Par Anne Gillain Mauffette
La
continuité entre la maison et les autres milieux éducatifs est reconnue comme
précieuse pour assurer le développement des enfants.
Qu’est-ce
qu’on met en place dans notre environnement et notre planification pour établir
ce lien avec les familles?
Photo : Young Children, 1 June 2021 |
Bien sûr, en début d’année, notre rôle principal est de:
-
Observer les enfants, particulièrement dans
les périodes de jeu libre où ils sont vraiment eux-mêmes, pour essayer de
cerner leurs intérêts, essayer de comprendre et interpréter leur jeu, mais
aussi avoir une idée de leurs compétences émotionnelles, sociales, linguistiques
et cognitives, leur degré d’auto- régulation, leur créativité, etc. Observer les
individus mais également le groupe et remarquer les aspects relationnels et
émotionnels.
-
Établir
un climat de sécurité où l’enfant va pouvoir être libre de jouer à sa manière.
-
Fournir
du matériel ouvert qui permet aux enfants de choisir leur jeu et d’exprimer
leurs idées, sentiments, émotions.
Souvent le jeu des enfants prend ses origines dans
leur culture familiale : ils mettent en scène leurs expériences vécues et
représentent leurs connaissances acquises.1 Ils vont recréer, de
façon imaginaire, les situations dans lesquelles ils ont participé. Encore
faut-il que l’environnement éducatif permette aux enfants de refléter celles-ci.
Chaque famille a son lot de connaissances
incluant des informations, des habiletés, des stratégies, des façons de penser
et d’apprendre, des approches éducatives et des compétences pratiques.1
Comment inclure et valoriser le type d’activités vécues à la maison? Les
enfants ont-ils l’occasion de modifier des choses dans l’environnement pour
représenter leurs expériences familiales? Comment en apprendre sur la culture
familiale des enfants?
Même avant
l’accueil, pouvons-nous penser à des façons de faire un pont entre la famille
et notre milieu?
L’identité
est ce qui nous rend singulier. L’identité des enfants est faite de multiples
éléments (caractéristiques physiques, personnelles, sociales, affectives et
caractéristiques familiales) qui sont influencés par les autres dans leur
environnement (famille, voisins, communauté, éducatrices, enseignants,
camarades, etc.). Ils ont des frères des sœurs ou pas. Leurs milieux de vie sont
situés géographiquement.
Les enfants
se font et refont des représentations d’eux-mêmes. L’éducatrice ou
l’enseignante a un rôle crucial dans le regard que l’enfant va poser sur
lui-même et sa famille. Comment s’assurer que les enfants conservent un
sentiment positif d’eux-mêmes? Comment développer des relations signifiantes
avec les familles?
Voici
quelques exemples qui pourraient vous inspirer.
Deux initiatives :
Première :
des photos des familles
Parler des différences est bénéfique pour tous les enfants et leur développement identitaire.
Après un certain temps, les photos ont été mises dans un album : Le Livre des Familles que les enfants pouvaient consulter et continuer à échanger ou se consoler ou se rassurer au besoin.
Deuxième :
à la recherche de partenaires éducatifs
Dans une
autre école, une enseignante pour mieux connaître les parents, a fait un
sondage pour récolter des informations sur leurs loisirs, leurs occupations,
leurs voyages, leurs disponibilités, etc., afin de faire une place dans sa
planification à l’expertise de tous et
faire appel à l’un ou à l’autre pour enrichir les activités et le curriculum.
Photo: Suzie Nadeau |
Dans une discussion avec les enfants, l’enseignante apprend que les parents d’un enfant élevaient des poules. Ce petit garçon était en général timide. Mais là, c’’était lui l’expert dans la classe au sujet des poulets. Il était beaucoup plus loquace.
Sa maman est
venue avec une poule dans la maternelle ce qui a donné naissance à un projet.
Voir Un projet emballant: de l’œuf à la poule et de la poule à l’œuf : https://jeulibrequebec.blogspot.com/2021/03/un-projet-emballant-de-luf-la-poule-ou.html
Mais que peut-on faire de plus?
Les enfants
acquièrent dans leur milieu des compétences. Celles-ci ne sont pas toujours
visibles ou reconnues dans le milieu éducatif si on ne se penche pas sur leur
quotidien.
