jeudi 10 août 2023

Un investissement de quelques jours pour des profits à long terme : l’entrée progressive en maternelle.


Par Anne Gillain Mauffette

«La journée la plus difficile, c’est la première. Il faudrait toujours avoir quelqu’un, une cousine par exemple (elle pensait à sa cousine du même âge) pour nous accompagner pendant la première journée d’école», dit Zoé 5 ans. Elle s’était sentie bien seule.

 Photo Journal Saint François


Depuis quelques temps, on semble contester l’importance de l’entrée progressive prétextant que les enfants ont déjà des expériences de groupe dans les CPE ou la maternelle 4 ans.

Mais ce n’est pas tous les enfants qui ont vécu cette initiation ; certains sont restés avec un parent, d’autres ont déménagé, d’autres arrivent au pays et certains enfants peuvent avoir des défis particuliers. Certains ont de grand frères ou grandes sœurs à l’école et d’autres non : les situations sont multiples. Et même pour les enfants ayant fréquenté une garderie, un CPE ou une garderie en milieu familiale, il s’agit d’une importante et stressante transition: nouvel environnement, nouvelles personnes, nouvelles règles. Ils ont perdus leurs repères. Leurs routines sont complètement chamboulées.

Quant aux enfants ayant fréquenté la maternelle 4 ans, même s’ils se sont familiarisés avec l’école, ils vivent aussi une séparation avec leur ancienne enseignante, possiblement avec ou avec une ou des personnes du milieu de garde scolaire  et possiblement avec leurs amis (car les groupes sont souvent refondus) et ils se retrouvent aussi en beaucoup plus grand groupe. Cela demande quand même beaucoup d’adaptations.

 

Un moment charnière

L’entrée à l’école ou une nouvelle rentrée est un moment délicat pour l’enfant (et sa famille). L’enfant peut avoir hâte ou peur ou les deux. Les parents sont inquiets : comment sera l’enseignante, est-ce qu’elle va comprendre mon enfant, mon enfant va-t-il se sentir bien, est-ce qu’il va se faire des amis, répondra-t-il aux attentes? Comment rassurer l’enfant et les parents (car les enfants ressentent le stress des parents) ?

Souvent, l’enfant doit s’adapter trop rapidement à des changements de lieux, à la fréquentation d’un grand nombre d’étrangers (enfants et adultes), à la rupture avec un adulte aimé (enseignante, éducatrice, parent), à  l’adoption d’un nouveau moyen de transport (les fameux autobus jaunes !) et à de nouvelles exigences de toutes sortes.

Pour plusieurs enfants cela peut être une période difficile.

Pour que l’enfant puisse apprendre, il doit se sentir en sécurité. C’est son enthousiasme et non pas ses angoisses que nous devons nourrir.

Établir une relation de confiance dès les premiers instants avec chacun est l’objectif de l’enseignante au préscolaire mais ceci n’est possible que dans des conditions modifiées c’est-à-dire avec moins d’enfants à la fois. Un plus petit groupe, pendant quelques jours, lui permettra de véritablement accueillir les enfants et d’établir ce lien essentiel qui assurera la sécurité affective et psychologique de celui-ci. Cela permettra à l’enseignante de les identifier, les observer dans leurs jeux et de commencer à les connaître.

Observer les enfants dans leur jeu. Photo©Danielle Jasmin










Cette intégration ou réintégration à l’école exige beaucoup de l’enfant et le fatigue : un horaire écourté et adapté à ses besoins lui permettra de mieux faire face à tous ces nouveaux défis. On sait qu’au cours de la journée, le niveau de cortisol (signe  de stress) augmente chez l’enfant. Pas étonnant qu’ensuite, parfois, à la maison, certains explosent (pleurs, crises).

 

L'entrée progressive

Afin de faciliter ce passage, des mesures spéciales ont été mises en place. Une de celles-ci est l’entrée progressive. Pendant quelques jours l’enfant fréquentera la maternelle en plus petit groupe et pour moins longtemps.

Plus longue est l‘expérience de l’enfant dans un moins grand groupe, plus son image de l’école sera positive et sa participation favorisée. Les recherches confirment qu’une entrée flexible et plus individualisée influence à long terme la réussite scolaire. La perte de quelques heures de classe en début d’année sera vite rattrapée grâce au climat installé : on aura en fait, gagné du temps!

Des études l’ont démontré, les premières journées à l’école sont cruciales pour l’ajustement de l’enfant à son nouveau milieu de vie et elles ont des conséquences à long terme sur la motivation de l’enfant et ses attitudes face à l’apprentissage et l’école. L’entrée progressive devient alors une condition nécessaire pour remplir le premier mandat de l’éducation au préscolaire qui est de donner le goût de l’école.

