Faciliter le jeu sociodramatique de haut niveau chez les enfants

Faciliter le jeu sociodramatique de haut niveau des enfants
et en particulier celui des enfants issus de milieux
socio économiquement moins favorisés
Par Anne Mauffette

Image de Anne Mauffette, tous droits réservés

«Nous sommes tous des chercheurs en apprentissages» (traduction tirée de We are all explorers, (2008)

14 mars 2014: C’est par notre capacité d’imaginer le printemps que nous passons à travers l’hiver (Elkind, 2007). Nous voyons (dans notre tête) déjà les jonquilles tulipes… C’est le bagage, dans notre mémoire, de nos expériences qui nous permet de patienter (ou de s’impatienter). Il en va de même pour les enfants qui vont puiser dans leurs souvenirs le matériau de leurs représentations qui prendront entre autres la forme du faire semblant.

Introduction
De nos jours les enseignantes vivent beaucoup de pressions pour enseigner des connaissances académiques de plus en plus tôt (1). Il y a pourtant des habiletés que l’apprentissage systématique formel en grand groupe ne peut pas développer chez les enfants (5). Les programmes très centrés sur l’enseignement directe et explicite de notions précises et prédéterminés ne favorisent pas l’autonomie, la capacité de faire des choix, prendre des décisions. Elles fournissent peu d’occasions de s’exprimer librement et donc de s’exercer à «communiquer avec les ressources de la langue» (c’est souvent l’enseignante qui parle le plus). De plus ces méthodes imposent une discipline extérieure qui favorise l’obéissance mais pas l’autorégulation (discipline interne) cognitive, sociale et émotionnelle. Le jeu (et en particulier le jeu sociodramatique) et les projets sont des contextes qui permettent de développer de ces habiletés reconnues comme essentielles à l’adaptation à l’école et à la réussite scolaire.
On pourrait ajouter que les bienfaits de ces méthodes didactiques sur les succès académiques futurs (à long terme) sont loin d’être prouvés et qu’elles peuvent même exacerber les problèmes des enfants au niveau social et émotionnel (Golinkoff, Hirsh-Pasek et Singer 2006 et Marcon 2002 dans 1). Nous constatons que malgré une vaste littérature sur les bénéfices durables du jeu, le temps de jeu des enfants est de plus en plus limité (et donc moins riche en possibilités d’apprentissages) au préscolaire. Nous croyons qu’il est important que tous les enfants puissent jouir des apprentissages de toutes les formes de jeu mais insistons sur l’importance à accorder au développement chez l’enfant du jeu sociodramatique? Pourquoi? Nous avons vu - revoir le document sur le jeu sociodramatique et la maturité et réussite scolaire (2) - qu’il y a beaucoup d’effets bénéfiques du jeu sociodramatique sur l’équilibre émotionnel, le développement moral, la compréhension d’une multitude de concepts dans toutes sortes de domaines ainsi que des liens avec la littératie et les mathématiques etc. Nous reviendrons sur quelques-uns de ceux-ci reconnus pour leur importance dans la maturité scolaire et la réussite éducative et de vie. Il s’agit de l’autorégulation, le langage, les connaissances générales, les relations sociales.
En effet, c’est en parlant qu’un enfant apprend à maîtriser le langage (le jeu et les projets sont des contextes d’échanges intenses) et c’est en se soumettant volontairement aux règles dictées par son rôle dans le jeu sociodramatique qu’il apprend à s’autoréguler acceptant certaines contraintes pour profiter du plaisir du jeu. C’est aussi en confrontant ses perceptions, conceptions et connaissances avec celles des autres dans le jeu que celles-ci vont se diversifier et évoluer. Le jeu sociodramatique encourage les enfants à grandir cognitivement, à vouloir savoir car il est soumis à un principe de réalité (« C’est pas comme ça qu’on prend la pression», «Ça s’peut pas»). Le jeu est basé sur leurs expériences passées, présentes (directes ou secondaires) ou communes. Le jeu sera d’autant plus riche que les enfants peuvent y inclure des détails. Pour être apprécié des autres comme joueur, l’enfant a avantage à connaître des choses et à avoir de « bonnes» idées.

Dans le contexte culturel d’aujourd’hui, il s’avère que plusieurs enfants ne développent pas certaines habiletés nécessaires pour accéder à un jeu sociodramatique de qualité. Ils ne peuvent donc pas jouir de tous les apprentissages que ce type de jeu peut offrir.
Nous ne reviendrons donc pas ici tant sur pourquoi le jeu sociodramatique mais plutôt sur le comment aider l’enfant à savoir jouer. Mais avant de parler interventions, penchons-nous sur les facteurs qui influencent la qualité ou l’absence de qualité du jeu (jeu mature) ainsi que sur les différents aspects de ce jeu qu’un parent, éducateur enseignant pourra encourager.

Il faudrait d’abord faire la différence entre  les jeux imitatifs, le jeu dramatique et le jeu sociodramatique.

À la base de ces trois types de jeu est le besoin de l’enfant de s’identifier à une personne signifiante (qu’il aime ou admire: il veut être comme elle) ou à une position (l’enfant envie une des caractéristiques de cette position ex.: le pouvoir). Le sujet d’identification sera le plus souvent d’abord la mère (pour les filles et les garçons) puis le garçon fera la transition vers l’image du père (car il s’agit de perceptions de l’enfant, de l’idée qu’il s’en fait). Plus tard, on va personnifier, le professeur, le médecin, des personnages des médias, etc. Les jeux de faire semblant ont surtout comme sujet d’études les adultes, leur travail et leurs relations avec les autres (Elkonin, 2005 dans 2).
Il se peut que pour des raisons de problèmes d’attachement avec les adultes présents autour de lui, un enfant ne puisse pas s’identifier à son parent. Il ne s’engagera alors pas dans le faire semblant à propos de ceux-ci. Parfois un autre adulte (une grand maman, une tante ou un oncle, un voisin) devient parfois un substitut.
Pour Piaget, le jeu sociodramatique est une forme égocentrique de jeu qui est remplacé par les jeux de règles qu’il considère de plus haut niveau. Smilanski (4) et d’autres contestent cette explication. Pour elle, le jeu sociodramatique se joue sur un plan tout aussi élevé mais différent des jeux de règles et l’un ne remplace pas l’autre. Par contre il y a différents niveaux de jeu de faire-semblant.

  1. Les jeux d’imitation simple :
Nous verrons l’enfant manipuler un jouet (un camion) et faire des sons (broum, broum) ou dire des paroles, endosser un vêtement ou arborer une bourse et déclarer à la cantonade mais pas à quelqu’un en particulier concerné par ce jeu: «Je suis la maman» ou habiller et déshabiller une poupée. Ces actions sont souvent courtes et répétitives.

  1. Le jeu dramatique
L’enfant fait semblant seul mais endosse vraiment un rôle. Si l’enfant joue la maman elle se sent une maman et réagit comme elle pense qu’une maman réagirait. Il y a une séquence d’actions. (Exemple : L’enfant nourrit la poupée puis la berce en chantonnant et commente : «Ne pleure pas, maman est là»). Il peut aussi manipuler de petits personnages en les faisant parler (Exemple : L’enfant joue avec les chevaliers du château et les fait attaquer et défendre la forteresse).
Note : les jouets comme les Playmobil très réalistes encouragent ce type de jeu et l’élaboration de narratifs mais ne contribuent pas à la création ni à la substitution d’objets. Dans le cas de l’exemple donné, des blocs avec lesquels on peut construire un château feraient appel à des efforts plus grands de création d’images, de résolution de problème.

  1. Le jeu sociodramatique.
Le jeu sociodramatique contient tous les éléments du jeu dramatique mais ajoute la coopération et la coordination dans le cadre d’une thématique de jeu qui altère le comportement de l’individu. Ce sont les interrelations sociales qui font toute la différence (4). Le jeu est élaboré avec une ou plusieurs personnes. Les enfants s’entendent sur un contexte imaginaire (4). Les participants interagissent aussi bien par des gestes que des paroles. Certains échanges verbaux sont une imitation des adultes, d’autres sont dirigés vers le ou les co-joueurs, expliquent une substitution d’objets, d’actions et de situations, d’autres sont des discussions nécessaires pour planifier et soutenir l’activité coopérative.