Les enfants
dans un groupe sont souvent différents culturellement, linguistiquement,
économiquement. Pour certains enfants, leurs histoires ressemblent à celle de
l’éducatrice ou l’enseignante et leur culture est assez proche de celle de la
garderie, du CPE ou de l’école : ils s’y sentent donc plus facilement et
rapidement à l’aise. Mais pour d’autres, il y a un écart entre la culture vécue
à la maison et celle dans laquelle ils se retrouvent. Quels moyens peut-on
prendre pour atténuer cet écart et faire que tous les enfants se retrouvent
dans le nouvel environnement.
Penser
l’environnement afin qu’il reflète le quotidien des enfants est une façon d’y
arriver. En interrogeant les parents sur leurs lieux d’origine, leurs habitudes
culinaires (quels ustensiles utilisent-il : un mortier et un pilon, un
tajine, un wok, une galettière?), on pourra introduire des éléments des
différentes cultures présentes dans la classe. Des textiles de différents pays,
des coussins, du matériel dans le coin cuisine et des poupées aux teints différents…
On pourra
ajouter des livres dans notre bibliothèque représentant la vie actuelle, réelle
des enfants : blocs d’appartements et non juste des maisons unifamiliales,
maman avec tatouage et piercing (comme dans Un
chien dans la Maison de Bob Graham), différents types de familles, ainsi
que des livres plurilingues (voir Elodil).
Mon papa, mon papa et moi.
Photo : https://welcomingschools.org/resources/welcoming-schools-and-early-childhood-education
Mais ce n’est pas suffisant.
Des idées originales.
Premier projet2 :
Au Child Development Center, les éducateurs
et éducatrices (accompagnés de chercheurs), ayant constaté que certains enfants
ne participaient pas beaucoup au jeu et avaient tendance à être solitaires, se
sont interrogés : comment aller « chercher» ces enfants-là pour qu’ils
s’engagent davantage?
Ils ont
décidé de chercher à mieux connaître tous les enfants, en ayant une meilleure
connaissance de leur vie dans leurs familles.
Phase 1 : Un photoreportage par
les enfants, des entrevues et une présentation.
Les enfants,
déjà habitués aux caméras ont été chargés, avec la permission des parents de
prendre des photos, pendant quelques jours, de ce qu’ils aimaient faire chez
eux.
Cela donnait
aux enfants le pouvoir de faire leurs propres choix nous permettant de
visualiser leurs idées.
Après la
prise de photos (entre 25 et 35), les responsables ont organisé des photos-entrevues
avec chaque enfant et leurs parents, où l’enfant choisissait l’ordre et le
nombre de photos qu’ils voulaient montrer et les commentaient. Cela a amené à
une variété de narrations d’histoires. Parfois un parent ajoutait une
information.
Ceci a
permis aux enfants de démontrer aux adultes (tant aux parents qu’aux éducatrices)
et ce qui était important pour eux.
Les enfants
ont pu ensuite choisir 5 photos qu’ils ont présentées à leurs camarades.
Dans les
deux cas, cela aidait les enfants moins habiles verbalement tout en les
encourageant à s’exprimer.
Plusieurs enfants s’étaient
représentés en faisant la cuisine par exemple ou des travaux manuels).
Je répare la scie mécanique avec mon grand père. Photo Anne Mauffette |
Phase
2 : Une réflexion sur le curriculum du milieu éducatif
Est-ce que
ce qui importe aux enfants est présent dans le milieu éducatif? Les activités
dans l’environnement encouragent-t-elles
le développement continu des compétences pratiquées à la maison par ces
enfants et étaient-elles en lien avec leurs intérêts?
Cela a
soulevé des questions dans l’équipe. Faut-il laisser de côté certains types
d’activités? Qu’est- ce qui vaut la peine d’être intégré et pourquoi?
Dans ce
centre, il n’y avait pas de coin cuisine et les représentations de culture
populaire (personnages) étaient défendus et ce type de jeu découragé. De plus
pour ne pas encourager les stéréotypes, ou les dérives commerciales, il n’y
avait pas de panoplie de princesses, etc.
