Qu’entendons-nous par LE JEU?


par Anne Gillain Mauffette

Le vocabulaire cache souvent des situations bien différentes. Même si on croit s’entendre sur le sens du mot "jeu", celui-ci est considéré et vécu de façons très variables selon les milieux. Les expériences vécues par les enfants à la maternelle peuvent prendre différentes formes : cela va du plus informel (la récréation par exemple) au plus scolaire1. Sous ce vocable de jeu et d'autres termes associés, dont nous allons discuter (jeu dirigé, activités à caractère ludique ou ludo-didactiques, situations issues du jeu, etc.), se cachent des expériences très dissemblables qui ont des effets très différents sur les enfants (ceci fera d’ailleurs l’objet d’un deuxième texte).

Dans une classe, le jeu peut être au cœur du curriculum: on lui réservera donc de longues plages de temps; on planifiera l’aménagement physique et prévoira le matériel de la classe en fonction de le favoriser. Les autres activités de la journée sont souvent en lien avec les observations faites par l’enseignante durant le jeu des enfants. Dans d’autres, il y a aussi des temps de jeux, limités à l’utilisation d’un matériel précis, souvent présenté dans une boîte et  axé vers l’apprentissage des lettres ou des nombres. Dans d’autres encore, il est parfois une sorte de récompense (un quinze minutes après qu’on ait fini le reste, plus important…si on a du temps) et consiste alors parfois en quelques jeux de table dits éducatifs ou jeux à règles, mis à la disposition des enfants. Dans certains cas, il n’y a qu’une période, le vendredi après midi,  qui peut être retirée si les enfants « n’ont pas bien fait ça». Il y a même des classes où on n’a pas le temps de jouer. Une enseignante explique la non-existence du jeu  « parce que je suis en milieu défavorisé et que j’ai trop de choses à leur montrer». La récréation devient alors le seul lieu de jeu.

Il semble régner une certaine confusion en ce qui concerne le sens de ces termes qui sont parfois utilisés l’un pour l’autre, alors qu’ils représentent parfois des pratiques radicalement différentes, ancrées dans des perspectives parfois opposées et imprégnées de conceptions de l’apprentissage parfois contradictoires.

Ce manque de clarté entraîne une certaine difficulté dans nos orientations et interventions et une incohérence entre le programme et son application. En effet, chacun reconnait que le jeu fait partie du monde de l’enfance, mais interprète ce concept à sa manière. Il n’y a pas de sens commun donc pas de réflexions ni de pratiques partagées.

Ces différentes conceptions du jeu correspondent à des conceptions pédagogiques différentes et à des idées sur la place du jeu en éducation préscolaire, mais surtout à la conception qu’on a des enfants et de l’enfance. Elles n’auront pas toutes la même portée, les mêmes effets ou bienfaits.

Certaines positions pédagogiques sont basées sur un type plus hiérarchique, autoritaire de l’éducation (l’enseignant est celui qui sait et va transmettre ses connaissances). Elles prônent souvent l’utilisation de méthodes de type behavioriste dont les scénarios d’enseignement sont  prédéterminés par des experts à l’extérieur de la classe et dont le contenu est fractionné, séquencé, cumulatif et obligatoire. 

D’autres s’appuient sur des formes pédagogiques plus démocratiques et souples où l’enseignement est basé sur la connaissance des différents enfants présents dans le groupe, ajusté aux intérêts manifestés et observés et dans lesquelles les enfants sont considérés non pas seulement comme des récepteurs de notions et connaissances, mais comme des acteurs dans leurs apprentissages (dans un curriculum émergent). Ils sont  « des agents actifs qui réfléchissent et coordonnent leurs pensées, plutôt que simplement destinés à absorber celles des autres» 2. Nos programmes préscolaires québécois ont été élaborés dans cet esprit-là.

