Par Anne Gillain Mauffette
«La journée la
plus difficile, c’est la première. Il faudrait toujours avoir quelqu’un, une
cousine par exemple (elle pensait à sa cousine du même âge) pour nous
accompagner pendant la première journée d’école», dit Zoé 5 ans. Elle s’était
sentie bien seule.
Depuis quelques
temps, on semble contester l’importance de l’entrée progressive prétextant que
les enfants ont déjà des expériences de groupe dans les CPE ou la maternelle 4 ans.
Mais ce n’est pas
tous les enfants qui ont vécu cette initiation ; certains sont restés avec
un parent, d’autres ont déménagé, d’autres arrivent au pays et certains enfants
peuvent avoir des défis particuliers. Certains ont de grand frères ou grandes
sœurs à l’école et d’autres non : les situations sont multiples. Et même
pour les enfants ayant fréquenté une garderie, un CPE ou une garderie en milieu
familiale, il s’agit d’une importante et stressante transition: nouvel
environnement, nouvelles personnes, nouvelles règles. Ils ont perdus leurs
repères. Leurs routines sont complètement chamboulées.
Quant aux enfants
ayant fréquenté la maternelle 4 ans, même s’ils se sont familiarisés avec
l’école, ils vivent aussi une séparation avec leur ancienne enseignante,
possiblement avec ou avec une ou des personnes du milieu de garde scolaire et possiblement avec leurs amis (car les
groupes sont souvent refondus) et ils se retrouvent aussi en beaucoup plus
grand groupe. Cela demande quand même beaucoup d’adaptations.
Un moment charnière
L’entrée à l’école ou une nouvelle rentrée est un moment délicat pour l’enfant
(et sa famille). L’enfant peut avoir hâte ou peur ou les deux. Les parents sont
inquiets : comment sera l’enseignante, est-ce qu’elle va comprendre mon
enfant, mon enfant va-t-il se sentir bien, est-ce qu’il va se faire des amis,
répondra-t-il aux attentes? Comment rassurer l’enfant et les parents (car les
enfants ressentent le stress des parents) ?
Souvent, l’enfant doit s’adapter trop rapidement à des changements de
lieux, à la fréquentation d’un grand nombre d’étrangers (enfants et adultes), à
la rupture avec un adulte aimé (enseignante, éducatrice, parent), à l’adoption d’un nouveau moyen de transport
(les fameux autobus jaunes !) et à de nouvelles exigences de toutes
sortes.
Pour plusieurs enfants cela peut être une période difficile.
Pour que l’enfant puisse apprendre, il doit se sentir en sécurité. C’est
son enthousiasme et non pas ses angoisses que nous devons nourrir.
Établir une relation de confiance dès les premiers instants avec chacun
est l’objectif de l’enseignante au préscolaire mais ceci n’est possible que
dans des conditions modifiées c’est-à-dire avec moins d’enfants à la fois. Un
plus petit groupe, pendant quelques jours, lui permettra de véritablement
accueillir les enfants et d’établir ce lien essentiel qui assurera la sécurité
affective et psychologique de celui-ci. Cela permettra à l’enseignante de les
identifier, les observer dans leurs jeux et de commencer à les connaître.
Observer les enfants dans leur jeu. Photo©Danielle Jasmin |
Cette intégration ou réintégration à l’école exige beaucoup de l’enfant
et le fatigue : un horaire écourté et adapté à ses besoins lui permettra
de mieux faire face à tous ces nouveaux défis. On sait qu’au cours de la
journée, le niveau de cortisol (signe de
stress) augmente chez l’enfant. Pas étonnant qu’ensuite, parfois, à la maison,
certains explosent (pleurs, crises).
L'entrée progressive
Afin de faciliter ce passage, des mesures spéciales ont été mises en
place. Une de celles-ci est l’entrée progressive. Pendant quelques jours
l’enfant fréquentera la maternelle en plus petit groupe et pour moins
longtemps.
Plus longue est l‘expérience de l’enfant dans un moins grand groupe, plus son image de l’école sera positive et sa participation favorisée. Les recherches confirment qu’une entrée flexible et plus individualisée influence à long terme la réussite scolaire. La perte de quelques heures de classe en début d’année sera vite rattrapée grâce au climat installé : on aura en fait, gagné du temps!
Des études l’ont démontré, les premières
journées à l’école sont cruciales pour l’ajustement de l’enfant à son nouveau
milieu de vie et elles ont des conséquences à long terme sur la motivation de
l’enfant et ses attitudes face à l’apprentissage et l’école. L’entrée
progressive devient alors une condition nécessaire pour remplir le premier
mandat de l’éducation au préscolaire qui est de donner le goût de l’école.
