Qui a encore un bac à sable dans sa
classe? |
Dans certains cas, des enseignantes se sentent obligées d’appliquer des méthodes prescriptives où même leurs interventions sont préprogrammées. Pourtant, elles qui connaissent «leurs» enfant sont les mieux placées pour déterminer les pratiques à adopter pour tous les enfants de leur groupe. Si elles croient encore à la place du jeu au préscolaire, celui-ci a mauvaise presse et est de plus en plus difficile à défendre malgré les connaissances existant sur son rôle vital. Il faut bien l’avouer, certaines maternelles ressemblent davantage à des classes de premières années traditionnelles
Beaucoup de choses ont joué
contre le maintien du jeu au centre de la pédagogie au préscolaire :
pression de certains parents (peut-être) mais surtout de spécialistes, de
collègues des classes du prochain cycle (première année) de certains universitaires,
de certains syndicats, de commissions scolaires, directeurs, journalistes, sous
l’influence d’un discours dominant mais réducteur.
- La
diminution de la qualité du jeu
chez certains enfants
Dû à un ensemble de facteurs (dépendance
aux écrans, jouets réalistes, manque de médiation, peu de jeu à l’extérieur,
augmentation des activités structurées, préoccupations accrues pour la
sécurité, facteurs culturels, etc.) certains enfants semblent ne plus savoir
jouer ce qui a aussi poussé certaines enseignantes vers plus d’activité
dirigées.
- La
conception de l’enseignement :
L’impression pour certaines
enseignantes "d’enfin enseigner" a aussi contribué à la réduction du temps de
jeu au préscolaire. Cela repose parfois sur une
présupposition que l’apprentissage d'une notion se fait mieux quand elle est « enseignée, complètement
comprise, acceptée ou adoptée." Un manque de formation?
-
Les
préjugés par rapport au jeu :
Plusieurs croient que
le jeu n’aborde pas de contenus alors que le jeu ne se joue pas à vide, il
traite toujours de contenus et de concepts.
On entend aussi que
l’adulte n’y a pas de place (jeu=laisser-faire) pour intervenir (conception
maturationiste du jeu) alors que le jeu sociodramatique par exemple n’existe
pas s’il n’est pas étayé. Et paradoxalement pour bien étayer le jeu
l’éducatrice ou l’enseignante doit bien connaître toutes les didactiques (évolution
de l’enfant dans tous les domaines : dessin, chant, construction,
lecture/écriture, mathématiques, sciences, développement moteur, etc.).
De plus, étant donné
que le jeu reste imprévisible et est pour les enfants sans but éducatif prédéterminé précis (les enfants
jouent essentiellement pour la satisfaction du jeu) certains sous estiment les
apprentissages faits par le jeu car il faut vouloir et savoir les déchiffrer.
Pourtant, connaissant bien le potentiel des matériaux et expériences qu’on propose
dans l’environnement de jeu des enfants, on peut s’attendre à certains
apprentissages inhérents et en vérifier l’atteinte dans le jeu.
Certains connaissent
mal les liens entre le vrai jeu et les habiletés académiques. Pourtant la
contribution du jeu à l’élaboration des fondements académiques est bien claire. Cependant on oublie que le vrai jeu
est un processus intégré qui est à la fois cognitif, affectif, social et
moteur. Qu’il contient des règles et utilise des symboles et développe toutes
les habiletés nécessaires à la réussite scolaire et qu’il prédit mieux que le
QI et les connaissances académiques.
Les liens entre le
jeu et le langage, l’autorégulation (Berk et al. 2006; Whitebread, 2007, 2012
et dans Broadhead 2012), la compréhension de la lecture/écriture (Christie,
1998 dans Zigler 2011 p.87; Dickinson et al. 1991, 2001; Bergen et al. 2006 dans Zigler 2011 p.113-114) ainsi
que des concepts mathématique et
scientifiques (De Vries, 200., Kamii, 1992, Ginsburg et al. 2001, 2008; Woolfgang et al.