Il s’agit d’une forme très complexe de jeu. Il s’agit d’un processus créatif (3). Imaginez-vous en improvisation continue : un dit quelque chose et l’autre répond ce qui sert d’indice pour le premier (et les autres joueurs) qui doit ajuster sa réponse puis vous à la sienne (comme à la LNI, ligue nationale d’improvisation). Cela demande une grande attention, un contrôle, du jugement, une capacité à sélectionner dans les actions (verbales ou gestuelles) possibles celles les plus appropriées à la situation et les plus acceptables, à anticiper et donc imaginer (perspective de l’autre) la réaction possible de l’autre, à argumenter à être sensible à la demande de l’autre. Le jeu sociodramatique fonctionne comme une expérience d’enseignement-apprentissage (3) les enfants étant à la fois les enseignants et apprenants. Le jeu amène l’enfant à observer ses co-acteurs et les personnes de l’environnement ce qui va élargir son monde conceptuel (4).
«Les trois composantes du jeu- situations, rôles et règles- jouent un rôle important dans la formation de la pensée des enfants, leur capacité d’agir de façon interne sur le plan mental et à s’engager dans des comportements intentionnels et volontaires» (1, p.361, traduction libre) toutes choses qui contribuent à les rendre capables d’aborder plus tard les activités plus formelles de l’école primaire.
À 4-5 ans, apprendre exige des actes spontanés qui prennent la forme de jeu. Dans le jeu sociodramatique, l’enfant recrée ses expériences afin de mieux les comprendre et les assimiler (2). Selon Erikson et Piaget, devenir maître joueur est l’accomplissement suprême au niveau du développement pour les enfants de 3 à 5 ans (2, p10). Le maître joueur est habile à représenter de façons symboliques ses expériences et ses idées de dans des scénarios improvisés et auto-initiés. La tâche principale de l’adulte au préscolaire est d’aider les enfants à arriver à ce sommet.
Ce n’est que vers 4-5 ans que les enfants ont les capacités nécessaires dont la perspective de l’autre (quand ils ont eu la chance de les acquérir) pour jouir au maximum des bienfaits de ce jeu collaboratif, âge auquel malheureusement ce type de jeu est maintenant souvent remplacé par des périodes d’enseignement systématique formel en grand groupe axées sur un contenu prédéterminé.

Niveaux de jeu sociodramatique :

Il faut d’abord dire que dans ce type de jeu collaboratif, l’enfant semble libre mais en fait il se soumet volontairement aux règles imposées par le personnage qu’il joue et le scénario créé. S’il en déroge, il sera rappelé à l’ordre par les camarades (obéissant au principe de réalité : «ce n’est pas comme cela que…»). L’enfant va donc de lui-même, pour maintenir le plaisir du jeu, faire toutes sortes de concessions et se plier aux contraintes du rôle choisi et du scénario développé. Il s’exerce àl’autorégulation.


Pour exister, ce type de jeu fait appel à de nombreuses habiletés. Smilansky (1990) en a identifiées 6 fondamentales reprises par Bodrova (2008).
  1. La capacité de choisir et tenir un rôle. L’enfant se sent comme le personnage. Il reproduit des mimiques, ses expressions, ses actions. Va plus loin que dans la simple imitation.
  2. Capacité de substitution d’objets soit par d’autres objets qui y ressemble peu ou pas du tout ou des gestes ou des mots (une boîte à pizza devient un ordinateur ou «Tiens, voilà des sous» ouvrant un poing fermé mais vide).
  3. Capacité de verbaliser des actions ou des situations sans les jouer (« On serait allés à la plage et là on serait rendu à la maison pour diner» et d’enchainer en jouant le scénario de faire à manger).
  4. Persistance (tenue de rôles pendant au minimum 10 minutes ou plus). Rôles au pluriel car parfois un rôle en devient un autre (la mère devient le médecin)
  5. Interactions avec un ou plusieurs joueurs
  6. Communications verbales (interactions liées au déroulement du scénario).

Malheureusement plusieurs enfants dans nos classes ne démontrent pas un jeu « mature». En fait on constate que des enfants de 5-6 ans qui devraient être au summum de leur
« performance» dans le jeu jouent à un niveau inférieur c’est-à dire au même niveau que les enfants plus jeunes. On note aussi un déclin de l’autorégulation supérieure des enfants dans le jeu (Smirnova et Guadareva dans 2). Ces auteurs attribuent ce phénomène à un déclin de la quantité et de la qualité du jeu au préscolaire. Mais le facteur le plus influent est le déclin de la médiation de l’adulte dans le faire semblant affectant non pas une mais toutes ses composantes (Karpov dans 2).
En observant les enfants au jeu on pourra déterminer les habiletés utilisées (parmi les 6 citées ci-haut) et leur fréquence d’utilisation ou constater leur absence. Cela nous donnera un indice non seulement des capacités actuelles de chacun mais sur les interventions à privilégier.
Les enfants exhibant l’ensemble de ces habiletés même de façon timide n’auront besoin que de multiples occasions de jeu et d’un contexte favorable (confiance, aménagement, équipement) pour les développer davantage grâce à leurs camarades. Par contre ceux à qui certaines habiletés font défaut auront besoin d’un soutien de la part de l’adulte.
Heureusement savoir jouer s’apprend et l’enseignante peut servir de guide aux enfants qui ne s’engagent pas dans ce type de jeu.


Caractéristiques observées du jeu sociodramatique de certains enfants issus de milieux socio économiquement moins favorisés :
  • Le jeu dépend beaucoup des objets : l’enfant manipule l’objet, exploite ce que l’objet peut faire mais le délaisse rapidement (fait le bruit de la sirène du camion de pompier)
  • Le jeu de ces enfants est axé sur les choses à faire, celui des enfants de milieux plus aisés sur les personnes à être.
  • Moins d’enfants s’y engagent et le jeu dure moins longtemps
  • Un «leader» décide (attitude très autocratique) et dit aux autres quoi faire, donne des ordres.
  • On remarque des conceptions arrêtées par rapport aux comportements des personnages (le père fait telle chose de telle façon et pas autrement) ce qui entraîne moins de souplesse dans l’acceptation des comportements des autres joueurs et entraîne souvent des disputes et l’arrêt du jeu.
  • Il y a plus d’expressions d’agressivité
  • Il y a moins d’énoncés au total
  • Il y a moins d’énoncés qui ont rapport avec le scénario
  • Un vocabulaire plus restreint
  • Une moindre utilisation d’adverbes, de nombres, d’adjectifs, de conjonctions et de pronoms
  • La longueur de phrases est plus courte
  • Les thèmes abordés sont à peu près les mêmes que chez les enfants de milieux plus favorisés (famille, occupations, cirque, zoo, cinéma, école…etc.). On note cependant quelques différences culturelles par rapport aux thèmes. (4)
Par contre la complexité du contenu est plus élevée dans le jeu des enfants de milieux plus favorisés. (4)
Smilansky remarque aussi que chez les enfants de milieux plus favorisés aucun enfant ne se limite uniquement au thème d’un film ou à une seule histoire. (4)
  • Différences entre deux groupes d’enfants observés par Smilansky (4):
Issus de milieux moins favorisés : Issus de milieux plus favorisés :
Axés sur le présent Axés sur la représentation
Concret Imaginatif
Littéral Symbolique
Objectif Subjectif
Privé Partage sociétal
Non verbal Verbal
Jouet indispensable On peut s’en passer


Dans une évaluation de 1 à 5  dans son étude :
1. Manipulation; 2. Imiter des actions (objets répliques de ceux utilisés par les adultes;
3. Imiter les comportements d’un rôle; 4. Substitution (matériel non structuré, gestes et mots); 5. Substitution par des mots seulement,
Les enfants de milieux aisés se situaient surtout au niveau 3 et plus, les autres au niveau un ou deux et certains trois.
Il est à noter que les différences sont moins grandes entre les deux groupes socioéconomiques dans les programmes mixtes (incluant des enfants de différents milieux) et ceux axés beaucoup sur le langage.

Dans une autre étude, Smilansky trace un portrait du jeu des enfants issus de milieux socioéconomiques différents qu’elle a observés. Note : Ceci ne s’applique peut-être pas du tout aux enfants de votre classe.

