«Il n’y a rien comme dessiner quelque
chose, pour le voir vraiment.» Margaret Atwood
Voici des dessins faits par des enfants de cinq ans à la garderie Imagine, à Cantley, dans l'Outaouais.
Photos © Guylaine Painchaud. Garderie Imagine |
En voyant
ces dessins aux pastels faits à partir d’images, je me suis demandée si des
adultes les avaient aidés et ai senti le besoin d’interroger la directrice.
Voici ce
qu’elle m’a répondu :
«C'est un travail qui a commencé dès la pouponnière. En effet, les enfants sont en contact et expérimentent toutes sortes de médiums allant de la peinture (avec ou sans accessoires), à différentes sortes de crayons. Dès les 18-24 mois on commence à expérimenter les lignes et les courbes et au fur et à mesure dans chacun des groupes on pousse plus loin le dessin, la peinture autant libre que d'observation c'est ce qui donne le résultat que vous avez vu.»
La première étape est donc d’encourager les enfants à explorer les gestes possibles et leurs effets avec toutes sortes de matériaux.
Photo : https://www.earlyyearscareers.com Sur la table lumineuse. Photo ©Guylaine Painchaud |
Avec de la craie Photo:theartsdevelopmentcompany.org.uk |
Crayons de cire adaptés aux petites mains Photo : naeyc.org Avec des feutres Photo : Anne Mauffette |
Photos: Peachtree Presbyterian Preschool Photo: Garden Gate
|
Avec des rouleaux. Photo: artfulparent.com Avec une pipette Photo: happytodderplaytime.com Peinture sur des feuilles Photo: artfulparent.com |
Lignes avec des autos Photo: happytodderplaytime.com
|
Le dessin spontané, libre
Produire un
dessin relève de compétences qui se construisent graduellement dès le plus
jeune âge.
Les enfants dessinent d'abord pour voir ce que fait tel ou tel outil, telle ou telle couleur ou médium. Ils expérimentent différents gestes.
Photo: Anne Mauffette Photo:parenting.firstcry.com |
Ils le font aussi pour communiquer des idées, des sentiments, des impressions. Ils représentent des actions, des gestes de leur vie quotidienne, des souvenirs d’événements qui les ont frappés, des choses imaginaires.
Photo Garden Gate La tornade. Photo : Anne Mauffette |
Ils représentent ceux qu’ils aiment (leur famille, leurs animaux domestiques) et se représentent eux-mêmes parfois en personnages.
Moi Nico et mes poissons Photo : Anne Mauffette Moi en princesse Photo : childhood.org.au |
Ce garçon a représenté les
chevaliers avec leurs différentes armes
de son ensemble Playmobil. |
Un pâtissier qui a fait des biscuits. Photo Anne Mauffette |
Le dessin
dépend de toutes sortes de fonctions comme la mémoire, la pensée, la motricité,
la gestion de l’espace et est influencé
par les sollicitations sociales et culturelles auxquelles les enfants sont
soumis.1 La conceptions du dessin se passe en plusieurs temps: Il y a
la perception, la formation d’une image mentale, la mémorisation visuelle et la
constitution du dessin.
Mais les enfants peuvent aussi s’adonner au dessin d’observation. Kaatz (2008) dit que très
jeunes, les enfants sont capables de distinguer le dessin pour représenter des
observations et le dessin plus imaginaire.
Le dessin
d’observation : Apprendre à regarder
En dessin
d’observation il s’agit de dessiner ce qu’on voit, plutôt que ce qu’on sait.
Dessiner
comme un artiste ou comme un scientifique demande d’apprendre à observer les
choses. De bien regarder leur forme, les lignes qu’ils tracent dans l’espace,
leurs différentes parties et la taille de celle-ci, leur texture. L’observation
est une habileté scientifique fondamentale.
Représenter un objet qui est en trois dimensions dans un format de deux dimensions est tout un défi pour un enfant. De plus un objet a plusieurs faces et on ne voit pas toutes les parties de l’objet ; cela dépend d’où on est placé.
Chaque enfant évolue dans le dessin d’observation à son rythme et représente l’objet à sa manière. Le dessin d’observation va dépendre de l’observateur : non seulement de son âge, de ses compétences graphiques, de son niveau de connaissances et conceptions antérieures, des stéréotypes déjà présents mais aussi de leurs capacités variables au niveau des données spatiales, de leurs expériences préalables, de leur imaginaire et de raisons affectives.