2003; Whitebread 2000 dans Whitebhead 2012) sont pourtant bien documentés. En
voici quelques autres exemples:
Dickinson et Tabors
(2001 dans Hirsh-Pasek 2009 p. 30) établissent les liens entre le jeu, le
langage et les capacités des enfants en lecture plus tard. Ils affirment que le langage est le fondement
de la lecture/écriture. Dans leur recherche portant sur des enfants de 3 ans de
milieux défavorisés ils ont trouvé que le langage, et particulièrement le
langage dans le jeu, était un prédicteur des résultats futurs en lecture. Ils
concluent qu’un focus essentiellement sur l’écrit est au détriment des enfants
qui ont besoin du riche langage qui a lieu dans le jeu.
Bruner (1982, 1983) affirme que « les formes grammaticales du langage les plus complexes apparaissent d’abord dans le jeu» (p.30). Pellegrini et Galda (1990) ont trouvé la même chose, de même que Dickinson et Moreton (1991).
Bruner (1982, 1983) affirme que « les formes grammaticales du langage les plus complexes apparaissent d’abord dans le jeu» (p.30). Pellegrini et Galda (1990) ont trouvé la même chose, de même que Dickinson et Moreton (1991).
Roskos et Christie
(2004), après avoir étudié 20 études sur l’interface entre le jeu et la
littératie, concluent que le jeu promeut la littératie en « servant d’expérience
qui construit des connections entre les modes d’expression orale et écrite».
Berger et Mauer (2000), dans une étude longitudinale chez les 4 ans, ont montré que leurs jeux prédisaient à la fois leur niveau de langage et d’aptitude à la lecture (incluant la conscience phonologique- la compréhension que les mots sont faits de plus petits unités, un vocabulaire complexe, des phrases plus longues).
Marinova (2019) affirme que le jeu symbolique soutenu par l’enseignante est plus efficace que l’enseignement explicite de la lecture. De multiples études par Christie et al. (1992, 2006) vont dans le même sens. Newman et Roskos (1992, 1993) ont observé que les enfants apprennent de nouveaux mots plus vite dans le jeu et les retiennent mieux.
Berger et Mauer (2000), dans une étude longitudinale chez les 4 ans, ont montré que leurs jeux prédisaient à la fois leur niveau de langage et d’aptitude à la lecture (incluant la conscience phonologique- la compréhension que les mots sont faits de plus petits unités, un vocabulaire complexe, des phrases plus longues).
Marinova (2019) affirme que le jeu symbolique soutenu par l’enseignante est plus efficace que l’enseignement explicite de la lecture. De multiples études par Christie et al. (1992, 2006) vont dans le même sens. Newman et Roskos (1992, 1993) ont observé que les enfants apprennent de nouveaux mots plus vite dans le jeu et les retiennent mieux.
Les effets cognitifs
du jeu sont tout aussi puissants pour développer les concepts
mathématiques : énumération, quantification, grandeur, connaissance des
formes, des relations spatiales, reconnaissance de motifs et séquences, mesures
(Ness et Farenga (2007), Ginsburg et al. 2004, 2005, 2008; Gelman 2006. Ramani
et Siegler (dans Hirsh Pasek 2003 p. 8) ont montré que les jeux comme celui de
Serpents et Échelles par exemple amélioraient rapidement les connaissances
numériques des enfants issus de milieux défavorisés.
On peut en conclure
que le jeu est multifonctionnel. Dans Hirsh Pasek (2003, p.18), on définit le
jeu comme : « une expérience intégrative où les enfants utilisent des
habiletés sociales et académiques». Rinaldi énonce que le jeu est
«un ensemble de savoirs appris mais non enseignés». Je dirais, un
ensemble de savoirs intégrés et en développement. En fait, comment on apprend
est aussi important que ce qu’on apprend (dans Hirsh-Pasek 2003 p.9). Le poids
de la littérature scientifique est clair : l’enfant apprend mieux par le
jeu et pourtant…
-
Les
pressions exercées sur les enseignantes pour adopter des pratiques plus
scolarisantes.
Les
pressions exercées par des administrateurs, conseillers pédagogiques,
enseignantes de première années et des spécialistes sur les enseignantes pour
qu’elles utilisent des méthodes d’enseignement systématique, formel de la
lecture écriture ont été documentées (Marinova 2019). Les enseignantes sont
aussi soumises à de critères de performance qui sont reportées en exigences
pour les enfants. Les performances attendues de ceux-ci dépassent parfois les
attentes du programme. Des pressions s’exercent même au Ministère de
l’Éducation par des personnes bien en vue, alors que les responsables du
préscolaire tentent de maintenir un programme axé sur le développement de
l’enfant et non sur les contenus.