Des enfants de milieux socio économiquement moins favorisés :
Les enfants voient un objet et choisissent un thème en rapport avec cet objet. Ils imitent les actions appropriées, jouent par eux-mêmes puis se désintéressent ou quelqu’un leur enlève. S’ils se font arracher l’objet, ils vont courir pour le récupérer et répéter les mouvements associés. Ils sont très protecteurs, voient les autres comme un risque. S’il n’y a pas de jouets, il n’y a pas de jeu sociodramatique. Le jeu est assez répétitif. Si un élément est manquant (ex. : le biberon), l’enfant ne donnera pas à boire au bébé car les actions dépendent du matériel. Le leader qui a initié le jeu, le reste tout au long du jeu et éliminera tout joueur qui le conteste. Les autres joueurs sont les subordonnés. Si un joueur veut s’ajouter au jeu il sera accepté à condition de suivre les consignes du meneur. S’il fait une suggestion autre, il sera exclu. Le meneur peut parfois même jurer, crier ou se battre. Les enfants ont parfois tendance à rire de l’autre, souvent pour des choses en dehors du jeu. L’humour est plutôt utilisé comme moyen de contrôle, pas pour se détendre. Quant à la critique, elle est un véritable blâme personnel mais qui semble ne pas avoir d’effet important. Le jeu est plutôt individualiste; chacun fait son jeu.
Le jeu se cantonne dans les coins spécifiquement désignés à cet effet dans la classe.

Des enfants de milieux socio économiquement favorisés
Les enfants se regroupent et décident d’un thème et recherchent des objets utiles : l’important c’est l’histoire.
Les enfants portent peu ou pas d’attention à la quantité, qualité ou couleur des objets. Ils utilisent souvent les objets de façon symbolique (un objet rond= un volant). Si l’enfant se fait enlever le jouet il s’en passera ou ira chercher un autre substitut pour ne pas perturber le jeu. Ils préfèrent les objets pouvant servir à plusieurs choses. Ils peuvent ignorer les limitations de leur environnement. Les épisodes sont variés, portent sur une variété de sujets et expériences et sa passent aussi bien dans la classe qu’à l’extérieur. À l’extérieur par exemple où il y avait peu de jouets, leur niveau de jeu est resté élevé : une main peut servir d’assiette, le poing de tasse. Les enfants vont aussi parfois construire sommairement un décor pour un scénario (garage ou autre).
Il est parfois difficile d’identifier qui est le leader car ceci peut changer durant le jeu. On peut voir qui a un rôle plus important ou qui est plus actif mais ce n’est pas nécessairement un indice. S’il y a conflit entre deux meneurs (habituellement à propos de la tournure de l’épisode ou comment un rôle doit être joué ou si on doit accepter un autre joueur), les meneurs vont réviser la situation avec leurs partenaires et résoudre le conflit par la discussion. Même dans un groupe avec un seul meneur, l’approche est plus démocratique. La continuité du thème est importante et les enfants sont prêts à faire des concessions. Un enfant timide peut être le leader s’il a des bonnes idées. On entend beaucoup d’explications ainsi que des phrases telles que : «Est-ce qu’on est d’accord que…». Au niveau de l’humour : on rit avec les autres de choses qui se passent dans le jeu puis on retourne au jeu. La critique est dirigée vers l’interprétation du rôle et non sur la personne. Celui qui est critiqué a droit de répliquer, argumentant de son expérience et apportant lui-même sa critique. On tente d’en arriver à un compromis car le but de tous est de continuer le jeu selon une «réalité» (ou plutôt irréalité) mutuellement consentie.

Mais les enfants issus des milieux moins favorisés ont des choses à dire et les habiletés potentielles pour le faire. Il faut les aider à représenter leurs idées.

Le langage :
Par rapport aux verbalisations la grande différence est surtout dans la qualité des discours :

Des enfants de milieux socio économiquement moins favorisés :
On parle pour annoncer les rôles et gérer la situation. On fait des sons (ex. : bruit d’autobus) on dit des mots associés au jouet mais on n’imite pas la façon dont le chauffeur d’autobus parle ou on n’implique pas un autre enfant comme client. Il n’y a pas d’aller retour de verbalisations de faire semblant. C’est plus à sens unique : « apporte moi ça». Il est à noter que ces enfants parlaient davantage quand ils jouaient dans le coin des blocs que dans les autres coins (maison, hôpital, dessin peinture).

Des enfants de milieux socio économiquement plus favorisés
Les verbalisations ont trois fonctions : gérer, jouer un rôle et dialoguer. Les mots sont un médium de création. On sent un véritable plaisir de l’interaction verbale (écouter, répondre).
Si le verbal est suffisant pour connaître le jeu des enfants de milieu plus aisés, il faut un rapport détaillé des mouvements et actions des enfants de milieux moins favorisés pour révéler les rôles et thèmes du jeu (4)


Facteurs réduisant les possibilités de jeu sociodramatique de qualité des enfants :
En général :
  • Moins de temps accordé à ce type de jeu à la maison et au préscolaire
  • Manque d’espace
  • Augmentation des activités dirigées par l’adulte
  • Mesures de sécurité faisant que les parents, éducatrices ou enseignantes réduisent les possibilités de jeu
  • Enfant unique, pas d’amis disponibles
  • Moins de disponibilité des adultes pour accompagner les enfants dans ce type de jeu
  • Les enfants ont surtout des jouets très réalistes ou qui limitent l’imagination. Manque d’objets ouverts, non structurés.
  • Un manque de connaissances chez les enfants. Le jeu sociodramatique est la représentation d’une compréhension sociale. Les enfants manquent souvent d’informations sur les rôles joués par les adultes aussi bien à la maison qu’à l’extérieur (épicerie, banque, clinique…).
Il est à noter que les enfants ont souvent plus de connaissances sur le rôle joué par la mère (du moins à la maison), le rôle du père restant assez flou (« Il s’en va au travail»).
  • À l’école : une incertitude par rapport à la place du jeu au préscolaire et au rôle que peut jouer l’enseignante

Chez des enfants de milieux socio économiquement moins favorisés
On a remarqué que plusieurs enfants ne s’engageaient pas dans ce type de jeu et on s’est interrogé sur les causes possibles :
  • Est-ce le manque de jouets? Il semble que non : ces enfants ont l’occasion de manipuler des jouets même si ceux-ci peuvent être en moins grand nombre ou de moindre qualité. Ils en ont reçu à Noël, leur anniversaire ou pour les occuper.
  • L’attitude des parents? On a constaté que les parents de ces milieux n’avaient pas tendance à participer ou encourager ce genre de jeu et accordent peu d’influence éducative aux jouets.
  • On a aussi remarqué une pression plus grande sur les garçons de jouer un rôle très masculin. Toute dérogation est mal vue, ridiculisée ou même punie. L’enfant se trouve donc enfermé dans un type de scénario.
  • On a noté aussi que dans les milieux plus « punitifs», les enfants font moins de jeux sociodramatiques (4)

On a longtemps cru (à la suite de Piaget) que tous les enfants s’engageaient spontanément dans le jeu sociodramatique (un peu comme tous les enfants du monde en viennent spontanément à dessiner une mandala, précédent soleil et du personnage). Or il semble que dans certaines cultures ou milieux cela ne soit pas vrai. En fait le jeu sociodramatique émerge avec la participation active de l’adulte qui va encourager ce type de jeu par ses commentaires («Oh je vois que tu bois du café dans la tasse», «Bonjour Monsieur le docteur»…) ou comme co-joueur (jouer à la dinette). Cependant certains parents n’apprécient pas ce type de jeu soit parce qu’ils sont trop bruyants (chez les garçons en particulier), qu’ils manquent de place, qu’ils sont débordés, épuisés ou veulent avoir la paix.

On en est venu à identifier deux facteurs importants jouant sur la capacité des enfants : le manque de médiation de l’adulte pour ce type de jeu et le manque de connaissances générales sur différents sujets. Heureusement des interventions ont démontré que les enfants ont en eux tout ce qu’il faut pour ce type de jeu mais qu’ils ont besoin de soutien pour y parvenir.
Différentes stratégies ont été essayées entre autre par Smilansky et d’autres chercheurs qui en ont évalué l’efficacité.