Ici on remarque que l’enfant a mis plus de détails dans sa reddition au crayon que dans celle à l’aquarelle. Photo: A room full of curiosity
Les enfants peuvent aussi choisir l’outil de leur choix : crayons, pinceaux,
feutres, pastels, etc.
Tentez
l’expérience vous-mêmes.
L’observation
permet de réfléchir davantage et amène à se poser des questions.
Les
enfants peuvent aussi représenter un jouet par exemple.
Ou même leur toutou préféré.
Les animaux sont des sujets particulièrement engageant
pour les enfants. Ils peuvent les dessiner plusieurs fois et avec différents
médiums.
Une petite histoire : Nous étions allées choisir
un hamster à l’animalerie pour notre garderie. Au retour les enfants étaient
très excités quand nous l’avons mis dans la cage que nous avions préparée. Tous
auraient voulu le prendre et le toucher. Je leur ai expliqué qu’en ce moment il
avait un peu peur dans ce nouvel environnement, qu’il valait mieux le laisser
tranquille et qu’il s’habitue à nous. Cependant je leur ai proposé de le
dessiner. J’ai été très surprise des résultats. Même les enfants peu enclins à
dessiner se sont mis à le faire.
Les jours suivants les enfants ont pu le dessiner autant qu’ils le
voulaient.
Dehors...
Photo: Peachtree Presbyterian Preschoolou dans la classe ou le local:
En fait il est intéressant que les enfants fassent plusieurs dessins d’une
même chose. Le dessin au crayon permet
aussi de revenir sur un dessin puis quand on est satisfait d’y ajouter des
couleurs.
Photo:goshen.edu |
Bien sûr on peut provoquer
la curiosité des enfants en leur offrant des expériences; aller voir des
chèvres en apportant nos cahiers à dessin, élever des escargots, etc.
Photos: Garden Gate |
Des scarabées d’après
photos:
Dessin du même arbre. Ici on peut voir l’évolution du feuillage qui s’est précisé.
Photo: Illinois Learning Center
Les enfants peuvent aussi faire leur portrait en se regardant dans un miroir. Examinant chaque partie.
Encore une fois : faites l’expérience. Proposez aux enfants qui le
veulent de se dessiner. Puis ou une autre fois, proposer aux mêmes enfants de
se dessiner en se regardant dans un miroir. Vous constateraez sans doute des
changements surprenants. Ils peuvent aussi analyser une partie de leur figure à
partir de photos par exemple.
Ils peuvent aussi partir de leur dessin et se représenter dans un autre
médium (ici la glaise).
Photo: Peachtree Presbyterian Preschool |
Ou se dessiner les uns les autres :
Les enfants peuvent aussi photographier
des choses qui les intéressent en promenade ou dans leur environnement immédiat
puis les dessiner d’après photo.
Photo: Childhood by Nature |
On peut aussi photocopier ou numériser le dessin de l’enfant sur une feuille transparente ou lui proposer de dessiner directement dessus, puis le projeter sur un papier tendu au mur. Les enfants verront leur dessin en grand et vont rajouter des éléments, de la couleur etc.
Photo Suzanne Axelsson |
Les apprentissages
Par le dessin d’observation, l’enfant va entre autres:
- focaliser son attention
- améliorer la sa perception visuelle
- améliorer sa vision et organisation spatiales et son sens de l’orientation spatiale
- découvrir plusieurs perspectives : les objets présentent différentes faces qui se représentent différemment
- sélectionner les informations et les structurer dans une image mentale
- choisir les éléments les plus importants à représenter et donc améliorer ses capacités d’analyse
- noter et donc ajouter plus de détails et retenir l’Information qu’il va intégrer dans ses dessins libres.
- organiser ses connaissances et sa compréhension
- développer des nouvelles théories par rapport au sujet étudié
- échanger avec ses camarades sur ce qu’ils savent du sujet qu’ils représentent
- être capable de mieux décrire un objet verbalement après l’avoir dessiné
- acquérir des notions mathématiques : évaluer des dimensions, compter le nombre de bras d’une étoile de mer par exemple.
Photo: How We Montessori- reconnaître et représenter des formes.