Il est important de distinguer entre le jeu - le vrai- et des activités jugées amusantes par l’enseignant (et parfois aussi par les enfants) ou encore des apprentissages prescrits rendus plus ou moins ludiques par l’attitude de l’enseignante ou un moyen technique comme l’ordinateur, car c’est le vrai jeu, c’est-à-dire celui initié, négocié et contrôlé par les enfants qui permet le plus d’apprentissages signifiants et intégrés en profondeur. C’est aussi dans le vrai jeu que les enfants vont le plus développer les habiletés nécessaires à la poursuite de leur vie d’élève, en particulier l’autorégulation émotive, physique et cognitive ainsi que l’élargissement et approfondissement de leurs connaissances. Cependant, j'analyserai les bienfaits du jeu, en rapport avec les activités didactiques dans un autre document. Je me contenterai maintenant de dissiper la confusion régnant sous ces différentes appellations du jeu.

Entre ce que j’appellerai le vrai jeu ou le jeu authentique (souvent appelé jeu libre, mais en fait le jeu ne l’est jamais vraiment tout à fait, puisqu’il existe toutes sortes de contraintes comme l’espace, le temps, le matériel disponibles, les partenaires, etc.) et le pur exercice, on entend parler de jeu dirigé, de jeu semi-dirigé, de jeu guidé, de « Playworlds, de Playful-Learning», des pratiques de Smilanski3
 ou de Bodrova et son équipe («Tools of the mind») et d’activités structurées, ludiques ou à caractère ludique.



Le  jeu authentique :

Nathan compare la vitesse et les sons des différents types de billes (parcours Haba)
Il n’y a pas d’objectif prédéterminé par l’enseignante (même si elle peut envisager des possibles en rendant intentionnellement disponibles certains matériaux et intervenir selon les besoins observés); il est initié par l’enfant/les enfants; contrôlé par l’enfant/les enfants; multisensoriel; actif; agréable; auto dirigé, seul ou avec les pairs. La réalité est suspendue; la  motivation y est intrinsèque. Il provoque un sentiment de maîtrise et de compétence. Il peut changer d’orientation en cours de jeu, les règles peuvent être modifiées  (les enfants faisant des pauses - le méta jeu - pour se mettre d’accord sur les actions à poser, les significations à donner, ajuster les rôles ou les règles). Il peut aussi s’interrompre selon le gré des joueurs.
Les apprentissages y sont multiples touchant plusieurs domaines et compétences en mêmes temps. Ceux-ci sont des conséquences des actions des enfants et doivent être déduits par l’enseignante. (J’ai vu qu’elle a dit ceci ou qu’il a fait cela ce qui démontre telle ou telle habileté, connaissance, stratégie, compétence).

Le vrai jeu est un plaisir partagé. Il est recherché par les enfants qui eux font bien la différence entre ce qui est du jeu et ce qui ne l’est pas.

Ce jeu est soutenu par l’enseignante de différentes façons (interventions pendant ou hors du jeu pour enrichir et faire durer le jeu sans en dénaturer le cours et revenir après le jeu sur certains thèmes ou concepts abordés dans le jeu). Il est le moyen idéal pour connaître véritablement un enfant. Il est aussi le premier médium à travers lequel les enfants explorent l’usage de systèmes symboliques. Plus le jeu sera une création à partir de leurs propres expériences vécues, leurs habiletés, leurs besoins,  plus les enfants profiteront de ses bénéfices4
.

Le jeu de qualité ou le jeu dit «mature»
Trois filles ont joué «aux réfugiés», dehors pendant une longue période.

On fait alors référence à un jeu en petit groupe qui dure un long moment où il y a beaucoup de négociations et d’échanges d’idées créatrices, d’utilisation originale des matériaux. Il s’agit d’un jeu coopératif  qui est reconnu comme très porteur d’apprentissages. Le jeu sociodramatique en est un des plus puissants.
Il y a effectivement des niveaux de jeu qui vont du plus superficiel (souvent en dessous des capacités des enfants, à cause de circonstances dans l’environnement : le matériel insuffisant par exemple, ou bien un manque de médiation) à un jeu plus complexe. On a noté par exemple des différences entre le niveau de jeu d’enfants issus de milieux moins favorisés et des enfants de milieux plus aisés3et 5

Devenir un « bon » joueur ou un joueur expert est quelque chose qui se développe avec la maturation (capacité de prendre la perspective de l’autre, autorégulation physique et cognitive) et de la pratique si on fournit les conditions nécessaires à l’épanouissement de celui-ci (matériel, espace, attitudes et interventions de l’enseignante. Les bons joueurs sont appréciés par leurs pairs, car ils ont de bonnes idées, mais acceptent aussi celles des autres et sont habiles à temporiser.