Dans une de ses études très connue Smilansky (4), a, avec certains groupes d’enfants, essayé d’augmenter les connaissances des enfants (par des sorties, la lecture de livres, des invités, des discussions). Avec d’autres on est intervenu, pas sur le contenu du jeu mais pour développer les habiletés manquantes (dans le 6 jugées nécessaires vues ci-haut), identifiées par une observation systématique des enfants. Le soutien offert prenait des formes multiples : commentaires, suggestions de substitution d’objets (par exemple :
« Vous pourriez peut-être vous servir de ceci pour cela») ou en invitant des enfants à entreprendre un rôle, selon les observations accumulées sur les manières de faire des enfants. L’intervention allait du petit sourire d’encouragement, la présence en marge du jeu à l’implication comme co-joueur (sans prendre le contrôle du contenu du jeu).
Un troisième groupe a eu droit aux interventions combinées : visites, discussion lectures etc. et intervention directe auprès des joueurs. Dans les deux cas on avait ajouté du matériel (d’épicerie et de clinique). Un groupe témoin n’a pas fait l’objet d’une intervention particulière. Les résultats ont démontré des progrès très rapidement dans tous les groupes expérimentaux (même si les enfants n’ont pas tous rejoint le niveau de jeu des enfants issus de milieux plus aisés).
Si l’augmentation des connaissances a eu un impact, l’intervention dans les manières de jouer en a eu d’avantage et la combinaison des deux types d’intervention encore plus. D’autres chercheurs ont repris ces stratégies et les ont confirmées comme utiles. Ceci nous donne déjà des bonnes pistes d’intervention à essayer avec nos enfants.

Certaines enseignantes ont l’impression de ne pas enseigner si elles laissent les enfants jouer. Les activités plus structurées et plus didactiques correspondent davantage à leur image de l’enseignement. Peu convaincues de son bienfondé, elles en diminuent la durée. Certaines qui permettent le jeu « libre» le voient comme une période où elles n’ont pas à intervenir sauf pour réprimander des comportements inacceptables ou régler des différends. Elles s’occupent alors à préparer d’autres activités, remplir des documents, etc. Mais le rôle de l’enseignante, nous l’avons vu est primordial quoique délicat. Étayer sans nuire au déroulement demande beaucoup d’adresse. On s’interroge continuellement sur quand et comment intervenir pour enrichir le jeu tout en ne nuisant pas à l’implication des enfants et leur agenda.

Nous en venons à établir une liste (incomplète) d’interventions possibles, dans et en dehors du jeu, directes et indirectes à utiliser et adapter selon les situations rencontrées et vos propres inclinaisons.

INTERVENIR
Quand, comment et pourquoi intervenir pour favoriser le développement du jeu sociodramatique?

Toute intervention à propos du jeu ou autre situation fait partie d’une boucle d’actions :écouter/observer/documenter-interpréter-planifier/réagir-observer les effets de l’intervention, etc.

Si l’enfant n’a pas eu le soutient de l’adulte dans sa famille lorsqu’il a initié ses premiers gestes de jeu symbolique et qu’il ne trouve pas au préscolaire un encouragement de la part de l’enseignante à entreprendre et développer ce type de jeu, il sera privé d’un des outils puissants de développement de sa pensée.
Il faut rappeler que dans l’utilisation alternative d’objets aide l’enfant -qui pourtant est dans une période préopératoire où il se fie habituellement à ses perceptions- réussit ici à se dissocier de ce qu’il voit (le bloc) pour se faire une image (de téléphone). Il pense donc à deux choses à la fois. C’est ce que nous faisons quand nous lisons des traits sur le papier qui vont nous évoquer des réalités absentes. Ces gestes mentaux sont une transition vers la pensée abstraite.

Pour intervenir il faudra d’abord avoir observé/évalué le niveau de jeu de l’enfant. Où en est-il (pas de jeu d’imitation, jeu dramatique seul à deux ou à plusieurs. Lesquelles des 6 habiletés fondamentales utilise-t-il? Souvent ou peu? Lesquelles n’utilise-t-il pas. C’est d’abord sur cela qu’on va travailler. On s’attardera aussi (pour ceux qui s’y engagent) aux thèmes et concepts abordés.
Pour faciliter le jeu sociodramatique on peut intervenir en dehors du jeu, pendant le jeu, dans le jeu de façon directe ou indirecte, en étant discrète ou plus présente selon les besoins identifiés. Souvent l’étayage va se faire sur le comment jouer plutôt que de porter directement sur le contenu lui-même qui reste sous le contrôle de l’enfant ou des enfants. Exceptionnellement pour des enfants ayant des difficultés à imaginer un rôle ou un scénario on ira plus loin en co-construisant un scénario par exemple.
On va aussi intervenir pour contrer l’exclusion, le sexisme et autres stéréotypes.

Interventions possibles qui peuvent favoriser le jeu sociodramatique de qualité:

Au niveau de l’environnement :
L’enseignante est responsable d’installer le cadre matériel (incluant souvent les enfants dans la recherche d’idées et les décisions) et le climat qui va favoriser le jeu sociodramatique de qualité. Elle veillera à :
  • Donner plus de temps pour ce type de jeu, être flexible dans son horaire
  • Réserver un espace ou des espaces à ce type de jeu. On doit noter que si l’espace est trop petit, le nombre d’interaction, incluant les agressions augmente. Les agressions peuvent aussi causées par le nombre trop limité d’accessoires pour le jeu.
  • Si un coin maison existe, placer d’autres coins à proximité va favoriser l’extension du jeu : « Ex. : les parents vont à l’épicerie». Nous avons déjà noté qu’un coin fourni de matériel non structuré provoque souvent plus d’échanges que les coins traditionnels.
  • S’assurer que les «décors» créés comme cadres de jeu puissent intéresser autant les garçons que les filles ou que chacun dans l’ensemble y trouve son compte.
  • Introduire graduellement du matériel ouvert, non structuré, multifonctionnel
  • Semer du matériel qui sera une invitation ou une provocation au jeu et à la diversification des thématiques.
  • Varier le matériel, utiliser de vraies choses (casserole au lieu de réplique miniature en plastique).
  • S’assurer qu’il y a du matériel suffisant pour les deux sexes ainsi que des objets neutres. Nous avons remarqué qu’il y a par exemple plus de déguisements à caractère féminin (robes de princesses, etc.) que pour les garçons.
  • Disposer le matériel pour que les enfants voient clairement les possibilités (petits animaux sur une tablette plutôt que dans un bac, ranger pendant le jeu des enfants les objets abandonnés qui trainent, etc.)
  • Encourager les enfants à créer leurs déguisements (tissus variés) plutôt que de fournir des ensembles complets tout faits (exemple : des foulards de toutes les couleurs vont servir à confectionner des robes de princesses (ou autres choses) plutôt que des ensembles de princesses qui n’ont qu’un usage) et leurs accessoires.
  • S’assurer que les enfants des différentes cultures retrouvent dans l’environnement certains des objets utilisés dans leurs famille (servant à la cuisine par exemple).
  • Se demander après un épisode de jeu : qu’est-ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas dans l’environnement, qu’est-ce que je pourrais ajouter, déplacer, modifier pour enrichir le jeu qui a eu lieu. On peut questionner les enfants sur le pourquoi de tel problème. « J’ai vu que dans ce coin, on se bouscule. Qu’est-ce qu’on pourrait faire pour régler cela?»
  • Parfois « less is more». L’absence d’un accessoire peut obliger les enfants à trouver un substitut. Au moment où je me disais qu’il nous faudrait une caisse enregistreuse un enfant prend un objet pour le simuler.
  • S’impliquer dans la naturalisation de la cour d’école. Ceci provoquera beaucoup plus de jeux de faire semblant et d’utilisation d’objets naturels dans leurs jeux.
Pour certains enfants la présence d’un environnement riche en possibilités ne suffit pas. Ils ont besoin d’un coup de pouce de l’adulte pour atteindre un jeu de qualité c’est-à-dire, complexe, avec de nombreux échanges et riche en scénarios et inventivité et qui dure.