-
L’ouverture
des maternelles à temps plein pour les enfants de 4 ans issus de milieux
économiquement moins favorisés
L’implantation
de ces maternelles a amené aussi son lot de questionnements. Certains croient
que ces enfants ont, plus que d’autres,
besoin d’un enseignement didactique pour assurer leur succès scolaire. D’autres
(dont je suis) croient au contraire que ces enfants ont besoin de manipuler, de
vivre des expériences directes, concrètes, soutenus par leurs enseignantes et
en interactions les uns avec les autres, afin de co-construire progressivement
leur compréhension des concepts qui leur seront nécessaires au primaire et les
habiletés essentielles à leur réussite et ce, à travers le jeu et les projets
et autres activités dans lesquels ils peuvent être des apprenants actifs.
Plusieurs
études soutiennent ce point de vue (voir l’énumération ci-bas) et ont démontré
qu’un enseignement didactique au
préscolaire était nuisible aux enfants de milieux défavorisés et en particulier
aux garçons. Même si les filles semblaient mieux s’adapter à l’enseignement
formel, elles avaient de meilleurs résultats
dans des programmes plus axés sur le jeu. Tous les enfants issus de
milieux défavorisés et de la classe moyenne avaient de meilleurs résultats
lorsqu’ils fréquentaient des programmes plus axés sur le jeu donc respectueux
de leurs niveaux et moyens privilégiés de développement («developmentally
appropriate»).
Cela ne veut pas dire
qu’il n’y avait aucun gain au niveau des connaissances dans les programmes
d’enseignement direct mais ils étaient bien inférieurs à ceux des programmes
plus réellement ludiques et se révélaient souvent éphémères Ils avaient en plus
des effets négatifs au niveau des comportements, de la motivation et de
l’estime de soi et des manifestations de stress. Certains ont montré qu’il y
avait deux fois plus de signes de stress dans les programmes de type
didactique. Le stress était plus grand chez les enfants issus de milieux
défavorisés et plus aigu chez les garçons et particulièrement dans les
activités papier crayon.
Voir le détail de ces
recherches qui ont toutes abordé les comparaisons entre différents styles de
programmes au préscolaire et en maternelle et leurs effets sur différents
aspects de l’apprentissage et sur les
enfants dans Hirsh-Pasek et
al.2009 : Bredecamp et Copple 1997; Marcon 1993-1994; Hart, Burns et
Charlesworth (Revue de la littérature, 1997); Stipek, Fieler, Byler, Ryan,
Milburn et Salmon 1998; Stipek, Fieler, Daniels et Milburn 1995; Datta, Mc Hall
et Mitchell 1976; Bryant, Burchinal, Lau et Sparling 1994; Assel, Landry, Swank
et Gunnewig 2007; Hart, Burts, Durland, Charlesworth, De Wolf et Fleege 1998;
Burts, Hart Charlesworth et Kirk 1990; Burts, Hart Charlesworth, Fleege, Mosley
et Thomason 1992; Schweinhart 2005; Schweinhart et Wiekart et Larner 1986;
Mills, Coles, Jenkins et Dale 2002; Rescorla, Hyson et Hirsh-Pasek 1991;
Ackerman, Izard, Kobak, Brown et Smith 2007; Frede et Barnett (1992).
En
fait les données continuent à s’accumuler démontrant que les programmes plus
axés sur les pratiques vraiment ludiques contribuent au succès des enfants de
milieux défavorisés. Et pourtant…
-
Conception
de la maturité scolaire :
Une
conception erronée de ce qui fait qu’un enfant« est prêt» à profiter des
expériences que l’école va lui offrir, la maturité scolaire («school readiness»)
a aussi infléchi les activités non seulement des maternelles mais aussi des
CPE. Une pression est même exercée sur les parents à l’égard d’un apprentissage
précoce de la lecture (d’où l’achat par
des parents d’applications sur tablettes et ordinateurs clamant aider les
enfants à devenir rapidement de bons lecteurs). Pourtant selon le US National Education Goals Panel ce
qui est essentiel pour un enfant est avant tout; le bien être physique et
émotionnel, sa capacité à avoir des relations harmonieuse avec d’autres enfants
et des adultes, sa capacité à s’auto-réguler (émotions, gestes, attention bref
toutes les fonctions exécutives).