Pour Vygotsky et Piaget, le jeu sociodramatique est l’accomplissement suprême des enfants de 4-5 ansPar contre, un enfant en déficit de vrai jeu est un enfant « défavorisé» 6.


Le jeu ou les jeux plus ou moins dirigés:


C’est l’enseignante qui définit l’orientation, le contenu,  le matériel, le temps de jeu et parfois les partenaires selon son agenda. Elle a des objectifs précis au départ. C’est elle qui anime, qui corrige. Cela peut se passer en petit ou grand groupe. Les enfants peuvent avoir plus ou moins de latitude.


 Le «Playful-learning»

On retrouve ce terme en anglais qui décrit une situation où le jeu est ici aussi défini par l’enseignante; a des objectifs, un déroulement précis. Il peut rester multi sensoriel; actif, agréable et se dérouler en grand ou petit groupe.

Certains  tenants de ce type d’activité ajoutent que le jeu « libre» et le «playful-learning» sont complémentaires7. Les termes « playful-learning" et "guided-play" sont parfois utilisés de façon interchangeable.


 Le jeu guidé («Guided Play»)

Selon Hirsh-Pasek7 ainsi que Fein et Rivkin9 , et dans Miller et Almon8
 ,le jeu guidé est différent du vrai «libre».  L’enseignante structure un environnement autour d’un ou plusieurs objectifs du curriculum.  Elle les présente de façon à stimuler les découvertes des enfants.

D’autres interprétations de ce terme font référence à un type de  jeu où l’enseignante  intervient directement dans le jeu et sert de modèle pour les enfants tout en glissant subtilement parfois des notions académiques dans celui-ci.

En fait, je préfère parler de jeu assisté ou soutenu par l’adulte. Dans le terme «guider», je vois quelqu’un qui prend les devants plutôt que quelqu’un qui accompagne. Pour moi, la plupart du temps, c’est le jeu qui doit guider l’enseignante (le jeu va lui révéler ce que les enfants savent et elle pourra construire sur ces acquis émergents) et non l’inverse. Il ne faut d’ailleurs jamais oublier que beaucoup d’apprentissages chez les enfants en jeu se font surtout entre eux et  que l’enseignante ne doit pas monopoliser l’attention ou l’action. De plus, même quand elle «guide» un enfant ou des enfants, l’enseignante doit respecter le contenu du jeu et leur laisser le contrôle sur son orientation. En effet, une étude auprès d’enfants qui démontraient trop de violence dans leurs jeux (Smilanski, 1990) compare les effets de deux types d’interventions : la première approche laissant le choix de la thématique et le contrôle du jeu à l’enfant, tout en le temporisant s’il faisait mine de devenir violent dans le jeu, et une deuxième approche plus encadrée (choix du thème par l’adulte et réorientation fréquente du jeu par celui-ci); cette étude a démontré que l’approche plus ouverte, dans laquelle  l’initiative du thème reste sous le contrôle de l’enfant, donnait de meilleurs résultats.


Je considère que si une intervention directe dans le jeu peut être utile, c’est pour assister un enfant qui ne sait pas ou ne sait plus jouer (pour toutes sortes de raisons) et pour l’amener progressivement à être autonome et à collaborer avec les autres de façon spontanée (voir Smilanski 1990). Je ne l’appliquerais pas à l’ensemble des enfants. L’enseignante peut parfois être une accompagnatrice dans le jeu d’enfants timides ou au contraire un peu trop envahissants ou qui errent ne sachant pas trop quoi faire. Elle peut servir de modèle en jouant en parallèle ou en association avec l’un ou l’autre (pour encourager par exemple la substitution d’objets). Mais, même pour ces enfants, il sera préférable qu'elle se retire dès que possible,  en les jumelant avec un joueur conciliant et habile au jeu.