Au niveau des attitudes de l’adulte
Les enfants sont très sensibles aux signes donnés par l’adulte par rapport à leurs comportements de jeu (et autres) ainsi qu’à son jugement. Ils sentiront si on valorise ou non ce qu’ils font (occupée à préparer autre chose de «plus important» pendant le temps de jeu, intervention axée sur l’avertissement, etc.).
  • Manifester son intérêt par sa présence physique, ses mimiques
  • Installer un climat de sécurité (que les enfants n’aient pas peur de se faire ridiculiser ou de tenter des choses), une atmosphère relativement permissive.
  • Faire en sorte que les suggestions faites par l’adulte ne sont pas des obligations et que l’enfant puisse les ignorer ou les refuser. Un « Non merci, j’ai mon idée» démontre que l’enfant ne se plie pas à ma suggestion, a une certaine autonomie qu’il a confiance en sa capacité et qu’il l’exprime. On peut s’en réjouir.
  • Commenter positivement certaines actions (« Vous avez joué longtemps», «Vous avez bien réglé votre problème, Personne ne s’est disputé, J’ai vu que tu as laissé tel objet à X») et la contribution de l’enfant : «Quelle bonne idée tu as eu quand tu as…»
  • Permettre la combinaison d’objets (exemple : la pâte à modeler peut devenir des objets pour le magasin ou la cuisine) même s’ils sont rangés ou habituellement utilisés dans des coins différents.
  • Accepter de vivre avec une certaine ambiguïté (le jeu est imprévisible). Avoir une certaine tolérance pour le mouvement et un peu de désordre temporaire ainsi que pour un peu de bruit (les pirates sont rarement silencieux!).
  • Utiliser soi-même, même en dehors du jeu, des stratégies utiles au développement du jeu. Exemple : je mets une feuille en cornet et je lance « Attention, attention : j’ai quelque chose à vous annoncer et comme il ya beaucoup de bruit, je me suis fait un portevoix».
  • Observer avec attention et bienveillance ce qui se passe. Qu’est-ce qui se passe ici pour cet enfant, quel est son agenda, sa pensée; de quoi aurait-il besoin pour accomplir ses intentions (3); qui est le «leader». Noter le type de relations entre les enfants, l’utilisation du matériel, le matériel à rajouter ou retrancher ou mettre en valeur ou à changer de place, l’aménagement à modifier, les habiletés et stratégies des enfants, les compétences démontrées, les théories et idées exprimées, les thématiques et concepts abordés, la compréhension sociale manifestée, les indices de développement moral etc.).
  • Permettre de continuer le jeu le lendemain
  • Protéger leurs productions (pour des utilisations futures) : Ex. : Conserver les « pâtisseries faites en vue d’en faire une échoppe ou que les enfants s’en servent dans le coin cuisine un autre jour.
  • Participer sur invitation (ou parfois sans) avec plaisir à ce qui se passe (sentiment de complicité). Laisser les enfants nous dire quoi faire dans le jeu (« Tu dirais ceci» » «Moi je ferais cela et puis toi…» ou si besoin est, aider dans l’élaboration de l’histoire.

Activités avec les enfants avant, après le jeu : nourrir l’imaginaire et les connaissances
Note : Ces activités ne remplacent pas le jeu sociodramatique elles le préparent ou l’enrichissent
  • Livres (et autres médiums)
  • Lecture, consultation et de documentaires (ou DVD) en lien avec les rôles, thèmes et concepts abordés dans le jeu. Les livres axés sur les personnes et leurs occupations, comportements et relations aident les enfants à préciser les rôles et compétences des adultes qu’il cherche à représenter.
  • Lecture d’albums en lien avec les thématiques ou concepts abordés par les enfants dans le jeu
  • Lecture de livres qui exposent les enfants à la différence, à des comportements non familiers possibles
  • Composer des histoires collectives (les illustrer) et les jouer
  • Composer des histoires individuelles et les faire jouer (voir Vivian Paley)
  • Rejouer des histoires que l’enseignante a lues ou qu’on a écoutées de plusieurs façons. Certains enfants sinon tout le groupe pourra bénéficier de la proposition de rejouer des histoires de différentes façons.
Exemple. Nous avons écouté une première fois Pierre et le loup. Un autre jour l’enseignante propose que nous jouions tous les personnages de l’histoire tous ensemble. Quand Pierre se promène tous les enfants se promènent… Un autre jour encore, l’enseignante amène quelques éléments de costume (une casquette avec un bord jaune pour le canard, un boa pour une queue de chat…). Elle propose aux enfants qui le veulent de se préparer et de nous rejouer l’histoire. Puis elle pourra amener des marionnettes et les enfants pourront à leur guise nous faire un spectacle de cette histoire ou en en combinant d’autres à celle-ci.
Les contes traditionnels mais aussi les variations sur ceux-ci (où on retrouve un mélange personnages de contes dans une même histoire le chaperon rouge et les trois petits cochons, etc.).
L’objectif de ces activités est d’accumuler un répertoire de personnages, de situations ainsi que des connaissances dans lesquels les enfants pourront puiser dans leur jeu.

  • Discussions et questionnements
Ceux-ci qui peuvent parfois mener à un projet, une exploration de matériel, la consultation de livres, des sondages, une explication d’une notion (« enseignement explicite»)
  • Discussion sur c’est quoi faire semblant
  • Rôles stéréotypés
Des échanges après un jeu sur des aspects que vous avez observés et qui méritent d’être examinés avec les enfants.
Exemple : Un enfant a affirmé qu’une mère cela ne peut pas tondre le gazon. On peut décider d’avoir avec les enfants un peu plus tard une conversation(ou un projet) sur ce que font les pères, les mères, les hommes, les femmes, les bébés… On peut aussi témoigner de notre expérience. Exemple : Affirmer : «Moi je suis une femme et je sais faire des feux ou griller des choses sur le barbecue» histoire de confronter les enfants dans leurs conceptions de rôles selon les genres.
  • Des échanges sur leurs expériences par rapport au thème qu’ils ont abordé ou sur d’autres expériences qu’ils ont vécues pour les aider à les transposer dans le jeu.
«Est-ce quelqu’un a déjà été à l’hôpital?
  • Parler avec les enfants de ce qu’ils aiment, de ce qui les intéresse.
  • Des échanges sur le jeu lui-même : « J’ai remarqué tout à l’heure que…»
  • Retour sur les connaissances ou apprentissages faits par les enfants. Exemple : «J’ai entendu Louis dire dans le coin cuisine: Steak c’est comme Steve.
Il avait raison. Est-ce qu’on est capable d’en trouver d’autres des mots qui commencent par ce son là, par ces lettres là? Ils répondront peut-être Star Wars ou Stéphanie, une enfant de leur classe. (liens entre le jeu et la littératie).
  • Discussion sur des problèmes non résolus
  • Discussions sur le matériel à ajouter, les coins à modifier, l’engorgement d’un coin, la désaffection d’un autre
  • Exercices de remue méninge avec les enfants : «Qu’est ce qu’on pourrait faire avec ceci?» (objet neutre). S’il manque quelque chose dans la classe : lancer aux enfants : « Qu’est-ce qu’on pourrait utiliser à la place ou faire entretemps»
  • Remue méninges avec les enfants de thématiques qu’ils aimeraient explorer, les objets qu’on pourrait utiliser
  • Faire une liste avec les enfants (conscience de l’utilité de l’écrit dans une situation signifiante) de ce dont ils auraient besoin pour le jeu qu’ils veulent entreprendre (et voir avec eux ce qu’on peut utiliser pour les objets manquants)
  • Remue méninges avec des collègues sur des thématiques qui pourraient intéresser les enfants
  • Faire des hypothèses avec les enfants : « Et si… qu’est-ce qui arriverait?»
  • Amener les enfants à parler de leurs souhaits, projets, d’évènements futurs (donc de situations non réalisées, imaginaires).
  • Exercices d’expression dramatique. Exemple : Sur différentes musiques : se déplacer comme des insectes, ou très lentement comme des astronautes sur la lune, comme un détective etc…
  • Sorties
On s’est rendu compte que même si les enfants avaient déjà fréquenté l’épicerie ou une clinique, le vétérinaire, etc., les sorties ensemble donnaient une base d’expérience commune au groupe ce qui facilitait l’intervention de l’enseignante qui pouvait rappeler aux enfants ce qu’ils avaient vu, ce que les personnes rencontrés faisaient ou avaient dit, quels outils, ils utilisaient, etc. Sinon, elle devait faire des hypothèses sur ce que les enfants avaient pu voir.
On a constaté qu’il vaut mieux faire des sorties où les enfants peuvent observer les rôles des personnes (Elkonin, 2005). L’enseignante va, avant la sortie, discuter avec les enfants de ce qu’ils pensent qu’on va voir ou demander aux enfants de dessiner ce qu’ils anticipent. Après la sortie on discute avec les enfants sur ce qu’ils ont vus, on encourage des formes de représentation de leur expérience (dessin, construction, aménagement…) et de réinvestissement dans le jeu. Pour aider les enfants qui par la simple observation ne peuvent pas les déduire, l’enseignante explicitera pour les enfants le but des actions de ces personnes, la séquence de celle-ci, les conséquences (cause-effet) et relations entre différents comportements (2). Elle répondra aux questions des enfants ou confrontera parfois leurs interprétations («Louis a dit que…et vous qu’est-ce que vous en pensez» ou en présentant une activité/situation qui amène les enfants à modifier leur interprétation première). Il est aussi intéressant de retourner au moins une deuxième fois à un endroit pour mieux comprendre la situation.
Des sorties au théâtre sont aussi des sources de stimulation inestimables.