- manipuler différents outils
- progressivement maîtriser certains médiums
- améliorer ses capacités de représentation symbolique
- s’initier à la technologie (photographie)
- apprivoiser une démarche scientifique
- prendre confiance en ses capacités de dessiner
- affiner leur image de soi (en faisant des portraits) et consolider leur identité
Et évidemment raffiner sa motricité fine.
Rôle de l’adulte :
- Pour aider les enfants à bien observer, il faut d’abord ralentir et les aider à ralentir…
- L’adulte va bien sûr accepter toutes les tentatives des enfants. Il ne doit pas s’attendre à des copies conformes de l’objet. Car il y a un processus de reconstruction de l’objet. Les enfants vont regarder le même objet mais l’interpréter et représenter l’objet chacun à sa manière. L’adulte peut s’attendre des conceptions personnelles influencées par des variables affectives et autres caractéristiques de chaque enfant. Tout dessin est lié à une explication que se fait l’enfant, implicitement ou explicitement.
- Pour aider les enfants par rapport aux lignes que l’objet définit dans l’espace on peut le mimer avec le doigt (et l’œil va suivre). Les aider à identifier les parties de l’objet et leurs formes.
- Peut souligner certaines caractéristiques des objets que les enfants ont ignorés mais sans insister.
- Se munir de loupes, microscopes électroniques et autres outils permettant de mieux voir.
- Proposer des objets émotionnellement importants pour les enfants ou les laisser choisir
- Organiser un coin pour le dessin d’observation qui peut faire partie des choix lors des jeux libres.
-
Amener des tablettes ou livres de dessins quand
on va en promenade. Les enfants vont prendre l’habitude de s’arrêter pour
dessiner ceci ou cela.
Photos: Garden Gate |
- Être ouverte aux trouvailles des enfants. Quand les enfants vont savoir qu’on s’intéresse à leurs découvertes, ils vont apporter en classe des choses qu’ils ont trouvées. Ici un nid d’oiseau et un cricket et une limace.
Photo: Investigating Choice Time Photo: Mairtown Kindergarten |
Ceci va souvent mener
à d’autres activités autour de la chose apportée comme la lecture de livres,
l’invention d’histoires et peut même
lancer un projet d’investigations du sujet.
-
Favoriser
les discussions autour des objets et des différentes réalisations des enfants.
-
S’émerveiller
des idées des enfants…
Conclusion
L’enfant ne
représente pas la réalité comme elle est vraiment mais comme sa structure le
lui permet.
Certains enfants
ont eu très peu d’occasions de jouer avec du matériel. Il faut donc leur donner
le temps de franchir les étapes dans leur développement du dessin et leur proposer
toutes sortes de médiums pour affiner leur dextérité et leur évolution dans la représentation
symbolique.
C’est par les échanges autour des objets étudiés et la réflexion que la compréhension des enfants va se construire et que leurs représentations vont évoluer. Les enfants vont passer graduellement d’un niveau de connaissance et de capacité de réalisation à un autre. Cet apprentissage se fait dans la durée. L’observation se construit en même temps que les autres savoirs et savoirs- faire.
En dessinant
de mémoire leur ombre par exemple des enfants (même des plus grands) vont
représenter « des jumelles», l’une à côté de l’autre ou une ombre qui a les
mêmes détails et couleurs que leurs
vêtements.
Ce n’est que par des jeux et questionnement répétés qu’ils en arriveront à une conception plus exacte et une représentation plus juste.
Le dessin
libre et le dessin d’observation sont des vases communicants. Celui-ci va
enrichir celui-là. Le dessin d’observation va contribuer à l’évolution du
dessin en général chez l’enfant.
Bien sûr il faut continuer à laisser les enfants créer librement tous les
jours. Mais proposer (et non pas imposer) de faire du dessin d’observation va
aider les enfants à mieux comprendre, représenter et apprécier le monde qui les entoure.
Références
Bernard
Calmette (2001) Les dessins d’observation dans la première phase d’études
d’objets et de phénomènes. Aster, Institut
de recherche pédagogique, p.217-244, halsh00278569
Jill E. Fox, Joohi Lee (2013) When children draw Vs
When children don’t : exploring the effects of Observational drawing in Science,
Creative Education Vol.4 no &AI,
p.11-14
Kathryn Kaatz (2008) A walk in the tall grass. Science and Children 45, p.28-31
Phyllis Katz (2017) Drawing and Science are inseparable. Drawing in Science Education p.1-8