On parle en ce moment aussi beaucoup de découvertes guidées, des recherches ayant démontré que cela donne de meilleurs résultats que l’enseignement explicite.


-       Le jeu guidé selon « Tools of the Mind»  de Bodrova10
  

Ici, on demande aux enfants d’annoncer ce à quoi ils vont jouer et même de le représenter par dessin et progressivement par écrit avant de jouer (on s’inspire de Vygotsky qui insiste sur l’importance de la planification dans le jeu). Cela, dit-on, accentue le point focal des enfants dans le jeu. Dans cette approche au jeu, l'enseignante peut aller jusqu’à imposer des thèmes de jeu.

J’avoue que j’ai des réserves par rapport à cette façon de faire, car il me semble que des éléments essentiels du jeu (spontanéité, imprévisibilité) disparaissent : on me demande de planifier mon jeu avant même que je ne commence à jouer.

Dans le « vrai» jeu, le thème émerge parfois après bien des tâtonnements et des changements d’idées ou est proposé par un leader dont l’idée est acceptée par des participants. Ces négociations sont des occasions d’échanges et donc de langage. J’ai un peu l’impression que demander aux enfants ce qu’ils vont faire de façon trop précise, c’est comme demander à Picasso ce qu’il va peindre : il n’en sait rien, puisque cela ne se précisera qu'en cours de processus de création même (voir le film sur Picasso en train de peindre). Imposer un thème au jeu des enfants viendrait ainsi court-circuiter leur agenda.

De plus, le fait de demander à l’enfant d’écrire sur des petits traits les lettres des mots décrivant son projet me semble mettre l’accent plus sur l’apprentissage de l’écriture et la lecture que sur le désir et le plaisir du jeu.

-   Les SAIJ ou situations d’apprentissage issues du jeu
Krasimira Marinova11 suggère des situations d’apprentissage issues du jeu (SAIJ) qui ne remplacent pas le jeu libre mais bien l’enseignement formel. L’enseignante qui se joint au jeu profite de certaines situations pour introduire une notion dont les enfants ont besoin dans leurs jeux. Dans sa recherche (2019), elle démontre que le jeu symbolique soutenu par l’enseignante et dans un contexte riche en écrit, est plus efficace que l’enseignement explicite de la lecture.

J’avoue ma crainte, dans les SAIJ, que certaines enseignantes arrivent avec leurs propres idées, sans tenir compte de celles qu'avancent les enfants, détournant leurs initiatives et limitant ainsi le jeu symbolique à des occasions de travailler des notions scolaires.  Je préfère, lorsque l'enseignante perçoit des occasions de contribuer ou d'enrichir un jeu (elle estime que les enfants auraient besoin de…), la voir revenir après le jeu, au besoin,  sur des observations faites lors de celui-ci (retour sur des concepts, des attitudes, etc.).


-   Les « Playworlds» 

Ici, l’adulte propose aux enfants de rejouer une histoire qu’on leur a racontée et participe au jeu. Cette activité est intéressante dans le sens où les enfants vont mieux s’approprier et comprendre l’histoire. De plus si on joue plusieurs histoires, les enfants pourront s’en servir pour les combiner dans leurs autres jeux (marionnettes, faire semblant et créations de toute sorte). Cela me parait un excellent moyen de diversifier les thématiques des enfants et d’enrichir leur jeu mais cela ne remplace pas les périodes de « vrai jeu».