  • Invités
Des parents, grand parents, oncles, tantes, amis des personnes du réseau de l’enseignante peuvent venir parler de leur travail pour alimenter le jeu des enfants ou démontrer une nouvelle forme d’expression (je pense à une marionnettiste par exemple). Ils peuvent aussi venir aider à fabriquer du matériel (avec l’aide d’enfants quand c’est possible) qui servira à leur jeux. Exemple : une cuisine extérieure dans la cour des petits.

Plus les expériences des enfants seront élargies et plus ils l’éventail des thèmes dans leur jeu va s’agrandir et le jeu se complexifier.


En marge du jeu :
  • Observer le jeu. On regarde et on écoute. On peut aussi enregistrer et prendre des notes. On émet des signes non verbaux d’appréciation. On décide s’il y a lieu d’intervenir ou pas, avec qui et comment (Zigler et al. 2005 dans 5).
  • Faire des propositions : En se tenant aux abords du jeu l’enseignante peut dire voyant que les enfants se cherchent un ordinateur portable : « Est-ce que ceci pourrait vous être utile?» (en tendant une boîte de pizza soit sans rien dire ou en précisant dépendant du besoin : « Cela pourrait vous servir d’ordinateur».
  • Appeler les enfants par le nom de leur rôle. «Madame, est-ce que votre bébé est malade?»
  • Aider les enfants à faire des liens entre différents jeux : les constructeurs viennent manger au restaurant, la maman va chez le médecin avec son bébé ou chez le coiffeur aidant les enfants à enchaîner les scénarios.
  • Questionner. Afin que les enfants développent leur scénario davantage on peut leur poser des questions. Exemple deux enfants sont déguisés. « Où allez-vous comme cela,…Est-ce que c’est loin? Y allez-vous en auto?»…
  • Faire le metteur en scène : aider les enfants dans l’organisation de leur jeu («On pourrait bouger ceci là pour vous donner plus de place, vous pourriez vous servir de cela si vous voulez»). Faire des suggestions : Ex. :« Je vois que vos clients ont de la difficulté à choisir. Peut-être voudriez-vous créer un menu pour votre restaurant» ou à l’épicerie : « Je vois que la caissière a de la difficulté à calculer le total des achats. Peut-être voudriez-vous mettre des prix sur vos produits d’épicerie » Ceci peut se faire aussi après le jeu et être utilisé les prochaines fois car cela risque moins de perturber le jeu. En effet, l’équilibre est précaire et l’intervention peut devenir intrusive et mettre fin au jeu ou le transformer en une activité didactique. Exemple : une enseignante dont les enfants utilisaient des blocs comme billets leur suggère de créer des billets et propose de leur montrer comment. Elle a arrêté le jeu et l’a transformé en exercice de motricité fine et de leçon sur les chiffres.
  • Fournir du vocabulaire; « Je vois que tu as pris le stéthoscope.»
  • Rediriger le jeu qui est devenu agressif ou qui incommode d’autres enfants

Note : Bodrova (2) et son équipe vont plus loin dans l’encadrement du jeu des enfants. Dans leurs classes, on demande (c’est obligatoire) aux enfants avant de jouer de planifier leur jeu. Les enfants dessinent et progressivement écrivent (un mot sur chaque petit trait) ce qu’ils veulent faire. Cela pour amener les enfants à un meilleur focus sur le jeu et à une plus grande durée de celui-ci. Elle ne cache pas non plus son intention d’amener ainsi progressivement les enfants vers l’écriture/lecture.
J’avoue que je ne suis pas à l’aise avec cette méthode. L’enfant ne sait pas toujours à quoi il va jouer (ce qu’il va peindre ou construire) et les négociations en groupe du quoi et comment et qui (qui sont souvent très longues) sont une partie très riche du jeu. Bodrova conseille d’intervenir directement dans cette planification. Je dirais plutôt : au besoin. Une de mes phrases préférées à ce moment du jeu est : « De quoi auriez-vous besoin?» «Faites-moi signe si je peux vous aider». Il y a bien sûr des occasions où les enfants annoncent parfois : « On va faire une pâtisserie!» mais souvent le jeu émerge de premières manipulations d’objets et de devoir le nommer avant de commencer me semble limitatif et contraignant. Il me semble qu’ici l’académique commence à primer sur le jeu. Bodrova impose aussi certains thèmes aux enfants. Je préfère procéder indirectement à travers le matériel ou profiter d’une situation (un enfant s’est cassé le bras) pour proposer à l’occasion, étant donné l’intérêt des enfants pour le plâtre, un thème («Et si on faisait un hôpital?») qu’ils peuvent refuser.

Dans le jeu : Être co-joueur.
Quand on entre dans le jeu, on s’appuie sur ce que les enfants disent et font. On peut :
  • Suggérer un rôle à jouer avec vous à un enfant qui n’adopte pas de rôle (habilité numéro 1). « Pourrais-tu être le médecin qui soigne mon bébé?»
  • Jouer un rôle (proposé par les enfants ou un rôle mineur, non dominant pour démontrer des comportements de joueur).
  • Être un leader (temporaire) dans le jeu dans les cas où les enfants ont beaucoup de difficulté à amorcer ou soutenir un jeu
  • Démontrer de façon explicite un type de faire semblant (ex. : substitution d’objet verbale ou non verbale) ou d’interaction (Griffin 1982 dans 5).
  • Intervenir pour aider à régler un conflit, l’objectif étant toujours d’aider à ce que le jeu continue.
  • Proposer un autre déroulement pour le jeu qui s’épuise (peut se faire aussi quand on reste en marge du jeu) pour encourager d’autres actions alors que l’enfant manipule : «Avez-vous fait les courses aujourd’hui? Est-ce ton bébé pleure, est-ce qu’il a mangé? Est-ce qu’il est malade?
  • Rediriger le jeu trop agressif
Note : pour la plupart des enfants ces actions directes dans le jeu n’ont pas besoin de durer très longtemps, ils sauront vite utiliser les modèles d’actions pour construire leurs propres rôles et histoires.

Aider certains enfants à jouer un rôle et s’intégrer dans un jeu à deux ou à plusieurs
On va évidemment tenir compte dans notre intervention de la personnalité de l’enfant et de la situation.
  • Observant un enfant qui regarde d’autres avec envie jouer au médecin, l’enseignante demande aux enfants qui jouent : « Vous n’auriez pas besoin d’une réceptionniste par hasard? Suzanne pourrait jouer ce rôle».
  • Observant l’enfant dans son jeu solitaire, ses dessins, modelages, etc. : identifier des thèmes qui l’intéressent puis soit jouer avec lui/elle ou lui proposer un compagnon aux mêmes intérêts pour jouer sur ce thème.
  • Si un enfant ne joue pas spontanément au jeu sociodramatique, on peut suggérer un thème : «Voudrais-tu jouer au restaurant» ainsi qu’un rôle : «Voudrais-tu être la serveuse ou la cliente?» et parfois même le type d’action possible : « Je commanderais à manger et toi tu me l’apporterais» ou lui proposer un jouet ou un accessoire qui lui plairait pour l’inciter au jeu.
  • Pairer un enfant qui a tendance à jouer seul avec un autre enfant (soit reconnu pour son expertise au jeu ou qui parle la même langue ou autres critères pertinents : ils aiment la même chose par exemple (les animaux peut-être)
  • Amener un enfant à joindre un groupe : « Ton bébé est-il malade» «Viens (en l’accompagnant vers le groupe jouant au médecin) ici ils vont pouvoir le soigner». «Bonjour docteur, le bébé de Madame est malade, pouvez-vous l’aider» (et l’enseignante de se retirer quand elle constate que l’enfant est accepté et répond aux autres). Si l’enfant est accepté mais ne répond pas, elle soutient son action. Exemple tiré de (4).
  • Jouer soi-même avec un enfant puis l’amener progressivement à jouer ce rôle avec quelqu’un.
  • Démontrer par ses gestes et ses dires comment on joue.
  • Si un enfant joue avec un autre, il n’est pas nécessaire de le pousser à jouer à 4 ou à 5, cela viendra avec l’assurance prise dans le jeu à deux où il a de toutes façons l’occasion d’exercer les stratégies nécessaires au jeu à plusieurs.