Le
langage est aussi une clé (vocabulaire) ainsi que les connaissances générales.
Ce ne sont pas comme plusieurs le croient savoir réciter les chiffres et les
lettres de l’alphabet.
L’autorégulation
est une importante composante de l’apprentissage (Raver et Zigler, 1991 dans
Fuller p.84, 2011; Whitebread 2012). Ce type de régulation se développe à
travers le jeu (Bredekamp 2004 dans
Zigler 2011 p.84).
Bergham
et al. (2008, dans Heckman et al. 2011, dans
Zigler 2011 p.4) ont documenté la puissance prédictive de la motivation,
la sociabilité, l’habileté à travailler avec les autres, la capacité
d’attention, le contrôle de soi, de retarder la gratification et la santé sur
une variété d’aspects de la vie. Ces
habiletés ont été mesurées et prédisent le succès.
Roskos et Christie
(2002, 2004); Zigler et Bishop-Josef 2004 et Singer, Golinkoff et Hirsh Pasek
2006 dans Hirsh-Pasek 2009 p. 18) défendent le rôle central du jeu comme médium
pour promouvoir la maturité scolaire.
Je
soutiens comme Elkind (dans Jenkinson 2008 p.91) «qu’il ne s’agit pas
d’accélérer de façon verticale l’apprentissage en introduisant des concepts
nouveaux et abstraits, étrangers aux connaissances actuelles de l’enfant et
divorcées de celles-ci, mais d’un enrichissement horizontal qui élargit,
élabore, approfondit, consolide leurs expériences d’apprentissage.»
-
Les
dérives d’une certaine prévention et des prédicteurs
Les
articles et conférences colligées dans la revue Nouvelles pratiques sociales
(2012) dénoncent un courant inquiétant. Les bonnes intentions par rapport au
succès de tous ont donné naissance à des méthodes universelles et des
programmes d’intervention rigides, peu adaptées aux façons d’apprendre des
enfants. Ayant pour but la réussite éducative, la diminution du décrochage, ils
risquent pourtant de créer des décrocheurs plus tôt, les jeunes enfants (et en
particulier les garçons qui trouvaient dans le jeu et les projets des occasions
de bouger) trouvant l’école ennuyante et contraignante.
Nous
avons vu que plusieurs auteurs ont pourtant démontré que les progrès (minimes)
dans ces méthodes didactiques des enfants ne duraient pas et qu’un enseignement
de style trop didactique avait de nombreux effets pervers chez les jeunes
enfants : stress, anxiété de performance, passivité, absentéisme, etc. (Marcon (2002), Schwienhart, Hirsh
Pasek (2008).
Le
National Early Literacy Panel (2009, dans Miller et Almon 2011) a été obligé de
reconnaître qu’il n’y avait pas de différence significative au niveau des
résultats en lecture/écriture dans les programmes basés sur le jeu et ceux qui
ne le sont pas. Étant donné l’importance du jeu dans l’équilibre et le
développement global de l’enfant, ces méthodes didactiques ne se justifient
pas. Les programmes et méthodes «doivent être évalués pas seulement dans la
façon dont elles affectent les résultats académiques (et nous avons vu que les
effets des méthodes de type académiques sont contestables même sur ce plan)
mais aussi sur comment elles contribuent positivement aux autres aspects du développement
et améliorent les habiletés sociales, émotionnelles, les capacités de
résolution de problèmes et la créativité» (Miller et Almon 2009 p.42 traduction
libre). Levin (2013 p. 36) affirme que les enfants qui ne s’engagent pas régulièrement
dans du jeu créatif ont moins de chance de développer les habiletés nécessaires pour toutes sortes d’apprentissages scolaires et au-delà.
«Plus vite n’est pas
mieux» nous dit Carlson Paige (Miller et Almon 2009 p.24). Cyrulnik (2011) nous
souligne que « La précocité des enfants, valorisée par notre culture, n’est pas
un facteur de protection». Il ajoute qu’elle augmente l’angoisse et les
troubles relationnels (p. 148). Il condamne aussi la notation stigmatisante
ainsi que la souffrance, surtout pour les garçons de l’immobilité physique
imposée aux enfants à l’école. D’autres utilisent la formule : « Trop,
trop tôt» pour résumer cette tendance.