-  Vivian Paley12 : Jouer des histoires dictées à l’adulte

Cette enseignante propose aux enfants  qui le veulent de lui raconter quelque chose (pas plus d’une page) qu’elle transcrit. Plus tard, l’histoire sera jouée, dirigée par l’enfant qui l’a «écrite» (choix de son rôle dans l’histoire) et les joueurs volontaires choisis parmi les enfants assis en rond autour des acteurs. Si cette activité est fort intéressante  au niveau de la création de récits, de la connaissance des enfants dans la classe et de la création d’un esprit de groupe, elle ne remplace pas le "vrai" jeu, et ce n’est pas l’intention de Madame Paley. Au contraire, elle affirme (2009) que "dans une maternelle qui n’offre pas une durée substantielle pour le jeu, tout le monde est désavantagé»


-  Jeu et  jeux «éducatifs»
On pourrait aussi faire une distinction entre le jeu initié et contrôlé par les enfants et les jeux dits « éducatifs» appelés parfois jeux de table ou de règles ou de société s’ils sont joués à plusieurs. Dans les seconds, l’objectif ou les objectifs d’apprentissage et la finalité du jeu sont déjà déterminés par les concepteurs et les modalités d’utilisation du «jeu» sont aussi régies de l’extérieur. Les règles sont prédéterminées alors que dans le jeu symbolique par exemple, elles sont déterminées par les enfants (et leurs perceptions de la réalité dont ils s’inspirent). 
Pour rendre ce type de jeu plus riche, on peut inviter les enfants à créer leurs propres jeux 13
 On peut aussi avant d’expliquer les règles d’un jeu leur demander comment ils pensent qu’on joue à ce jeu (un jeu de mémoire sera peut-être plutôt utilisé pour faire de la classification) et ensuite expliquer aux enfants comment le concepteur pensait qu’on jouerait. On peut aussi laisser les enfants changer les règles du jeu. Exemple : Des enfants jouant à « Trouble» ont décidé de ne pas renvoyer le pion à la case départ quand il arrivait sur la même case que celle d’un partenaire, mais de le faire reculer à la place d’où il était parti, adoucissant le jeu et le rendant le jeu moins frustrant.
Zoé (5 ans), inspirée par un jeu de société dans Pomme d’api, décide d’en inventer un.
Lorsque notre pion arrive sur une ligne noire (au milieu d’une case), on doit suivre le trait qui nous remonte (et donc nous retarde).
Les activités structurées ou dirigées 

L’objectif ou les objectifs de ces activités sont définis par l’enseignante qui va encadrer de façon plus ou moins étroite les actions des enfants. Elles peuvent être liées au vécu des enfants, ou ne pas l'être. On peut compter parmi ces activités les bricolages selon un modèle, des activités motrices dirigées, des activités musicales ou de langage animées par l’enseignante, ou encore des activités "pour  présenter des défis» aux enfants. Le matériel à utiliser est prévu par l’enseignante, et la façon de les utiliser souvent prescrite. C’est l’adulte qui va gérer les comportements de l’enfant, en imposant,  le cas échéant, des conséquences fâcheuses.


-  L’exploitation de thèmes 

Il s’agit d’un ensemble d’activités qui peuvent prendre toutes sortes de formes (dont du jeu), autour d’un thème choisi la plupart du temps par l’enseignante qui réutilise le matériel d’année en année (par exemple les pommes à l’automne). Ces activités sont souvent vécues par l’ensemble de la classe. Des activités dirigées y sont souvent rattachées (des bricolages, par exemple).


 Les projets

Il s’agit de l’étude en profondeur d’un sujet et qui va donner lieu à de multiples investigations et représentations. Le sujet émerge souvent de l'observations des intérêts que des enfants manifestent dans leur jeu ou leurs conversations , ou des évènements spéciaux dans l’environnement (chantier près de l’école, bras cassé, arrivée d’oies sur la cour extérieure, etc.). Le sujet sera choisi parfois en réponse aux questionnements des enfants, pour confronter, renforcer ou approfondir leurs théories intuitives par rapport à un concept ou situation. Le « travail» se fait en petits groupes. Soutenus par l’enseignante, ces groupes choisissent quelles informations ils vont aller chercher, comment et à qui ils vont présenter les résultats de leur recherche.

Le jeu peut faire partie d’un projet et un projet peut nourrir et complexifier le jeu.