Après
discussion l’équipe en est arrivé à un compromis : ils ont ajouté des
tissus et du matériel brillant pouvant servir à la confection de costumes de
princesses et du matériel pour fabriquer des épées (pour terrasser un dragon
par exemple). Ils ont aussi ajouté un coin cuisine rudimentaire.
Un intérêt pour les cheveux, la beauté était
ressorti. Les adultes ont fait appel à une maman qui faisait des coiffures
embellies de perles et qui est venue coiffer tous les enfants (l’éducateur compris).
Ils sont aussi allés voir une exposition célébrant la diversité et la beauté
des cheveux noirs.
Phase
3 : Observation des effets des changements apportés.
Les adultes
ont pu constater que les enfants qui se tenaient à l’écart se sont tout de
suite emparés des nouveaux éléments et se sont mis à jouer ensemble à leurs
jeux favoris, en y apportant des variations de leur cru. La socialisation et le
langage des enfants se sont améliorés. Et grâce entre autres aux histoires
racontées par l’adulte, leurs jeux ses sont diversifiés avec le temps.
Quand le
curriculum respecte la vie des enfants, les enfants peuvent représenter leurs
propres histoires et leurs intérêts dans les jeux symboliques qui sont parfois
empreints de questions complexes sur lesquels on pourrait revenir ensuite.
L’éducateur
a aussi lu des histoires où les protagonistes étaient de toutes origines et
transcendaient les rôles stéréotypés élargissant les conceptions des enfants.
La princesse dans un sac de Robert Munch, par exemple.
Certains garçons s’étaient aussi déguisés en princesses ce qui a provoqué des discussions
entre enfants. L’éducateur a pu discuter avec les enfants sur les rôles
stéréotypés axés sur le genre et ceux-ci ont finalement conclu que tout le
monde pouvait se déguiser en ce qu’ils voulaient. Il leur a lu My princess Boy
de Cheryl Kilovadis (qu’on pourrait remplacer par le livre de Catherine
Chambon, Mon frère, ma princesse) et aussi la version de Raiponce reprise par
Rachel Isadora où l’héroïne est une princesse afro-américaine.
Deuxième projet 1:
Certains
éducateurs, après une période de mise en confiance, ont invité les parents
à soit venir au centre ou se déplacer chez eux pour parler de ce que l’enfant
aime faire à la maison et ce que l’éducatrice a remarqué par rapport à ses
intérêts.
Les parents
ont réalisé l’importance de tout ce que faisait l’enfant à la maison seul ou
avec eux.
Photo: Danielle Jasmin
Les
éducatrices sont revenues avec des idées de transformations possibles dans
l’environnement : rajout d’un établi par exemple, un coin musique...
Troisième projet : La
création d’un Mc Donald2
Le jeu
sociodramatique est une occasion pour les enfants de faire des liens entre les
éléments de leurs vies, de représenter ce qu’ils savent et de construire
ensemble de nouvelles compréhensions2. Une éducatrice ou enseignante
peut observer leur jeu et découvrir leurs modes de vie et en tenir compte dans
son curriculum.2
Voici un
exemple où les adultes, en respectant les intérêts des enfants, leur ont donné
du pouvoir sur l’orientation de leurs apprentissages.
Dans leurs
jeux dramatiques les enfants incluaient souvent des références culturelles
issues des médias (jouant à « Spiderman», la Reine des Neiges, etc.) ainsi que
de leurs habitudes familiales (aller restaurant par exemple).
Photo: Garden Gate Dev.Centre |
L'idée d'un enfant a donné naissance à un jeu récurrent et complexe. Celui-ci avait utilisé de gros blocs pour construire un service à l'auto de MC Donald. Puis il a demandé à d'autres enfants de l'aider dans sa réalisation. Plusieurs enfants ont répondu à son appel.
Puis un scénario est mis en place avec des rôles différents : l’un prend les commandes à la fenêtre, l’autre prépare les « Joyeux Festins», un autre les jouets qui les accompagnent, un autre encaisse l’argent, d’autres des clients. « Vite, il y a des clients!» Les enfants ont utilisé toutes sortes de matériaux de substitution (un bloc comme téléphone, des Légos, petits sac de sable, des animaux, des petites autos, une boîte comme caisse enregistreuse, etc.) pour représenter les éléments réels du restaurant et partagé le sens donné à chacun d’eux. Ils ont aussi abordé la question de l’argent (« Cela fait 25$»). Ils ont démontré leur compréhension du fonctionnement de ce type de restaurant.