Les enfants apprivoisent
l’environnement :une visite à la directrice. Photo©Danielle Jasmin
Elle est inscrite dans la convention collective des enseignantes même si le nombre de jours qui y sont consacrés peut varier.
Les parents sont en général d’accord
Lorsque cela a été bien expliqué et annoncé aux parents à l’avance, la
plupart d’entre eux soutiennent ces mesures, même si elles peuvent leur causer
quelques problèmes organisationnels pour quelques jours. Leurs commentaires
témoignent de leur appui: «Le fait d’avoir un plus petit groupe a beaucoup
aidé mon enfant.» «Après avoir vécu l’entrée progressive il y a quelques années
avec ma fille, je vois une différence cette année avec mon garçon. Ce fut plus
difficile (car) l’entrée progressive n’a pas eu lieu.»«J’ai aimé le concept
d’une demi-journée pour la première semaine afin que mon enfant s’habitue à la
maternelle, son professeur, les nouveaux règlements et ses nouveaux amis.»
Maintenir pour quelques jours de plus, le même arrangement que pendant
l’été ou permettre à l’enfant de retrouver son milieu familier tout de suite
après la demi-journée en maternelle, sont des façons d’assurer le succès d’une vraie
entrée progressive. Pour ceux pour lesquels ce n’est absolument pas possible,
il reste la garderie scolaire qui accueillera les enfants aussi en groupes
restreints.
D’autres mesures
Pour favoriser l’insertion de l’enfant en début d’année, d’autres
mesures pourraient être envisagées, avant même la rentrée. Pour aider l’enfant
à se familiariser avec ce qui l’attend, idéalement, l’enfant aurait eu
l’occasion de visiter l’école, la cour d’école, sa classe à une ou plusieurs
occasions.
Apprivoiser l’environnement extérieur Photo©Danielle Jasmin
Le ou les parents et l’enfant auraient pu rencontrer l’enseignante avant
le grand jour afin d’apaiser leurs inquiétudes. En fait, il faudrait augmenter
le nombre d’occasions pour les familles et les enseignantes de se rencontrer
avant la rentrée de façon positive, agréable.
Il semble que les familles de milieux économiquement défavorisés
profiteraient encore davantage de telles mesures transitionnelles.
Des rencontres pourraient avoir lieu entre les éducatrices ayant accompagné l’enfant l’année d’avant et l’enseignante entre l’enseignante de maternelle 4 ans et de maternelle 5 ans ainsi qu’entre les spécialistes qui suivent l’enfant et l’enseignante.
Conclusion
La forme que prend l’entrée progressive varie énormément selon les
milieux. Le nombre de jours accordés à l’entrée progressive varie aussi d’un Centre
de Services Scolaire à l’autre et même parfois, selon les Directions d’école (de deux à six jours). Il
a tendance, dans plusieurs cas, à rétrécir.
Pourtant les enfants ont besoin, dès leurs premiers moments en classe, d’être
vus, entendus reconnus et rassurés ce qui n’est pas possible en grand groupe. Nous
croyons que l’entrée progressive reste nécessaire.
Une transition réussie va favoriser l’adaptation dans les prochaines
transitions.
Mais une transition fluide a aussi besoin de plus de concertation entre les différents acteurs pour assurer une continuité éducative et pour partager nos connaissances sur les enfants ainsi que pour favoriser les relations école-famille.
Espérons que ce besoin fondamental des enfants sera respecté et que les modalités
d’entrée resteront souples et créatives pour le plus grand bonheur de tous et
toutes.
Références
Cet article a été inspiré par :
Deslandes R. et Jacques M. (2004) Les recherches sur l’entrée progressive, des résultats qui parlent. Revue Préscolaire Vol 42 no 1.
Ruel, J. ; Bérubé, A. ; Moreau, A.C. ; April J. (2018). Pratiques déployées lors de la transition vers la maternelle des enfants vivant en milieu défavorisé. Revue Internationale de l’éducation familiale No. 44 Pages 109à 129
C’est dans cet article que j’ai trouvé les écrits de :
Cook K.D. and Coley R.L. (2017) qui affirment que : « Une
transition de qualité est la fondation sur laquelle se construit le succès
scolaire» et que «Les milieux défavorisés profitent le plus des pratiques
transitionnelles».
Jacques M.H. (2016) qui souligne tous les changements auxquels l’enfant
fait face : environnement physique, social, relationnel, ses routines de
vie et les attentes à son égard.
Miller K. (2016) qui note que 30 à 50% d’enfants trouvent cette période
difficile
Petrakos H.H. et Lehrer J.S. (2011) qui parle du stress des parents
Ruel J. (2011) qui fait le lien entre les premières transitions et les
suivantes
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