Par Anne Gillain Mauffette
Photo Apprendre à éduquer |
Selon une étude, au primaire, 76% des enseignantes utilisent un système d’émulation et que 95% d’entre elles l’utilisent auprès de tout le groupe d’élèves.1
Qu’en est-il au préscolaire?
Il semble que ces systèmes soient populaires aussi au préscolaire et prennent différentes formes : tableaux de renforcement, points Dojo, argent de Monopoly ou scolaire, autocollants, tirages, etc. Les récompenses et privilèges varient allant de bonbons ou petits objets, à des activités spéciales (venir en pyjama, activité seule avec l’enseignante).
Il semble que ni le stress ni le sentiment d’efficacité personnelle en gestion de classe ne soit des facteurs.
Les réponses des enseignantes sont variées : pour motiver les élèves, les encourager, les récompenser, les responsabiliser, les valoriser, modifier des gestes et attitudes, améliorer le respect des consignes ou règles, pour améliorer le climat de la classe, réduire les interventions disciplinaires, développer la capacité de l’élève à s’auto-évaluer, améliorer le rendement scolaire.2
Mais sont-ils
efficaces et pour qui?
À qui profitent-ils?
Aux enfants qui de toute façon ont de la facilité à se comporter en groupe et qui n’en auraient pas vraiment besoin. Ce sont souvent les mêmes qui en bénéficient et certains n’en ont jamais n’ayant pu se conformer aux exigences.
Ce qu’il faut savoir : conditions d’application 3
- En fait, les systèmes d’émulation, tableaux de renforcement ou de motivation devraient être réservés aux enfants ayant de grandes difficultés comportementales 3.
- Ils devraient être temporaires et la durée spécifiée
- Ils devraient cibler un comportement à la fois
- L’enfant doit comprendre les conséquences logiques du comportement inadéquat
- Le comportement attendu a été explicité, modelé, compris
- Les renforcements ou récompenses doivent être donnés dès que le comportement attendu est manifesté
- Ils doivent être connus de l’enfant. Idéalement décidés avec lui.
- Le fonctionnement du système doit être clair. Le mode de distribution des récompenses ou renforçateurs aussi.
Des inconvénients à l’application à tout un groupe :
Il se peut que, malgré nos bonnes intentions, ceux-ci aient des effets contraires à ceux désirés. Ils pourraient :
- Développer une dépendance aux récompenses extérieures;
- Diminuer la motivation intrinsèque;
- Entraîner de la compétition, des comparaisons;
- Diminuer les comportements pro sociaux naturels des enfants;
Photo Boulder Journey Preschool
Diminuer l’intérêt pour les activités proposées si elles ne sont pas accompagnées de récompenses;
- Habituer les enfants à se conformer aux règles pour avoir une récompense et non pour ce que cela a de bon pour eux -mêmes et le fonctionnement de la classe ou pour la fierté d’avoir réussi ou bien agi;
- Créer du stress chez les enfants.
Ces systèmes sont lourds à gérer et demandent une grande rigueur, une attention continuelle car un enseignant qui ignore un « bon » comportement chez un des enfants et l’a remarqué chez un autre va perdre en crédibilité et l’enfant va trouver qu’il est injuste. Notre relation avec lui peut en souffrir.
Les élèves chez qui on souhaiterait voir une amélioration de leurs comportements sont ceux qui sont le plus souvent privés de ces récompenses ou privilèges.
De plus les acquis ne sont pas permanents et risquent de disparaître à la fin de la mise en place du système4.
Deux
exemples :
Lumière rouge verte et jaune :
Les tableaux de comportements de systèmes de couleurs
s’inscrivent dans un système punition/récompenses.4
Il s’agit de ne pas se retrouver dans le jaune et encore moins dans le rouge où ils seront sanctionnés).
En fait ils mettent l’accent sur les difficultés de l’un ou de l’autre à rester dans le vert.
Ils ne réussissent souvent pas à éteindre les comportements indésirables des enfants ayant des difficultés.
Les enfants se sentent sous surveillance et évaluation constante ce qui peut causer du stress même chez des enfants qui coopèrent facilement.
Les tirages :
Ceux-ci démotivent tous les enfants sauf celui ou celles qui gagnent. De plus, il y a un temps d’attente entre les comportements attendus auxquels on a attribué des points, un pompon, etc. et le moment de la vraie récompense. « Un système d’émulation réfère à un outil où l’élève reçoit immédiatement un renforcement suite à un comportement adéquat » (Couture et Nadeau ,2013). Pour avoir de l’effet, il faut éviter les temps de latence.
Que faire
alors?
Quel est le moyen le plus efficace pour motiver les enfants?
Les feedbacks positifs sont l’outil le plus puissant. à condition d'être perçus comme informationnels et non contrôlants. En plus de renforcer leur estime de soi et encourager les comportements ou attitudes ou aptitudes désirées, ils renforcent la relation qu’on a avec les enfants. De plus ces remarques augmentent la motivation des autres enfants.
« J'ai vu que tu as travaillé longtemps à ta construction ( ou ton dessin).»
« Merci Mathieu d’avoir partagé la pâte à modeler avec Érika, c’était très généreux de ta part. »
« J’ai remarqué que tu as aidé Camille à monter sur la poutre d’équilibre, c’est très aimable. »
D’autres pratiques peuvent favoriser l’adaptation des enfants :
- Leur offrir des choix d’activité qui correspondent à leurs intérêts, du matériel stimulant leur réflexion et créativité qui vont engager leur participation, des projets concrets emballants,
Photos Suzie Nadeau dans : Projet : élevage de chenilles de papillon monarque, |
- Favoriser leur autonomie,
- Donner du soutien lors de difficultés, les aider à résoudre leurs problèmes,
- Les aider à développer leurs compétences émotionnelles et relationnelles
- Mettre l’accent sur les efforts.