Quand est-il le plus approprié d’entrer dans le jeu des enfants? Il est pertinent d’entrer dans le jeu des enfants surtout au tout début de l’année lors de leur entrée à la maternelle 4 ans (après les avoir observés) (3). Les enfants dont c’est la première expérience de vie en groupe et en milieu scolaire ne savent pas ce qu’on peut faire dans ce milieu. Si l’enseignante démontre comment ils peuvent utiliser le matériel et les invite à jouer avec elle puis avec d’autres elle leur donnera confiance en eux et en elle.
Les enfants issus d’une culture autre que celle du milieu scolaire auront besoin d’un soutien particulier dans leur jeu. Ils ne sont souvent pas familiers avec les matériaux eux-mêmes ou le langage. L’environnement, la présence et l’ouverture de l’adulte vont jouer un rôle actif pour les aider à connaître leur propre culture d’abord et comprendre celle véhiculée par l’école. Il est important que l’enseignante prenne l’initiative de mieux connaître les cultures familiales et les intègrer dans la mesure du possible dans l’environnement de jeu.
L’enseignante va les aider à établir des ponts entre ces deux milieux et à devenir biculturels (3)

Aider un enfant à élargir ses thèmes de jeu.
En écoutant les conversations des enfants, en examinant leurs productions vous trouverez peut-être d’autres sujets d’intérêt. On peut aussi en introduisant du matériel nouveau provoquer par la nouveauté un intérêt pour un nouveau thème (exemple : le camping, un voyage, une clinique vétérinaire…).

Valorisation des idées et comportements des enfants constatés dans le jeu
  • Commentaires
Souligner les moments où vous avez vu de l’entraide («J’ai vu y faire telle chose, comme c’est gentil ou généreux, attentionné», de la créativité («J’ai vu que X s’était servi de telle chose pour faire telle autre chose. Quelle bonne idée» ou par rapport à l’originalité du scénario).

  • Filmer, enregistrer prendre des photos pour garder des traces de ces moments éphémères (voir le document : La documentation pédagogique pour qui pourquoi). Les revoir avec les enfants (et les parents).

L’étayage du jeu doit viser d’abord les 6 composantes essentielles mentionnées ci-haut. Lorsqu’un enfant n’a pas acquis plusieurs de ces habiletés, Smilansky (4) recommande de n’intervenir que sur une des composantes à la fois (ex. la substitution d’objets) puis lorsque l’enfant à intégré celle-ci dans son jeu, on peut se centrer sur une autre. Dès que l’enfant est capable même minimalement d’utiliser les 6 stratégies, l’adulte va se retirer et faire confiance au jeu de groupe pour que celles-ci se renforcent. Car une intervention trop systématique dans le jeu peut être contre productif.

Conditions et interventions qui peuvent nuire à l’épanouissement de ce type de jeu : intervenir oui, mais en faisant attention de ne pas interrompre ou dénaturer le jeu
Toutes les attitudes, conditions et interventions opposées aux mesures positives ci-haut mentionnées auront des effets négatifs mais surtout :
  • L’agenda de l’enseignante qui prime sur celui des enfants. Elle a tendance à vouloir introduire (plaquer) des notions didactiques (« Lequel des deux dinosaures est le plus grand» « Combien de blocs avez-vous utilisés?)
  • Un manque d’écoute avant d’intervenir (« Quel beau château, alors que les enfants parlaient d’une cabane dans les bois»)
  • Manque de flexibilité
  • L’adulte contrôle le jeu ou intervient de l’extérieur trop souvent en disant aux enfants quoi faire
  • L’environnement limite souvent ce type de jeu : regardez les cours d’école : qu’est-ce qu’elles favorisent?
  • Le fait de regrouper des enfants du même âge ou du même milieu prive les enfants de modèles diversifiés de langage, d’idées, d’actions. Cette homogénéité (relative) peut limiter l’échange d’expériences et démonstrations par des ainés ou l’élargissement des rôles.
  • Une grande partie du jeu sociodramatique est l’organisation et la planification du jeu. Les enfants qui ont été très encadrés dans des milieux préscolaires centrés sur des activités très structurées sont peu habitués à faire des choix, prendre des décisions et hésiteront peut-être à se lancer dans ce type de jeu (craignant la réaction de l’adulte). Je pense à une enfant qui me demandait des yeux, inquiet: est-ce que ça c’est permis?!
  • On note que les garçons s’engagent moins dans ce type de jeu que les filles : est-ce dû au fait que les enseignantes soient de femmes, que l’aménagement, le type d’objets qu’on retrouve dans les classes plaise davantage aux filles, que l’espace ne permet pas l’expression physique énergique de certains garçons. On doit essayer d’identifier ce qui dans l’environnement influence négativement le jeu de ceux-ci et trouver des solutions (plus de temps passé dehors, amener du matériel différent (Ex. : ce qu’il faut pour bâtir une navette spatiale)? Ils le font davantage dehors.

Réflexion sur nos interventions
Pendant et après son intervention auprès d’un enfant, l’enseignante va observer la réaction de l’enfant (pas de réaction, réaction négative?), son niveau de participation (intéressé, observateur, souriant, engagé etc.), est-ce qu’il participe activement en répétant les mots de l’enseignante ou en formulant ses propres mots, est-ce que l’enfant ajoute aux suggestions de l’adulte, est-ce qu’il interprète de façon indépendante les suggestions de l’adulte, réagit-il de manière originale? Initie-t-il des scénarios, l’adulte n’étant plus directement nécessaire?

L’évaluation de l’effet de nos interventions va porter d’abord sur les aspects précis que nous visions mais on peut aussi porter un regard sur d’autre éléments  dans les différents domaines et sur tous les plans (socio-émotionnel, cognitif-créatif). Exemples : Y a-t-il eu : augmentation du langage (longueur et types des énoncés, vocabulaire) ou diminution des manifestations d’agressivité, un meilleur contrôle de soi, une meilleure capacité de résolution de problèmes, un meilleur esprit de classe grâce au bagage d’expériences partagées, plus d’empathie manifestée, plus de curiosité, de créativité, attention prolongée, meilleure concentration, un plus grand engagement dans les autres activités, etc.? On devra aussi considérer le degré de bien-être des enfants (sont-il plus détendus, plus joyeux?).

On fera évidemment aussi les liens avec les deux programmes du préscolaire.


LIENS ENTRE JEU, PROJETS ET LITTÉRATURE JEUNESSE
Le jeu sociodramatique des enfants peut nous fournir des sujets d’étude pour entreprendre des projets. Devant leur enthousiasme pour un thème on peut décider de vouloir aider les enfants à approfondir leurs connaissances sur ce thème en l’utilisant comme cœur d’un projet. Les deux types d’activités se nourrissent mutuellement. D’autre part certains projets peuvent devenir une source d’inspiration pour le jeu des enfants. Souvent le jeu émerge dans le projet lui-même et on doit lui laisser une place car ce sont des vases communicants, deux façons complémentaires de comprendre le monde.
Les livres sont un trésor d’informations mais aussi de personnages et d’histoires qui pourront être réinvesties par les enfants dans leur jeu de faire semblant ainsi que dans les projets et autres activités de la classe.
Pour moi ce sont là les trois piliers du préscolaire

OBSERVER/DOCUMENTER LE JEU
Le jeu n’est pas une parenthèse entre des activités structurées; il mérite respect et attention. On a tendance à garder des traces des productions des enfants mais le jeu fait rarement l’objet d’une observation attentive à des fins de planification et d’évaluation. Être capable d’identifier et de rendre visibles les acquis des enfants et leurs apprentissages est la meilleure façon de valoriser ce type de jeu auprès des enfants, de leurs parents des autres enseignants, des conseillers pédagogiques, des orthopédagogues et autres personnes pouvant douter de la place de ce genre d’activité en maternelle. Les enfants sont très sensibles à l’importance qu’on leur donne à travers ces documents (photos, transcription de leurs dires) et sont motivés à continuer de s’engager dans non seulement dans ce type de jeu mais dans les activités de la classe car ils se sentent reconnus, vus comme intéressants, ayant des idées, compétents. La vidéo, l’enregistrement des dires des enfants ou de vos discussions sur des éléments de leur jeu peut vous étonner mais surtout vous donner des pistes sur ce que vous pourriez proposer pour enrichir leur réflexion et pousser plus loin leurs apprentissages mais ces données sont aussi un matériau précieux pour entrer en dialogue avec les parents.
On va observer l’enfant en pensant : « Qu’est-ce que je peux apprendre sur lui?» On pourra noter à la fois ses capacités à utiliser les 6 habiletés essentielles au jeu sociodramatique mais aussi les thématiques abordées (et en déduire les thèmes sous-jacents qui ne sont pas évidents : les super héros sont à propos de la force, de la puissance) et les concepts évoqués par les enfants ainsi que les indicateurs de compétences liés aux programmes du préscolaire manifestés. On va constater les rôles adoptés par l’enfant, la durée de son jeu, comment il communique avec les pairs. Le langage étant omniprésent on aura une bonne idée de l’étendue du vocabulaire et de la complexité des énoncés des enfants et de leurs progrès. (Voir aussi la section sur l’observation dans le document d’accompagnement de la vidéo sur je jeu du Ministère).
La prise de notes des enfants au jeu (et leurs paroles et photos affichées) va non seulement motiver les enfants à jouer (puisque cela lui donne de l’importance) mais leur donner un modèle de scripteur. Sans doute certains voudront-ils vous imiter. Plus les enfants deviennent autonomes dans le jeu, plus cela libère l’enseignant de son rôle de co-jouer et lui laisse plus de temps pour consigner ses observations pendant le jeu.