La combinaison de la représentation
symbolique et de la tenue de rôles spécifiques sont typiques du jeu mature.
L’enseignante en a profité pour nommer les rôles («Oh! Tu es le gérant»)
augmentant le vocabulaire des enfants relié au thème choisi par eux.
Une autre possibilité de
dialogue : la documentation
Le partage
de la documentation des dires, gestes et productions des enfants est une façon
de rendre visible les apprentissages des enfants, aux enfants mêmes d’abord et
à tous les adultes qui gravitent autour d’eux.
Voici comme
exemple un petit extrait de l’article Les lettres parlons-en où je décris
l’évolution de Nathan par rapport à sa connaissance progressive des lettres.
J’ai partagé
avec les parents cette documentation et la maman m’a dit qu’il avait écrit sur
un tableau à la maison la lettre O de son chien TOGO.
Les vidéos
et images sont particulièrement appréciées et sont plus accessibles à tous.
Avec les textes et commentaires de l’éducatrice ou enseignante, elles témoignent
des progrès des enfants, de leur vie dans le groupe, de leurs expériences, du
contexte, des décisions des éducatrices et enseignantes (matériel et activités
proposés, etc.) et sont une ressource concrète à partir de laquelle discuter et
réfléchir sur leur développement. Les parents apportant leurs points de vue et
apportant de nouvelles informations dans une conversation à deux sens. Cela
peut être le début d’une collaboration authentique.
Voir aussi : Documenter le jeu ça sert à quoi? :https://jeulibrequebec.blogspot.com/p/documenter-le-jeu-quoi-nca-sert.html
Sentir la
complicité de son ou ses parents (ou substituts) avec son éducatrice ou
enseignante est très sécurisant pour l’enfant. Cela permet aussi à l’éducatrice
ou l’enseignante d’avoir une vision holistique de l’enfant.
Chacune trouvera des façons de faciliter ces liens : une rencontre dans un parc, un pique nique, une invitation à une exposition, fabrication de cerfs-volants et les faire voler, projection de vidéos des enfants, etc.
Mais surtout être à l'écoute des enfants et de leur familles, se donner du temps et les moyens pour les connaître et tisser de véritables liens.
Une enseignante à la retraite me disait, qu'étant donné que la majorité des enfants habitaient dans le quartier de l'école, elle partait 30 minutes avant l'heure de la sortie pour aller reconduire les camarades qui demeuraient sur la même rue. Certes parents ou gardiennes leur demandaient d'arriver plus tôt afin que le groupe reçoive une collation. Bien sûr, le contexte a changé (autobus, parents au travail, etc.), mais le but reste le même.
Ici, les parents ont été invités à une randonnée. Photo: Garden Gate Development Centre |
En fait, il s’agit d’aider l’ enfant à se forger une identité où il n’est pas obligé de renier des parties de son fond de connaissances et d’identité, mais bien de concilier et d’en renforcer les différents éléments.
Pourrait-on
considérer les expériences qu’ont les enfants dans leurs familles comme des
connaissances et en tenir compte dans notre planification? Comment permettre
aux enfants d’effectuer des transferts de connaissances dans les différents
contextes éducatifs?
Sommes-nous
prêtes à créer un environnement et un curriculum qui rejoint tous les enfants
et à nous laisser guider par les idées des enfants afin qu’ils acquièrent une
identité positive au préscolaire, sans être obligés de laisser de côté des
aspects importants de leur vie ?
Références : Cet article a été fortement influencé
par la lecture des deux livres suivants :
1.
Fleet, Alma and Reed Michael (2019)
Rethinking Play as Pedagogy. Thinking about Pedagogy in Early Education Edited
by Sophie Alcock and Nicola Stobbs, Routledge, Taylor and Francis Group, London
and New York.
2.
Nicholson, Julie and Wisneski, Debora
B. (2020) Reconsidering the Role of Play
in Early Childhood. Routledge, Taylor and Francis Group, London and New
York.
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