Facteurs influençant l'évolution des pratiques en maternelle au Québec

La maternelle à temps plein : quoi faire et comment?


Qui a encore un bac à sable dans sa classe?

L’avènement de la maternelle à temps plein a donné lieu à des interrogations sur « quoi faire» et surtout «quoi faire de plus» et malgré un programme guidant les pratiques, celles-ci ont pris toutes sortes de formes, pas toujours respectueuses de l’esprit du programme d’ailleurs. Alors que certaines enseignantes se félicitaient qu’enfin «elles auraient du temps», une multiplication de programmes et méthodes ont vu le jour et fait en sorte que celles-ci se sentent encore plus pressées et que le temps de vrai jeu recule d’année en année.

Dans certains cas, des enseignantes se sentent obligées d’appliquer des méthodes prescriptives où même leurs interventions sont préprogrammées. Pourtant, elles qui connaissent «leurs» enfant sont les mieux placées pour déterminer les pratiques à adopter pour tous les enfants de leur groupe. Si elles croient encore à la place du jeu au préscolaire, celui-ci a mauvaise presse et est de plus en plus difficile à défendre malgré les connaissances existant sur son rôle vital. Il faut bien l’avouer, certaines maternelles ressemblent davantage à des classes de premières années traditionnelles

Beaucoup de choses ont joué contre le maintien du jeu au centre de la pédagogie au préscolaire : pression de certains parents (peut-être) mais surtout de spécialistes, de collègues des classes du prochain cycle (première année) de certains universitaires, de certains syndicats, de commissions scolaires, directeurs, journalistes, sous l’influence d’un discours dominant mais réducteur.

-     La diminution de la qualité du jeu chez certains enfants
 Dû à un ensemble de facteurs (dépendance aux écrans, jouets réalistes, manque de médiation, peu de jeu à l’extérieur, augmentation des activités structurées, préoccupations accrues pour la sécurité, facteurs culturels, etc.) certains enfants semblent ne plus savoir jouer ce qui a aussi poussé certaines enseignantes vers plus d’activité dirigées.

-     La conception de l’enseignement :
L’impression pour certaines enseignantes "d’enfin enseigner" a aussi contribué à la réduction du temps de jeu au préscolaire. Cela repose parfois sur une  présupposition que l’apprentissage d'une notion se fait mieux quand elle est « enseignée, complètement comprise, acceptée ou adoptée." Un manque de formation?

-       Les préjugés par rapport au jeu :
Plusieurs croient que le jeu n’aborde pas de contenus alors que le jeu ne se joue pas à vide, il traite toujours de contenus et de concepts.
On entend aussi que l’adulte n’y a pas de place (jeu=laisser-faire) pour intervenir (conception maturationiste du jeu) alors que le jeu sociodramatique par exemple n’existe pas s’il n’est pas étayé. Et paradoxalement pour bien étayer le jeu l’éducatrice ou l’enseignante doit bien connaître toutes les didactiques (évolution de l’enfant dans tous les domaines : dessin, chant, construction, lecture/écriture, mathématiques, sciences, développement moteur, etc.).
De plus, étant donné que le jeu reste imprévisible et est pour les enfants sans but  éducatif prédéterminé précis (les enfants jouent essentiellement pour la satisfaction du jeu) certains sous estiment les apprentissages faits par le jeu car il faut vouloir et savoir les déchiffrer. Pourtant, connaissant bien le potentiel des matériaux et expériences qu’on propose dans l’environnement de jeu des enfants, on peut s’attendre à certains apprentissages inhérents et en vérifier l’atteinte dans le jeu.
Certains connaissent mal les liens entre le vrai jeu et les habiletés académiques. Pourtant la contribution du jeu à l’élaboration des fondements académiques est bien  claire. Cependant on oublie que le vrai jeu est un processus intégré qui est à la fois cognitif, affectif, social et moteur. Qu’il contient des règles et utilise des symboles et développe toutes les habiletés nécessaires à la réussite scolaire et qu’il prédit mieux que le QI et les connaissances académiques.
Les liens entre le jeu et le langage, l’autorégulation (Berk et al. 2006; Whitebread, 2007, 2012 et dans Broadhead 2012), la compréhension de la lecture/écriture (Christie, 1998 dans Zigler 2011 p.87; Dickinson et al. 1991, 2001; Bergen et  al. 2006 dans Zigler 2011 p.113-114) ainsi que  des concepts mathématique et scientifiques (De Vries, 200., Kamii, 1992, Ginsburg et al. 2001, 2008; Woolfgang et al. 2003; Whitebread 2000 dans Whitebhead 2012) sont pourtant bien documentés. En voici quelques autres exemples:

Dickinson et Tabors (2001 dans Hirsh-Pasek 2009 p. 30) établissent les liens entre le jeu, le langage et les capacités des enfants en lecture plus tard.  Ils affirment que le langage est le fondement de la lecture/écriture. Dans leur recherche portant sur des enfants de 3 ans de milieux défavorisés ils ont trouvé que le langage, et particulièrement le langage dans le jeu, était un prédicteur des résultats futurs en lecture. Ils concluent qu’un focus essentiellement sur l’écrit est au détriment des enfants qui ont besoin du riche langage qui a lieu dans le jeu. 

Bruner (1982, 1983) affirme que « les formes grammaticales du langage les plus complexes apparaissent d’abord dans le jeu» (p.30). Pellegrini et Galda (1990) ont trouvé la même chose, de même que Dickinson et  Moreton (1991).

Roskos et Christie (2004), après avoir étudié 20 études sur l’interface entre le jeu et la littératie, concluent que le jeu promeut la littératie en « servant d’expérience qui construit des connections entre les modes d’expression orale et écrite». 

Berger et Mauer (2000), dans une étude longitudinale chez les 4 ans, ont montré que leurs jeux prédisaient à la fois leur niveau de langage et d’aptitude à la lecture (incluant la conscience phonologique- la compréhension que les mots sont faits de plus petits unités, un vocabulaire complexe, des phrases plus longues).

Marinova (2019) affirme que le jeu symbolique soutenu par l’enseignante est plus efficace que l’enseignement explicite de la lecture. De multiples études par Christie et al. (1992, 2006) vont dans le même sens. Newman et Roskos (1992, 1993) ont observé que les enfants apprennent de nouveaux mots plus vite dans le jeu et les retiennent mieux.

Les effets cognitifs du jeu sont tout aussi puissants pour développer les concepts mathématiques : énumération, quantification, grandeur, connaissance des formes, des relations spatiales, reconnaissance de motifs et séquences, mesures (Ness et Farenga (2007), Ginsburg et al. 2004, 2005, 2008; Gelman 2006. Ramani et Siegler (dans Hirsh Pasek 2003 p. 8) ont montré que les jeux comme celui de Serpents et Échelles par exemple amélioraient rapidement les connaissances numériques des enfants issus de milieux défavorisés.

On peut en conclure que le jeu est multifonctionnel. Dans Hirsh Pasek (2003, p.18), on définit le jeu comme : « une expérience intégrative où les enfants utilisent des habiletés sociales et académiques». Rinaldi énonce que  le jeu est  «un ensemble de savoirs appris mais non enseignés». Je dirais, un ensemble de savoirs intégrés et en développement. En fait, comment on apprend est aussi important que ce qu’on apprend (dans Hirsh-Pasek 2003 p.9). Le poids de la littérature scientifique est clair : l’enfant apprend mieux par le jeu et pourtant…

-       Les pressions exercées sur les enseignantes pour adopter des pratiques plus scolarisantes.
Les pressions exercées par des administrateurs, conseillers pédagogiques, enseignantes de première années et des spécialistes sur les enseignantes pour qu’elles utilisent des méthodes d’enseignement systématique, formel de la lecture écriture ont été documentées (Marinova 2019). Les enseignantes sont aussi soumises à de critères de performance qui sont reportées en exigences pour les enfants. Les performances attendues de ceux-ci dépassent parfois les attentes du programme. Des pressions s’exercent même au Ministère de l’Éducation par des personnes bien en vue, alors que les responsables du préscolaire tentent de maintenir un programme axé sur le développement de l’enfant et non sur les contenus.