- Les activités académiques dites «à caractère ludique» ou simplement «ludiques»

Ce sont des activités prédéterminées par l’enseignante par une méthode prescriptive, souvent centrées sur un contenu précis, fractionné et cumulatif, rendues les plus amusantes possible par l’attitude de l’enseignante afin de s’assurer la coopération des enfants. Les enfants sont obligés d’y participer et sont parfois évalués selon leur performance. Certaines enseignantes se sentent parfois obligées de les appliquer malgré leurs réserves.


- L’enseignement explicite, systématique et ciblé.

Ces trois mots méritent d’être analysés séparément. En effet, s’ils sont associés en ce moment ensemble à une (ou des) méthodes d’apprentissage de la lecture, chacun de ces mots fait partie de la langue française et leur usage ne se limite pas à celles-ci.

Expliciter veut dire expliquer ce qui est exprimé, formuler de façon claire, précise. Par opposition, on dira "implicite" ce qui est sous-entendu. 
Tout observateur dans une classe de  maternelle même centrée sur le jeu constatera que l’enseignante n’est pas muette. Au contraire! En fait, on l’entend beaucoup parler : elle commente des situations, explique certains fonctionnements, clarifie certains points, etc. On ne peut donc  accuser les enseignantes qui basent leur pédagogie sur la découverte de ne pas être «explicites». Elles choisissent le moment pour ces interventions, individuelles, en petits sous-groupes ou en grand groupe. L’enseignante qui observe le jeu des enfants peut aussi intervenir dans le jeu (mais aussi dans une conversation, un projet ou autre activité)  pour expliciter une notion, nommer un objet, éclaircir une situation. Un exemple : G. joue dans le coin maison et fait semblant de cuire quelque chose dans la poêle. Nous comprenons que c’est du «steak» quand il dit à sa partenaire : «steak c’est comme Steve» (un enfant de la classe). L’enseignante présente en profite pour renchérir : «Oui, tu as raison, les mots steak et Steve (en accentuant le ST) commencent par le même son et les mêmes lettres. Elle vient de faire de l’enseignement explicite en nommant et précisant la trouvaille de G. Elle note que G. reconnait une allitération. Plus tard avec tout le groupe elle pourra revenir sur ce qu’elle a entendu. «Ce matin j’ai entendu G. dire que le mot steak commence par le même son que le nom de Steve»  (tout le monde rit). Connaissez-vous d’autres mots qui commencent par ce son? Et les mots déferlent (statue, Star Wars, etc.). Nous sommes ici dans une situation d’enseignement explicite, issue de la vie de classe et donc signifiante qui émerge en réponse à ce que l’enseignante voit et entend. Cela pourrait tout aussi bien se faire  à partir de l’énoncé d’un enfant à la collation («Mandarine c’est comme Francine») ou tout autre moment vécu.

Il y a dans le jeu, par exemple entre les enfants, des règles dites (donc explicites) et des règles sous-entendues. Qu’elles soient explicites ou non, l’enfant qui les transgresse sera remis à sa place par les confrères.

De plus, certains concepts ne s'enseignent que de façon explicite : les règles de sécurité pour traverser une rue en sont un exemple. On ne peut se permettre la méthode par découverte pour les questions de sécurité.

Ciblé : Quand on parle d’éducation, cela peut signifier plusieurs choses. En instaurant les maternelles pour les enfants de 4 ans issus de  milieux défavorisés, on a « ciblé» une population. On peut aussi décider d’une action en classe visant l’acquisition, par un ou des enfants, d’une certaine habileté ou connaissance dont nous avons jugé, suite à des observations, qu’il ou ils avaient besoin pour progresser : cela s’appelle de l’enseignement différencié. En fait dans notre enseignement, la cible devrait toujours être la zone proximale de développement de l’enfant. Si on vise en dessous ou trop au-dessus, on risque le désintérêt ou le découragement : dans les deux cas, on peut provoquer le désengagement.  Le jeu est un outil pédagogique qui, contrairement à bien d’autres activités en grand groupe, est toujours dans la zone proximale de développement de l’enfant. Chaque enfant joue au meilleur de ses capacités dans le jeu, et il est porté à aller plus loin, stimulé par le contact des autres. Le jeu ne rate jamais sa cible; plus souvent qu’on ne le pense, ce n'est pas le cas pour certains autres types d’enseignement .