L’observation et la documentation de ce type de jeu vous mettra sur la piste de toutes sortes de projets possibles ainsi que d’interventions « ciblées» (c’est-à dire ayant une intention précise par rapport à un élément identifié) auprès d’un enfant, d’un petit groupe ou de l’ensemble de la classe puisque vous les connaitrez mieux.


LE JEU COMME LIEU D’ÉVALUATION ET DE PLANIFICATION
C’est dans ce type de jeu que les enfants vont vous révéler tout ce qu’ils savent, ce qu’ils ont intégré des autres activités proposées en classe, ce qu’ils comprennent ou pas, leurs théories sur toutes sortes d’aspects de la vie, leur intérêts, préoccupations, peurs, compétences sociales, langagières, leur autonomie, initiative…
Grâce à l’observation des enfants au jeu et les données accumulées par votre documentation vous serez en mesure de planifier vos activités en fonction de leurs besoins/capacités réels (à l’intérieur de leur zone proximale de développement) et de témoigner de leurs progrès et compétences. Vous pourrez facilement témoigner concrètement des compétences acquises (dans vos communications et dans le bulletin). On notera en particulier (mais pas seulement!!) les manifestations de compréhension de notre système graphique (fonction, sens de la lecture, émergence de traits imitant l’écriture, écriture approchée) et les notions mathématiques explorées. La présentation de cette documentation va varier selon les situations (les enfants voyagent-il par autobus ou les parents viennent à l’école les chercher?). On variera le format et la fréquence en conséquence (affiches, cahier de communication, communication électronique…). Les réunions avec les parents seront l’occasion de partager et discuter en groupe de ce qu’on fait dans la classe pourquoi et de montrer les prouesses des enfants (complexité de leur pensée, etc.)

LE JEU ET LES PARENTS
On nous dit souvent que ce sont les parents qui demandent de l’enseignement systématique formel. Hormis leur peur que l’enfant ne réussisse pas à l’école et dans la vie s’il ne « fait que jouer», les parents ont aussi envie que leur enfant soit heureux. Si on parvient à rendre visible tous les apprentissages de leurs enfants dans le jeu et ce dans tous les domaines (dont l’écrit et les mathématiques!) grâce à la documentation et l’interprétation de celle-ci, sans doute les parents seront-ils plus rassurés. Les parents qui ont manqué de pouvoir dans notre système économique seront les plus inquiets de voir leur enfant jouer si on n’arrive pas à leur démontrer les conséquences positives sur le développement de leur enfant, ses compétences et connaissances.

CONCLUSION
Le jeu sociodramatique est un pré requis pour le développement de la pensée abstraite et symbolique (Bodrova, p.341). Dans le jeu l’enfant en arrive à échapper à ce qu’il voit (un long bloc est clavier d’ordinateur); il arrive à dissocier l’objet et le sens. Dans ce chemin vers la pensée abstraite, le jeu favorise l’émergence de nouvelles opérations mentales, l’aide à passer de pensées sensorimotrices et de représentations visuelles à des formes plus avancées de pensée. Il développe en même temps une conscience métalinguistique, utilisant de nouveaux noms à des objets dans leur nouvelle fonction, détachant le sens de l’objet, capacité associée à la maîtrise du langage écrit.
Nous avons insisté sur le rôle prépondérant de l’autorégulation dans la « maturité scolaire» et la réussite éducative ainsi que dans la vie et noté que ce n’est pas quelque chose que l’enseignement dirigé peut favoriser mais que le jeu «enseigne» aux enfants. Des recherches (Dickinson et Tabor 2001; Griffin et al. 2004 dans 1) ont aussi confirmé les liens entre le jeu de faire semblant et le développement du langage ainsi que la performance en lecture. La capacité de créer des images est critique pour la compréhension de textes (Duke et Pearson dans 1) et les enfants exercent leur imagination dans le jeu sociodramatique (ainsi que dans toutes les autres formes de représentation tel le dessin, etc.). Le langage est au centre de ce type de jeu et comme c’est une clé de la réussite éducative c’est une autre bonne raison de le soutenir et défendre. Il y a une grande similitude entre les comportements nécessaires dans la participation au jeu sociodramatique et ceux nécessaires au succès scolaire (4). Les enfants privés d’occasions de développer leurs habiletés par le jeu dramatique seront moins bien préparés pour profiter de ce que l’école offre (4 p.15). Une étude longitudinale (Smilansky et Feldman, 1980) ont établi des corrélations très élevées entre le niveau de jeu sociodramatique à la maternelle et des résultats élevés en compréhension de lecture et en mathématique en deuxième année. Plus en fait que le lien entre le QI et la lecture en fin de première année.
En fait, la qualité du jeu sociodramatique chez les enfants au préscolaire a été identifiée comme un meilleur prédicteur des habiletés scolaires futures que la maîtrise d’habiletés académiques(Vygotsky dans 1, p.360). « L’implication dans le jeu de faire semblant contribue à la maîtrise des prérequis scolaires» (1) Aussi cela ne sert-il à rien de vouloir accélérer le développement en imposant aux enfants beaucoup d’activités formelles ultra dirigées, les privant du même coup (car le temps est limité) d’expériences essentielles, mais bien de permettre une expansion (il utilise le terme amplification) du développement (Zaporozhets, 1986 dans 1) grâce à des activités appropriées à leur âge dont le jeu sociodramatique. Selon Vygotsky (dans Karpov, 2005 dans 1), ce type de jeu est un «mécanisme qui propulse l’enfant vers l’avant». Il faut donc s’assurer que tous les enfants puissent s’y adonner et ce dans les meilleures conditions. Comme la qualité du jeu dépend beaucoup de la médiation de l’adulte, l’enseignante a un grand rôle à jouer. Le jeu initié par les enfants et soutenu par l’enseignante qui va parfois servir de « coach» va aider les enfants de tous les milieux à vivre leur plein potentiel.


Références :

  1. Bodrova, E. (2008) Make-believe play versus academic skills : a Vygotskian approach to today’s dlemma of early childhood education European Early Childhood Education Research Journal Vol. 16, No. 3, Septembre, p. 357-369

2a. Gillain Mauffette, A. (2011) Le Jeu Sociodramatique et la maturité et la réussite scolaire
2b. Gillain Mauffette. A. (2008) La documentation pédagogique pour qui pourquoi
2c. Gillain Mauffette, A. : Bourdages, C. : Guide d’accompagnement de la vidéo sur Le jeu selon Madeleine Baillargeon produit par Éducation Québec. Série La Maternelle no.8

  1. Jones, E.: Reynolds, G.. (2013) The Play’s the thing. Teachers Roles in Children’s Play, Teachers College, Columbia University
  1. Smilansky, S.; Sheftayaya, L. (1990): Facilitationg Play : A Medium for Promoting Cognitive, Socio-emotional and Academic Development in Young Children. Psychosocial &Educational Publications, Maryland, U.S.A.
  1. TarmanB.et Tarman,I (2011). Teacher’s Involvment in Children’s Play and Social Interactions. Elementary Education Online, 10(1), 325-337

La citation en introduction sur le printemps est extraite de The power of play (2007), p.57)


Note : Ce texte a été préparé par Anne Gillain Mauffette en vue d’une rencontre avec le groupe expérimental d’enseignantes dans des maternelles 4 ans plein temps pour les enfants issus de milieux moins favorisés en Mars 2014. Il s’agit d’une synthèse de lectures ainsi que d’observations sur le terrain. Pour plus d’informations : mauffett@ca.inter.net

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