 



Les enfants apprivoisent l’environnement :une visite à la directrice. Photo©Danielle Jasmin

 




Elle est inscrite dans la convention collective des enseignantes même si le nombre de jours qui y sont consacrés peut varier.


Les parents sont en général d’accord

Lorsque cela a été bien expliqué et annoncé aux parents à l’avance, la plupart d’entre eux soutiennent ces mesures, même si elles peuvent leur causer quelques problèmes organisationnels pour quelques jours. Leurs commentaires témoignent de leur appui: «Le fait d’avoir un plus petit groupe a beaucoup aidé mon enfant.» «Après avoir vécu l’entrée progressive il y a quelques années avec ma fille, je vois une différence cette année avec mon garçon. Ce fut plus difficile (car) l’entrée progressive n’a pas eu lieu.»«J’ai aimé le concept d’une demi-journée pour la première semaine afin que mon enfant s’habitue à la maternelle, son professeur, les nouveaux règlements et ses nouveaux amis.»

Maintenir pour quelques jours de plus, le même arrangement que pendant l’été ou permettre à l’enfant de retrouver son milieu familier tout de suite après la demi-journée en maternelle, sont des façons d’assurer le succès d’une vraie entrée progressive. Pour ceux pour lesquels ce n’est absolument pas possible, il reste la garderie scolaire qui accueillera les enfants aussi en groupes restreints.

 

D’autres mesures

Pour favoriser l’insertion de l’enfant en début d’année, d’autres mesures pourraient être envisagées, avant même la rentrée. Pour aider l’enfant à se familiariser avec ce qui l’attend, idéalement, l’enfant aurait eu l’occasion de visiter l’école, la cour d’école, sa classe à une ou plusieurs occasions.




Apprivoiser l’environnement extérieur Photo©Danielle Jasmin

 






Le ou les parents et l’enfant auraient pu rencontrer l’enseignante avant le grand jour afin d’apaiser leurs inquiétudes. En fait, il faudrait augmenter le nombre d’occasions pour les familles et les enseignantes de se rencontrer avant la rentrée de façon positive, agréable.

Il semble que les familles de milieux économiquement défavorisés profiteraient encore davantage de telles mesures transitionnelles.

Les rencontres peuvent prendre toutes sortes de forme : ici, un pique-nique avec les familles. Photo Boulder Journey Preschool

Des rencontres pourraient avoir lieu entre les éducatrices ayant accompagné l’enfant l’année d’avant et l’enseignante entre l’enseignante de maternelle 4 ans et de maternelle 5 ans ainsi qu’entre les spécialistes qui suivent l’enfant et l’enseignante.


Conclusion

La forme que prend l’entrée progressive varie énormément selon les milieux. Le nombre de jours accordés à l’entrée progressive varie aussi d’un Centre de Services Scolaire à l’autre et même parfois, selon les Directions d’école (de deux à six jours). Il a tendance, dans plusieurs cas, à rétrécir.

Pourtant les enfants ont besoin, dès leurs premiers moments en classe, d’être vus, entendus reconnus et rassurés ce qui n’est pas possible en grand groupe. Nous croyons que l’entrée progressive reste nécessaire.

Une transition réussie va favoriser l’adaptation dans les prochaines transitions.

Mais une transition fluide a aussi besoin de plus de concertation entre les différents acteurs pour assurer une continuité éducative et pour partager nos connaissances sur les enfants ainsi que pour favoriser les relations école-famille.

Espérons que ce besoin fondamental des enfants sera respecté et que les modalités d’entrée resteront souples et créatives pour le plus grand bonheur de tous et toutes.

 

Références

Cet article a été inspiré par :

Deslandes R. et Jacques M. (2004) Les recherches sur l’entrée progressive, des résultats qui parlent. Revue Préscolaire Vol 42 no 1.

Ruel, J. ; Bérubé, A. ; Moreau, A.C. ; April J. (2018). Pratiques déployées lors de la transition vers la maternelle des enfants vivant en milieu défavorisé. Revue Internationale de l’éducation familiale No. 44 Pages 109à 129

C’est dans cet article que j’ai trouvé les écrits de :

Cook K.D. and Coley R.L. (2017) qui affirment que : « Une transition de qualité est la fondation sur laquelle se construit le succès scolaire» et que «Les milieux défavorisés profitent le plus des pratiques transitionnelles».

Jacques M.H. (2016) qui souligne tous les changements auxquels l’enfant fait face : environnement physique, social, relationnel, ses routines de vie et les attentes à son égard.

Miller K. (2016) qui note que 30 à 50% d’enfants trouvent cette période difficile

Petrakos H.H. et Lehrer J.S. (2011) qui parle du stress des parents

Ruel J. (2011) qui fait le lien entre les premières transitions et les suivantes

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