon papa, mon papa et moi.

 Photo : https://welcomingschools.org/resources/welcoming-schools-and-early-childhood-education

 




Mais ce n’est pas suffisant.

Des idées originales.

Premier projet2 :

Au Child Development Center, les éducateurs et éducatrices (accompagnés de chercheurs), ayant constaté que certains enfants ne participaient pas beaucoup au jeu et avaient tendance à être solitaires, se sont interrogés : comment aller « chercher» ces enfants-là pour qu’ils s’engagent davantage?

Ils ont décidé de chercher à mieux connaître tous les enfants, en ayant une meilleure connaissance de leur vie dans leurs familles.

 Phase 1 : Un photoreportage par les enfants, des entrevues et une présentation.

Les enfants, déjà habitués aux caméras ont été chargés, avec la permission des parents de prendre des photos, pendant quelques jours, de ce qu’ils aimaient faire chez eux.

Cela donnait aux enfants le pouvoir de faire leurs propres choix nous permettant de visualiser leurs idées.

Après la prise de photos (entre 25 et 35), les responsables ont organisé des photos-entrevues avec chaque enfant et leurs parents, où l’enfant choisissait l’ordre et le nombre de photos qu’ils voulaient montrer et les commentaient. Cela a amené à une variété de narrations d’histoires. Parfois un parent ajoutait une information.

Ceci a permis aux enfants de démontrer aux adultes (tant aux parents qu’aux éducatrices) et ce qui était important pour eux.

Les enfants ont pu ensuite choisir 5 photos qu’ils ont présentées à leurs camarades.

Dans les deux cas, cela aidait les enfants moins habiles verbalement tout en les encourageant à s’exprimer.

Plusieurs enfants s’étaient représentés en faisant la cuisine par exemple ou des travaux manuels).

Photo : https://askthescientists.com/family-cooking/  Photo : Anne Mauffette. Je fais une tarte.

Je répare la scie mécanique avec mon grand père. Photo Anne Mauffette


Des éléments de la culture populaire (figurines de films et accessoires de princesses) étaient aussi très présents.


Phase 2 : Une réflexion sur le curriculum du milieu éducatif

Est-ce que ce qui importe aux enfants est présent dans le milieu éducatif? Les activités dans l’environnement encouragent-t-elles  le développement continu des compétences pratiquées à la maison par ces enfants et étaient-elles en lien avec leurs intérêts?

Cela a soulevé des questions dans l’équipe. Faut-il laisser de côté certains types d’activités? Qu’est- ce qui vaut la peine d’être intégré et pourquoi?

Dans ce centre, il n’y avait pas de coin cuisine et les représentations de culture populaire (personnages) étaient défendus et ce type de jeu découragé. De plus pour ne pas encourager les stéréotypes, ou les dérives commerciales, il n’y avait pas de panoplie de princesses, etc.

Après discussion l’équipe en est arrivé à un compromis : ils ont ajouté des tissus et du matériel brillant pouvant servir à la confection de costumes de princesses et du matériel pour fabriquer des épées (pour terrasser un dragon par exemple). Ils ont aussi ajouté un coin cuisine rudimentaire.

 Un intérêt pour les cheveux, la beauté était ressorti. Les adultes ont fait appel à une maman qui faisait des coiffures embellies de perles et qui est venue coiffer tous les enfants (l’éducateur compris). Ils sont aussi allés voir une exposition célébrant la diversité et la beauté des cheveux noirs.

Phase 3 : Observation des effets des changements apportés.

Les adultes ont pu constater que les enfants qui se tenaient à l’écart se sont tout de suite emparés des nouveaux éléments et se sont mis à jouer ensemble à leurs jeux favoris, en y apportant des variations de leur cru. La socialisation et le langage des enfants se sont améliorés. Et grâce entre autres aux histoires racontées par l’adulte, leurs jeux ses sont diversifiés avec le temps.

Quand le curriculum respecte la vie des enfants, les enfants peuvent représenter leurs propres histoires et leurs intérêts dans les jeux symboliques qui sont parfois empreints de questions complexes sur lesquels on pourrait revenir ensuite.

L’éducateur a aussi lu des histoires où les protagonistes étaient de toutes origines et transcendaient les rôles stéréotypés élargissant les conceptions des enfants. La princesse dans un sac de Robert Munch, par exemple.

Certains garçons s’étaient aussi déguisés en princesses ce qui a provoqué des discussions entre enfants. L’éducateur a pu discuter avec les enfants sur les rôles stéréotypés axés sur le genre et ceux-ci ont finalement conclu que tout le monde pouvait se déguiser en ce qu’ils voulaient. Il leur a lu My princess Boy de Cheryl Kilovadis (qu’on pourrait remplacer par le livre de Catherine Chambon, Mon frère, ma princesse) et aussi la version de Raiponce reprise par Rachel Isadora où l’héroïne est une princesse afro-américaine.

Deuxième projet 1:

Certains éducateurs, après une période de mise en confiance, ont invité les parents à soit venir au centre ou se déplacer chez eux pour parler de ce que l’enfant aime faire à la maison et ce que l’éducatrice a remarqué par rapport à ses intérêts.

Les parents ont réalisé l’importance de tout ce que faisait l’enfant à la maison seul ou avec eux.









Photo: Danielle Jasmin


Les éducatrices sont revenues avec des idées de transformations possibles dans l’environnement : rajout d’un établi par exemple, un coin musique...