Rappelons
que les enfants de 4-5 ans, s’ils sont capables d’opérations mentales nouvelles
(grâce à une meilleure myélinisation, le développement du cortex frontal,
etc.) accédant ainsi à une meilleure perspective de l’autre, une
plus grande capacité à coopérer ainsi qu’à une meilleure capacité symbolique,
restent cependant au stade préopératoire où ils ont encore besoin d’expériences
concrètes réelles pour soutenir leur pensée. Si le jeu sociodramatique peut
leur servir de transition vers la pensée abstraite, il faudra attendre encore
pour qu’ils puissent fonctionner en jouant seulement avec des idées.
Ceux
qui pensent que la cognition (et seulement certains éléments de la cognition)
méritent le plus notre attention rejettent en réalité le reste de l’enfant
(dans Zigler 2011 p.88).
Les
notions de prévention précoce, de dépistage, louables en soi, ont donné lieu à
des dérives. L’identification de variables isolées, déterminantes (les
«prédicteurs») ont entraîné des solutions inappropriées. Cette attitude
déterministe de l’avenir des enfants (prophètes de malheur) ne tiennent pas
compte des capacités extraordinaires des enfants de progresser. De plus, on a
souvent confondu corrélation et causalité. La question que pose (la) prévention
n’est pas de « débusquer» mais «comment
entourer», n’est pas « comment adapter» l’enfant à, mais «comment étayer,
sécuriser, socialiser, soutenir, accompagner…» (Giampino dans NPS, 2012 p.49).
Comme enseignante constructiviste, on se reconnait dans cette description de
rôle. Les auteurs nous encouragent dans une attention «subtile» «délicate» et
respectueuse de l’enfant (qui il est) et de sa famille.
On
peut aussi déplorer l’interprétation qui est parfois faite de certains
résultats de recherche et les prises de décisions trop rapides de
décideurs par rapport à celles-ci. On pense à l’exemple de celle de Duncan
(2007), un économiste, qui étudiant les liens prédictifs de 6 habiletés avec la performance scolaire affirmait que
habiletés en mathématiques au préscolaire étaient celles qui étaient le plus
fortement associées à la réussite ultérieure à la fois en mathématique et en
lecture. Mais cet auteur a lui-même avoué que les résultats étaient à peine
signifiants et a qualifié ses conclusions d’hypothèse (Duncan et al. 2009).
Celui-ci ajoute qu’il serait hasardeux de se fier sur cette seule recherche
pour définir des politiques. La recherche de 2007 (sans aucune mention des
réserves exprimées deux ans plus tard par le chercheur) a malgré tout été citée
dans de nombreux documents très diffusés et donné lieu à une accélération
de l’enseignement des mathématiques de
façon abstraite aux jeunes enfants.
Zigler (2011 chap. 37
p.198) s’inquiète de l’implication
grandissante dans les décisions
éducatives d’économistes et de statisticiens. Il souligne que cela influence ce
qui est évalué et donc finalement ce qui est enseigné et peut nuire au maintien
de certains programmes.
Des
recherches statistiques étiquètent des enfants comme étant « vulnérables» alors
«qu’on n’a pas commencé à les entourer,
les éduquer…» (NPS, 2012). Dans ces projections négatives, on considère des
enfants de 3-4 ans déjà comme de futurs délinquants! Il y a une confusion entre
corrélation et causalité, entre les risques auxquels peut être exposé un enfant
et une supposée relation de cause à effet qui l’amènerait automatiquement vers
la délinquance. Cela transforme le regard sur l’enfant et donc le déforme, en risquant d’induire ce qu’on voulait éviter (Giampino, NPS p.21) « Les
trajectoires des enfants peuvent se modifier très radicalement» (Rousseau dans
NPS p.72). Les auteurs regrettent qu’on «réduise des phénomènes complexes à un
nombre de variables observables qui pourront être soumises à des expériences et
des tests de corrélation statistique (Parazelli 2010, dans NPS p.4).
Seusser
(NPS p.59) dénonce aussi des programmes formatés de développement des habiletés
sociales qui « courtcircuitent les processus de pensée qui conduisent l’enfant
à intérioriser certaines limites et à accepter les frustrations et qui lui
permettent d’accéder à un stade de maturité plus avancé».