-       L’ouverture des maternelles à temps plein pour les enfants de 4 ans issus de milieux économiquement moins favorisés
L’implantation de ces maternelles a amené aussi son lot de questionnements. Certains croient que ces enfants ont,  plus que d’autres, besoin d’un enseignement didactique pour assurer leur succès scolaire. D’autres (dont je suis) croient au contraire que ces enfants ont besoin de manipuler, de vivre des expériences directes, concrètes, soutenus par leurs enseignantes et en interactions les uns avec les autres, afin de co-construire progressivement leur compréhension des concepts qui leur seront nécessaires au primaire et les habiletés essentielles à leur réussite et ce, à travers le jeu et les projets et autres activités dans lesquels ils peuvent être des apprenants actifs.
Plusieurs études soutiennent ce point de vue (voir l’énumération ci-bas) et ont démontré qu’un enseignement didactique  au préscolaire était nuisible aux enfants de milieux défavorisés et en particulier aux garçons. Même si les filles semblaient mieux s’adapter à l’enseignement formel, elles avaient de meilleurs résultats  dans des programmes plus axés sur le jeu. Tous les enfants issus de milieux défavorisés et de la classe moyenne avaient de meilleurs résultats lorsqu’ils fréquentaient des programmes plus axés sur le jeu donc respectueux de leurs niveaux et moyens privilégiés de développement («developmentally appropriate»).
Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait aucun gain au niveau des connaissances dans les programmes d’enseignement direct mais ils étaient bien inférieurs à ceux des programmes plus réellement ludiques et se révélaient souvent éphémères Ils avaient en plus des effets négatifs au niveau des comportements, de la motivation et de l’estime de soi et des manifestations de stress. Certains ont montré qu’il y avait deux fois plus de signes de stress dans les programmes de type didactique. Le stress était plus grand chez les enfants issus de milieux défavorisés et plus aigu chez les garçons et particulièrement dans les activités papier crayon.
Voir le détail de ces recherches qui ont toutes abordé les comparaisons entre différents styles de programmes au préscolaire et en maternelle et leurs effets sur différents aspects de l’apprentissage et sur  les enfants dans  Hirsh-Pasek et al.2009 : Bredecamp et Copple 1997; Marcon 1993-1994; Hart, Burns et Charlesworth (Revue de la littérature, 1997); Stipek, Fieler, Byler, Ryan, Milburn et Salmon 1998; Stipek, Fieler, Daniels et Milburn 1995; Datta, Mc Hall et Mitchell 1976; Bryant, Burchinal, Lau et Sparling 1994; Assel, Landry, Swank et Gunnewig 2007; Hart, Burts, Durland, Charlesworth, De Wolf et Fleege 1998; Burts, Hart Charlesworth et Kirk 1990; Burts, Hart Charlesworth, Fleege, Mosley et Thomason 1992; Schweinhart 2005; Schweinhart et Wiekart et Larner 1986; Mills, Coles, Jenkins et Dale 2002; Rescorla, Hyson et Hirsh-Pasek 1991; Ackerman, Izard, Kobak, Brown et Smith 2007; Frede et Barnett (1992).
En fait les données continuent à s’accumuler démontrant que les programmes plus axés sur les pratiques vraiment ludiques contribuent au succès des enfants de milieux défavorisés. Et pourtant…