 

Troisième projet : La création d’un Mc Donald2

Le jeu sociodramatique est une occasion pour les enfants de faire des liens entre les éléments de leurs vies, de représenter ce qu’ils savent et de construire ensemble de nouvelles compréhensions2. Une éducatrice ou enseignante peut observer leur jeu et découvrir leurs modes de vie et en tenir compte dans son curriculum.2

Voici un exemple où les adultes, en respectant les intérêts des enfants, leur ont donné du pouvoir sur l’orientation de leurs apprentissages.

Dans leurs jeux dramatiques les enfants incluaient souvent des références culturelles issues des médias (jouant à « Spiderman», la Reine des Neiges, etc.) ainsi que de leurs habitudes familiales (aller restaurant par exemple).

 Photo 

Photo: Garden Gate Dev.Centre

L'idée d'un enfant a donné naissance à un jeu récurrent et complexe. Celui-ci avait utilisé de gros blocs pour construire un service à l'auto de MC Donald. Puis il a demandé à d'autres enfants de l'aider dans sa réalisation. Plusieurs enfants ont répondu à son appel.

Puis un scénario est mis en place avec des rôles différents : l’un prend les commandes à la fenêtre, l’autre prépare les « Joyeux Festins», un autre les jouets qui les accompagnent, un autre encaisse l’argent, d’autres des clients. « Vite, il y a des clients!» Les enfants ont utilisé toutes sortes de matériaux de substitution (un bloc comme téléphone, des Légos, petits sac de sable, des animaux, des petites autos, une boîte comme caisse enregistreuse, etc.) pour représenter les éléments réels du restaurant et partagé le sens donné à chacun d’eux. Ils ont aussi abordé la question de l’argent (« Cela fait 25$»). Ils ont démontré leur compréhension du fonctionnement de ce type de restaurant. 

La combinaison de la représentation symbolique et de la tenue de rôles spécifiques sont typiques du jeu mature. L’enseignante en a profité pour nommer les rôles («Oh! Tu es le gérant») augmentant le vocabulaire des enfants relié au thème choisi par eux.

 

Une autre possibilité de dialogue : la documentation

Le partage de la documentation des dires, gestes et productions des enfants est une façon de rendre visible les apprentissages des enfants, aux enfants mêmes d’abord et à tous les adultes qui gravitent autour d’eux.

Voici comme exemple un petit extrait  de l’article Les lettres parlons-en où je décris l’évolution de Nathan par rapport à sa connaissance progressive des lettres.

J’ai partagé avec les parents cette documentation et la maman m’a dit qu’il avait écrit sur un tableau à la maison la lettre O de son chien TOGO.

Les vidéos et images sont particulièrement appréciées et sont plus accessibles à tous. Avec les textes et commentaires de l’éducatrice ou enseignante, elles témoignent des progrès des enfants, de leur vie dans le groupe, de leurs expériences, du contexte, des décisions des éducatrices et enseignantes (matériel et activités proposés, etc.) et sont une ressource concrète à partir de laquelle discuter et réfléchir sur leur développement. Les parents apportant leurs points de vue et apportant de nouvelles informations dans une conversation à deux sens. Cela peut être le début d’une collaboration authentique.

Voir aussi : Documenter le jeu ça sert à quoi? :https://jeulibrequebec.blogspot.com/p/documenter-le-jeu-quoi-nca-sert.html

 

Sentir la complicité de son ou ses parents (ou substituts) avec son éducatrice ou enseignante est très sécurisant pour l’enfant. Cela permet aussi à l’éducatrice ou l’enseignante d’avoir une vision holistique de l’enfant.

Chacune trouvera des façons de faciliter ces liens : une rencontre dans un parc, un pique nique, une invitation à une exposition, fabrication de cerfs-volants et les faire voler, projection de vidéos des enfants, etc.

Mais surtout être à l'écoute des enfants et de leur familles, se donner du temps et les moyens pour les connaître et tisser de véritables liens.

Une enseignante à la retraite me disait, qu'étant donné que la majorité des enfants habitaient dans le quartier de l'école, elle partait 30 minutes avant l'heure de la sortie pour aller reconduire les camarades qui demeuraient sur la même rue. Certes parents ou gardiennes leur demandaient d'arriver  plus tôt afin que le groupe reçoive une collation. Bien sûr, le contexte a changé (autobus, parents au travail, etc.), mais le but reste le même.

Ici, les parents ont été invités à une randonnée.
Photo: Garden Gate Development Centre


 










En fait, il s’agit d’aider l’ enfant à se forger une identité où il n’est pas obligé de renier des parties de son fond de connaissances et d’identité, mais bien de concilier et d’en renforcer les différents éléments.

Pourrait-on considérer les expériences qu’ont les enfants dans leurs familles comme des connaissances et en tenir compte dans notre planification? Comment permettre aux enfants d’effectuer des transferts de connaissances dans les différents contextes éducatifs?

Sommes-nous prêtes à créer un environnement et un curriculum qui rejoint tous les enfants et à nous laisser guider par les idées des enfants afin qu’ils acquièrent une identité positive au préscolaire, sans être obligés de laisser de côté des aspects importants de leur vie ?

 

Références : Cet article a été fortement influencé par la lecture des deux livres suivants :

1.      Fleet, Alma and Reed Michael (2019) Rethinking Play as Pedagogy. Thinking about Pedagogy in Early Education Edited by Sophie Alcock and Nicola Stobbs, Routledge, Taylor and Francis Group, London and New York.

 

2.      Nicholson, Julie and Wisneski, Debora B. (2020) Reconsidering the Role of Play in Early Childhood. Routledge, Taylor and Francis Group, London and New York.

Impliquer les enfants dans la création des coins de jeu.

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