Systématique : «qui procède avec méthode dans un ordre défini pour un but déterminé». Malaguzzi, le pédagogue fondateur des écoles municipales préscolaires de Reggio Emilia (reconnues internationalement pour leur qualité) nous met en garde : «Une action, aussi systématique soit-elle,  n’a pas systématiquement l’effet (…) recherché». En effet, la causalité est à manier avec une extrême prudence. Dans le langage courant, le mot "systématique" est souvent utilisé aussi pour dire "très régulièrement". Je me brosse les dents systématiquement tous les matins (et probablement dans le même ordre automatique malgré la recommandation de mon hygiéniste dentaire). Je lis systématiquement des histoires aux enfants tous les jours.

L’enseignement systématique formel de la lecture auquel ces mots sont habituellement associés se concrétise par des méthodes aux contenus prédéterminés, fractionnés, séquentiels, décontextualisés, obligatoires. Il se situe à l’opposé du jeu libre, n’a pas grand-chose de ludique et relève du plus pur behaviorisme.


-       Conclusion

Dans le vrai jeu, l’enfant est un penseur, un scientifique, un créateur. Le jeu est un état d’esprit, une attitude mentale. Celles qui sont les témoins privilégiées d’enfants totalement engagés dans le jeu savent combien ils sont déçus quand on les interrompt en pleine action. «Mais on allait…» « On a pas encore…». Les liens entre le vrai jeu et le développement académique sont nombreux. Mais on ne lui fait souvent plus confiance.

Si on tient compte des caractéristiques essentielles du jeu authentique (plaisir, spontanéité, activité initiée et contrôlée par les enfants, gratuité, ambiguïté, déroulement qui peut changer ou s’interrompre n’importe quand), on se rend compte que certains types d’activités s’en éloignent considérablement, au point tel qu'elles ne retiennent du jeu que le nom.  En effet, « le jeu ne renvoie pas à une simple atmosphère ludique, à l’amusement…, il s’agit (…) d’une forme sociale partagée» (Brougère 2010 p. 4614). "(C’est) une activité particulière et fragile car la forme ludique peut disparaître» (Brougère 2010, p.4814)

Je reconnais que toutes les formes d’activités énumérées ci-haut peuvent être porteuses d’apprentissages, mais toutes n’ont pas un potentiel éducatif équivalent, certaines offrant davantage de possibilités que d’autres, et certaines même pouvant avoir des effets négatifs. Nous devons donc évaluer attentivement les propositions que nous faisons aux enfants (et ce qu’on nous «suggère» de leur «proposer»), en respectant l’étape de développement de leur cerveau, les modes d’apprentissages des enfants, ainsi que le potentiel pédagogique de l'activité dans tous les domaines de développement.

De plus nous devons examiner l’ensemble des activités/situations/expériences proposées pour s’assurer que l’équilibre entre les activités initiées par les enfants et celles initiées et dirigées par l’adulte ne soit pas rompu.

Voilà que nous avons fait le tour du sujet, maintenant il nous reste à étudier plus profondément les avantages et désavantages des différentes propositions faites aux enfants (voir Le jeu libre ou les activités dites ludiques et moins ludiques: quelles différences pour les enfants?).

Ce texte fait partie d'une série de trois articles sur le jeu :

  1. Ce texte, qui tente de clarifier Qu'est-ce qu'on entend par le jeu? 
  2. (à venir) Le jeu dit libre et les activités dites ludiques ou moins ludiques: quelles différences? Ce texte démontrera les avantages du jeu sur les méthodes d'apprentissage plus formelles.
  3. (à venir) Le rôle de l'adulte, abordera le rôle des intervenants adultes dans le jeu de l'enfant.





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