Pourtant,
ces processus les enfants les vivent et les acquièrent dans le jeu spontané.
Certaines enseignantes avouent qu’il n’y a pas de temps pour le jeu. Pourtant
le jeu est en lui-même un programme de
développement social et pourrait avantageusement remplacer ces programmes dits
de « promotion d’habiletés sociales» puisqu’il est le terreau par excellence de
l’autorégulation et des habiletés sociales et développe naturellement des
comportements adaptés (et ce à moindre coût).
Plusieurs
types d’interventions sont basés sur une vision « déficitaire» de l’enfant,
soulignant à gros traits « ce qui lui manque» plutôt que de partir de ses
compétences. Ces points de vue entraînent avec eux des attitudes et modalités
très différentes par rapport au rôle de l’enseignante et des pratiques à
privilégier.
-
Définition
de l’apprentissage et de modes d’apprentissage
Selon
l’OCDE (2010), «L’apprentissage est une modification durable des connaissances
de l’individu grâce à l’expérience de l’individu».
Si
on consulte le document de l’OCDE (2010) sur les différents types
d’apprentissage on constatera que le jeu est proche de ce qu’ils appellent
l’apprentissage expérientiel et l’apprentissage par l’action et que les formes
plus dirigées s’apparentent à une forme plus traditionnelle de l’apprentissage.
Voici quelques extraits résumés de ce document :
-La
forme dominante de l’apprentissage scolaire traditionnelle est dirigée par
l’enseignante (apprentissage guidé). L’enseignante prend toutes les décisions
pertinentes et l’apprenant peut et doit les suivre».
-
L’enseignement expérientiel est auto-organisé. L’enfant n’a pas d’objectifs
prédéterminés. Ce qui est appris est déterminé pour le contexte, la motivation
de l’apprenant, les autres personnes avec lesquelles il est en contact et les
découvertes réalisées. C’est un produit secondaire des activités auxquelles il
participe.
-L’apprentissage
par l’action est auto-organisée et auto-planifiée. L’apprenant a un rôle actif
dans la détermination de l’apprentissage. «Des résultats, non anticipés
résultent d’apprentissage fortuits» (Eisner, 1994)
Les
auteurs concluent : la régulation externe des comportements n’entraîne pas
l’autorégulation.
L’apprentissage
efficace est une activité qui n’est pas seulement individuelle mais partagée.
Il est le résultat d’une interaction impliquant d’autres personnes, des
matériaux, outils et technologies. Miller et Almon (2009) nous encouragent à
adopter deux méthodes dans un continuum : jeu initié par les enfants et
des activités d’apprentissages expérientielles avec un focus particulier
(p.22). Certains parlent de découverte « guidée».
Wood (dans Broadhead
2012) explique que dans les classes plus axées sur l’enseignement didactique,
même s’il peut subsister parfois des périodes dites de jeu, les deux types
d’activités n’ont aucun lien entre elles. Par contre dans des programmes où le
jeu reste au cœur du curriculum, celui-ci est à la source d’observations, de
réflexions d’évaluations et de prises de décision par rapport à d’autres
occasions et matériaux à offrir pour enrichir les activités spontanées initiées
par les enfant, pour démarrer des projets ainsi que pour planifier d’autres
activités initiées par l’adulte. Toutes ces activités sont inter reliées et
complémentaires formant un programme pédagogique intégré.
Conclusion :
Le nouveau programme pour le cycle pour les maternelles 4 et 5
ans est axé sur les domaines
de développement. Il fait une bonne place au jeu malgré l'ajout d'attentes au niveau de l'apprentissage des lettres. Nous espérons que les enfants pourront profiter
pleinement, au préscolaire, de leur
enfance, en pouvant s’adonner au jeu, aux explorations et découvertes guidées
ou pas, aux projets et au plein air qui leurs sont si naturels et essentiels.
On pourrait aussi regarder, pour s’inspirer, du côté des écoles préscolaires de
la ville de Reggio Emilia, reconnues mondialement pour l’excellence de leurs
pratiques.
Anne Gillain Mauffette
Note: Dans un but d’alléger ce texte, toutes
les références (6 pages) sont accessibles en communiquant avec l’auteure. Ce
texte est extrait des « Faux-Amis» et a été légèrement modifié (novembre 2019 et en 2021).
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