- Faire preuve de bienveillance; ne pas humilier
- Favoriser l’entraide, les activités qui demandent de la coopération
Photo Boulder Journey Preschool |
- Augmenter les périodes dehors. Les enfants ont plus d’espace, de liberté de mouvement et d’expression à l’extérieur. Il y a bien moins de conflits et de problèmes de comportements et 15 minutes dans la nature diminuent les manifestations d’hyperactivité.
- Respecter leur besoin de bouger.
- Documenter leurs jeux, leurs apprentissages et partager ceci avec les enfants et les parents (très apprécié de tous).
- Augmenter les communications avec les parents
Et pour un enfant ayant de sérieuses difficultés, on négocie, seul à seul, en privé, avec lui, une entente. On l’aura bien sûr, auparavant, observé dans toutes sortes de situations, à différents moments de la journée (jeux libres, récréations, dîner, gymnase, garderie scolaire), pour tenter d’identifier les facteurs qui provoquent les comportements indésirables. S’agit-il de quelque chose dans l’environnement, d’une personne en particulier, etc. Établir leur fréquence, etc. et documenter le tout (sans oublier ses bons coups). On fera appel si nécessaire et si possible à de l’aide.
Conclusion :
Ces systèmes méritocratiques sont très courants dans notre société : médailles, certificats, Méritas, etc. Ces approches comportementales, basées sur le conditionnement opérant, sont issues de modèles béhavioristes, difficilement conciliables avec une vision socio constructiviste et humaniste tel que celle du programme québécois.
Les jeunes enfants ont une curiosité naturelle qui sous-tend leur motivation et la plupart entrent à l’école avec le désir d’apprendre. Il y a peu de recherches sur les systèmes d’émulation pour ce groupe d’âge, mais on a constaté que plus ils sont jeunes, plus ils sont sensibles aux appâts que sont les récompenses tangibles. Mais c’est un peu dommage d’en faire déjà des consommateurs en «achetant» leur coopération.
Certaines enseignantes sont tiraillées entre leurs principes et l’application de telles méthodes. Dans un milieu préscolaire, où en principe on respecte l’unicité de chaque enfant, ces techniques ne tiennent pas compte des circonstances dans lesquelles se retrouvent certains enfants (impulsivité, manque de vocabulaire pour s’exprimer, etc.).
Ces systèmes appliqués à tout un groupe, renforcent les inégalités entre les enfants. Ils exacerbent les différences.
Les enfants du préscolaire sont en développement, pas seulement au niveau cognitif mais affectif et social. Mais on tolère mieux les erreurs cognitives des enfants que leurs manquements comportementaux. L’autorégulation des enfants est en formation comme l’est encore leur cerveau préfrontal.
Les systèmes d’émulation devraient être utilisés stratégiquement, individuellement, être différenciés et exclusivement pour les enfants qui en ont réellement besoin c’est-à- dire que dans des cas exceptionnels.
Avant d’instaurer un système d’émulation, pensons à qui cela va vraiment servir, aux valeurs que nous transmettons et aux autres possibilités qui s’offrent à nous.
Références :
1.
Fortin, A.; Prud’homme L. et Gaudreau N.
(2017) Le recours au système d’émulation, relation avec le stress et le
sentiment d’efficience personnelle en gestion de classe d’enseignants au
primaire. Collectif de la Chaire de recherche sur la sécurité et la violence
en milieu éducatif Vol.3 No.2 Avril. https://www.violence-ecole.ulaval.ca/fichiers/site_chaire_cbeaumont_v2/documents/Carnet_de_la_Chaire/Volume_3_no_2_2017.pdf
2.
Richard, M. et Bissonnette, S. (1999). Les
systèmes d’émulation en salle de classe : une erreur due à l’unique recours au
savoir d’expérience. Vie pédagogique,
mai, avril (111),
3. Les systèmes d’émulation pour motiver ou démotiver? https://seduc.cssdd.gouv.qc.ca/les-systemes-demulation-pour-motiver-ou-demotiver
4. Apprendre à éduquer. Les inconvénients des tableaux de comportements ou de systèmes d’émulation : 5 alternatives. https://apprendreaeduquer.fr/les-inconvenients-des-tableaux-de-comportements/
5. Ulba J.; Hammam K.; Tomasello M.
(2016)Extrinsic rewards diminish costly sharing in 3 Years Old, Child Development July-August Vol. 87 No.4 p
1192-1203.
6.
Deci, L.E.; Koestner K.R.; Ryan R.M. ( 2001) Extrinsic
rewards and intrinsic motivation: Reconsidered again, Review of Educational Research Spriong, Vol. 71 Issue
1.P.127 https://selfdeterminationtheory.org/SDT/documents/2001_DeciKoestnerRyan.pdf
7.
Evgenia, T. (2014) Early years education:
are your young students intrinsically or extrinsically motivated toward school
activities? A demonstration about the effects of rewards on young children’s
learning. Research in Teacher Education
Vol 9 No.1 april, p. 17-21
8.
Stipek (2002) Motivation to learn: from theory to practice (2002). Boston, M.
Allyn and Bacon.
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