-       Conception de la maturité scolaire :
Une conception erronée de ce qui fait qu’un enfant« est prêt» à profiter des expériences que l’école va lui offrir, la maturité scolaire («school readiness») a aussi infléchi les activités non seulement des maternelles mais aussi des CPE. Une pression est même exercée sur les parents à l’égard d’un apprentissage précoce de la lecture (d’où l’achat  par des parents d’applications sur tablettes et ordinateurs clamant aider les enfants à devenir rapidement de bons lecteurs). Pourtant  selon le US National Education Goals Panel ce qui est essentiel pour un enfant est avant tout; le bien être physique et émotionnel, sa capacité à avoir des relations harmonieuse avec d’autres enfants et des adultes, sa capacité à s’auto-réguler (émotions, gestes, attention bref toutes les fonctions exécutives).
Le langage est aussi une clé (vocabulaire) ainsi que les connaissances générales. Ce ne sont pas comme plusieurs le croient savoir réciter les chiffres et les lettres de l’alphabet.
L’autorégulation est une importante composante de l’apprentissage (Raver et Zigler, 1991 dans Fuller p.84, 2011; Whitebread 2012). Ce type de régulation se développe à travers le jeu (Bredekamp 2004 dans  Zigler 2011 p.84).
Bergham et al. (2008, dans Heckman et al. 2011, dans  Zigler 2011 p.4) ont documenté la puissance prédictive de la motivation, la sociabilité, l’habileté à travailler avec les autres, la capacité d’attention, le contrôle de soi, de retarder la gratification et la santé sur une variété d’aspects de  la vie. Ces habiletés ont été mesurées et prédisent le succès.
Roskos et Christie (2002, 2004); Zigler et Bishop-Josef 2004 et Singer, Golinkoff et Hirsh Pasek 2006 dans Hirsh-Pasek 2009 p. 18) défendent le rôle central du jeu comme médium pour promouvoir la maturité scolaire.
Je soutiens comme Elkind (dans Jenkinson 2008 p.91) «qu’il ne s’agit pas d’accélérer de façon verticale l’apprentissage en introduisant des concepts nouveaux et abstraits, étrangers aux connaissances actuelles de l’enfant et divorcées de celles-ci, mais d’un enrichissement horizontal qui élargit, élabore, approfondit, consolide leurs expériences d’apprentissage.»
-       Les dérives d’une certaine prévention et des prédicteurs
Les articles et conférences colligées dans la revue Nouvelles pratiques sociales (2012) dénoncent un courant inquiétant. Les bonnes intentions par rapport au succès de tous ont donné naissance à des méthodes universelles et des programmes d’intervention rigides, peu adaptées aux façons d’apprendre des enfants. Ayant pour but la réussite éducative, la diminution du décrochage, ils risquent pourtant de créer des décrocheurs plus tôt, les jeunes enfants (et en particulier les garçons qui trouvaient dans le jeu et les projets des occasions de bouger) trouvant l’école ennuyante et contraignante.
Nous avons vu que plusieurs auteurs ont pourtant démontré que les progrès (minimes) dans ces méthodes didactiques des enfants ne duraient pas et qu’un enseignement de style trop didactique avait de nombreux effets pervers chez les jeunes enfants : stress, anxiété de performance, passivité, absentéisme, etc. (Marcon (2002), Schwienhart, Hirsh Pasek (2008).
Le National Early Literacy Panel (2009, dans Miller et Almon 2011) a été obligé de reconnaître qu’il n’y avait pas de différence significative au niveau des résultats en lecture/écriture dans les programmes basés sur le jeu et ceux qui ne le sont pas. Étant donné l’importance du jeu dans l’équilibre et le développement global de l’enfant, ces méthodes didactiques ne se justifient pas. Les programmes et méthodes «doivent être évalués pas seulement dans la façon dont elles affectent les résultats académiques (et nous avons vu que les effets des méthodes de type académiques sont contestables même sur ce plan) mais aussi sur comment elles contribuent positivement aux autres aspects du développement et améliorent les habiletés sociales, émotionnelles, les capacités de résolution de problèmes et la créativité» (Miller et Almon 2009 p.42 traduction libre). Levin (2013 p. 36) affirme que les enfants qui ne s’engagent pas régulièrement dans du jeu créatif ont moins de chance de développer les habiletés nécessaires pour toutes sortes d’apprentissages scolaires et au-delà.
«Plus vite n’est pas mieux» nous dit Carlson Paige (Miller et Almon 2009 p.24). Cyrulnik (2011) nous souligne que « La précocité des enfants, valorisée par notre culture, n’est pas un facteur de protection». Il ajoute qu’elle augmente l’angoisse et les troubles relationnels (p. 148). Il condamne aussi la notation stigmatisante ainsi que la souffrance, surtout pour les garçons de l’immobilité physique imposée aux enfants à l’école. D’autres utilisent la formule : « Trop, trop tôt» pour résumer cette tendance.

Rappelons que les enfants de 4-5 ans, s’ils sont capables d’opérations mentales nouvelles (grâce à une meilleure myélinisation, le développement du cortex frontal, etc.)  accédant ainsi  à une meilleure perspective de l’autre, une plus grande capacité à coopérer ainsi qu’à une meilleure capacité symbolique, restent cependant au stade préopératoire où ils ont encore besoin d’expériences concrètes réelles pour soutenir leur pensée. Si le jeu sociodramatique peut leur servir de transition vers la pensée abstraite, il faudra attendre encore pour qu’ils puissent fonctionner en jouant seulement avec des idées.
Ceux qui pensent que la cognition (et seulement certains éléments de la cognition) méritent le plus notre attention rejettent en réalité le reste de l’enfant (dans Zigler 2011 p.88).
Les notions de prévention précoce, de dépistage, louables en soi, ont donné lieu à des dérives. L’identification de variables isolées, déterminantes (les «prédicteurs») ont entraîné des solutions inappropriées. Cette attitude déterministe de l’avenir des enfants (prophètes de malheur) ne tiennent pas compte des capacités extraordinaires des enfants de progresser. De plus, on a souvent confondu corrélation et causalité. La question que pose (la) prévention n’est pas de « débusquer» mais  «comment entourer», n’est pas « comment adapter» l’enfant à, mais «comment étayer, sécuriser, socialiser, soutenir, accompagner…» (Giampino dans NPS, 2012 p.49). Comme enseignante constructiviste, on se reconnait dans cette description de rôle. Les auteurs nous encouragent dans une attention «subtile» «délicate» et respectueuse de l’enfant (qui il est) et de sa famille.
On peut aussi déplorer l’interprétation qui est parfois faite de certains résultats de recherche et les prises de décisions trop rapides de décideurs par rapport à celles-ci. On pense à l’exemple de celle de Duncan (2007), un économiste, qui étudiant les liens prédictifs de 6 habiletés  avec la performance scolaire affirmait que habiletés en mathématiques au préscolaire étaient celles qui étaient le plus fortement associées à la réussite ultérieure à la fois en mathématique et en lecture. Mais cet auteur a lui-même avoué que les résultats étaient à peine signifiants et a qualifié ses conclusions d’hypothèse (Duncan et al. 2009). Celui-ci ajoute qu’il serait hasardeux de se fier sur cette seule recherche pour définir des politiques. La recherche de 2007 (sans aucune mention des réserves exprimées deux ans plus tard par le chercheur) a malgré tout été citée dans de nombreux documents très diffusés et donné lieu à une accélération de  l’enseignement des mathématiques de façon abstraite aux jeunes enfants.
Zigler (2011 chap. 37 p.198) s’inquiète de  l’implication grandissante  dans les décisions éducatives d’économistes et de statisticiens. Il souligne que cela influence ce qui est évalué et donc finalement ce qui est enseigné et peut nuire au maintien de certains programmes.
Des recherches statistiques étiquètent des enfants comme étant « vulnérables» alors «qu’on n’a pas commencé à  les entourer, les éduquer…» (NPS, 2012). Dans ces projections négatives, on considère des enfants de 3-4 ans déjà comme de futurs délinquants! Il y a une confusion entre corrélation et causalité, entre les risques auxquels peut être exposé un enfant et une supposée relation de cause à effet qui l’amènerait automatiquement vers la délinquance. Cela transforme le regard sur l’enfant et donc le déforme, en risquant d’induire ce qu’on voulait éviter (Giampino, NPS p.21) « Les trajectoires des enfants peuvent se modifier très radicalement» (Rousseau dans NPS p.72). Les auteurs regrettent qu’on «réduise des phénomènes complexes à un nombre de variables observables qui pourront être soumises à des expériences et des tests de corrélation statistique (Parazelli 2010, dans NPS p.4).
Seusser (NPS p.59) dénonce aussi des programmes formatés de développement des habiletés sociales qui « courtcircuitent les processus de pensée qui conduisent l’enfant à intérioriser certaines limites et à accepter les frustrations et qui lui permettent d’accéder à un stade de maturité plus avancé».
Pourtant, ces processus les enfants les vivent et les acquièrent dans le jeu spontané. Certaines enseignantes avouent qu’il n’y a pas de temps pour le jeu. Pourtant le jeu  est en lui-même un programme de développement social et pourrait avantageusement remplacer ces programmes dits de « promotion d’habiletés sociales» puisqu’il est le terreau par excellence de l’autorégulation et des habiletés sociales et développe naturellement des comportements adaptés (et ce à moindre coût).
Plusieurs types d’interventions sont basés sur une vision « déficitaire» de l’enfant, soulignant à gros traits « ce qui lui manque» plutôt que de partir de ses compétences. Ces points de vue entraînent avec eux des attitudes et modalités très différentes par rapport au rôle de l’enseignante et des pratiques à privilégier.

-       Définition de l’apprentissage et de modes d’apprentissage
Selon l’OCDE (2010), «L’apprentissage est une modification durable des connaissances de l’individu grâce à l’expérience de l’individu».
Si on consulte le document de l’OCDE (2010) sur les différents types d’apprentissage on constatera que le jeu est proche de ce qu’ils appellent l’apprentissage expérientiel et l’apprentissage par l’action et que les formes plus dirigées s’apparentent à une forme plus traditionnelle de l’apprentissage. Voici quelques extraits résumés de ce document :
-La forme dominante de l’apprentissage scolaire traditionnelle est dirigée par l’enseignante (apprentissage guidé). L’enseignante prend toutes les décisions pertinentes et l’apprenant peut et doit les suivre».
- L’enseignement expérientiel est auto-organisé. L’enfant n’a pas d’objectifs prédéterminés. Ce qui est appris est déterminé pour le contexte, la motivation de l’apprenant, les autres personnes avec lesquelles il est en contact et les découvertes réalisées. C’est un produit secondaire des activités auxquelles il participe.
-L’apprentissage par l’action est auto-organisée et auto-planifiée. L’apprenant a un rôle actif dans la détermination de l’apprentissage. «Des résultats, non anticipés résultent d’apprentissage fortuits» (Eisner, 1994)
Les auteurs concluent : la régulation externe des comportements n’entraîne pas l’autorégulation.
L’apprentissage efficace est une activité qui n’est pas seulement individuelle mais partagée. Il est le résultat d’une interaction impliquant d’autres personnes, des matériaux, outils et technologies. Miller et Almon (2009) nous encouragent à adopter deux méthodes dans un continuum : jeu initié par les enfants et des activités d’apprentissages expérientielles avec un focus particulier (p.22). Certains parlent de découverte « guidée».
Wood (dans Broadhead 2012) explique que dans les classes plus axées sur l’enseignement didactique, même s’il peut subsister parfois des périodes dites de jeu, les deux types d’activités n’ont aucun lien entre elles. Par contre dans des programmes où le jeu reste au cœur du curriculum, celui-ci est à la source d’observations, de réflexions d’évaluations et de prises de décision par rapport à d’autres occasions et matériaux à offrir pour enrichir les activités spontanées initiées par les enfant, pour démarrer des projets ainsi que pour planifier d’autres activités initiées par l’adulte. Toutes ces activités sont inter reliées et complémentaires formant un programme pédagogique intégré.

Conclusion :
Le nouveau programme pour le cycle pour les maternelles 4 et 5 ans est axé sur les domaines de développement. Il fait une bonne place au jeu malgré l'ajout d'attentes au niveau de l'apprentissage des lettres. Nous espérons que les enfants pourront profiter pleinement,  au préscolaire, de leur enfance, en pouvant s’adonner au jeu, aux explorations et découvertes guidées ou pas, aux projets et au plein air qui leurs sont si naturels et essentiels. On pourrait aussi regarder, pour s’inspirer, du côté des écoles préscolaires de la ville de Reggio Emilia, reconnues mondialement pour l’excellence de leurs pratiques.

Anne Gillain Mauffette
Note: Dans un but d’alléger ce texte, toutes les références (6 pages) sont accessibles en communiquant avec l’auteure. Ce texte est extrait des « Faux-Amis» et a été légèrement modifié (novembre 2019 et en 2021).





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