mardi 10 janvier 2023

Pourquoi personne (ne) veut jouer avec moi? Première partie: Les fonctions exécutives, le jeu et l'amitié

 Par : Anne Gillain Mauffette, avec l’aimable collaboration de Marie Jobin

Cet article s’adresse aux intervenantes au préscolaire qui cherchent des pistes d’interventions pour comprendre et aider les enfants dans le domaine social.

Le jeu de groupe est, pour les enfants, le contexte le plus naturel pour développer une foule d’habiletés dont les fonctions exécutives.



Photo Garden Gate

 

«Le jeu symbolique sollicite les habiletés liées aux fonctions exécutives en plus de permettre à l’enfant d’explorer des émotions à travers des scénarios de plus en plus complexes qu’il invente.» (Programme-cycle p. 16).



Mais certains enfants sont parfois exclus du jeu ou s’excluent eux-mêmes pour toutes sortes de raisons et ne profitent donc pas de ces occasions d’apprentissage. Certains préfèrent jouer de façon solitaire par timidité par exemple, par sensibilité au bruit, par la peur de rebuffades, d’autres sont peut-être un peu brusque dans leur approche ou monopolisent l’attention, la parole, les jouets ou l’espace faisant d’eux des partenaires peu recherchés. Certains vont toujours jouer avec la même personne, au même jeu. Ou bien ils vont rechercher l’adulte ou jouer avec des enfants plus jeunes (sur la cour par exemple). D’autres encore, peuvent ne pas encore bien connaître la langue de l’école et ont de la difficulté à communiquer leurs désirs, leurs idées et leurs émotions. D’autres n’ont pas appris comment faire semblant à deux ou à plusieurs.

Ces enfants isolés, se font une image d’eux-mêmes, développant un narratif qui les protège. « Moi j’aime mieux jouer tout seul», ou « Les enfants ne sont pas gentils avec moi», par exemple.

En fait, ces enfants ne savent pas comment se faire des amis.  Mais au plus profond d’eux-mêmes, « s’ils le pouvaient, ils le feraient»*. Ces enfants ne seront pas invités aux fêtes d’enfants par exemple  et se sentiront de plus en plus isolés. Certains vont se retirer et d’autres peuvent en concevoir de l’agressivité ou un dégoût pour l’école.

 

LES FONCTIONS EXÉCUTIVES,  LE JEU ET L'AMITIÉ

Mais que sont les fonctions exécutives et pourquoi est-ce si important de s’y attarder? Et d’en faire une priorité au préscolaire?

Il s’agit d’un ensemble de processus qui sous-tendent des d’habiletés telles que: l’attention, la mémoire, l’organisation, la planification et d’autres habiletés cognitives dont l’autorégulation, la métacognition, la flexibilité ainsi que l’habileté à adapter nos comportements en réponse aux autres.

Les fonctions exécutives consistent en un réseau de circuits cérébraux qui coordonne ces habiletés avec d’autres systèmes dans le cerveau et le corps.

Les fonctions exécutives vont influencer tous les rapports sociaux d’un enfant et ses capacités de fonctionner en société pour toute sa vie. On peut les considérer comme un des fondements de la réussite éducative.

Elles doivent donc faire partie intégrante du curriculum et des pratiques de tout programme éducatif.

Les fonctions exécutives sont liées au développement physique, social, émotionnel, langagier, cognitif t moral

Mais ce «ne sont pas des contenus à apprendre» (Programme cycle de l’éducation préscolaire, p. 13) ou à  faire apprendre, mais l’enfant va développer et «déployer des habiletés associées aux fonctions exécutivesnotamment quand elles sont soutenues à travers toutes les situations de la classe, telles que les moments de jeu» (idem)« dans les activités quotidiennes» (idem p.16).

Qu’est-ce qu’un enfant doit savoir faire pour pouvoir entrer en relation de façon à se faire des amis et être accepté dans un jeu de groupe? Car les amitiés se nouent dans le jeu et le jeu renforce les amitiés.

Photo : Peachtree Preschool

 

  La liste qui suit, de ce qu’il doit, progressivement, apprendre à faire, est extrêmement longue et  elle n’est même pas exhaustive*. Mais elle ne constitue en aucun cas un curriculum à suivre dans l’année scolaire, mais se veut plutôt une série de points regroupés par thèmes qui nous permettent d’identifier les besoins d’un groupe ou d’un enfant, observés dans les différents contextes de la classe, de la garderie ou à la maison. On pourra ensuite analyser soigneusement ces besoins auxquels on tentera par la suite de répondre (voir les suggestions dans la deuxième partie du texte).


· Par rapport à la participation, coopération et la résolution de problèmes :

-          Initier des jeux avec ses pairs.

-          S’engager dans le jeu spontané, dans des environnements non structurés, avec des pairs.

-          Adopter les comportements nécessaires pour se joindre à un groupe et s’engager dans des jeux coopératifs

-          Interpréter les signaux non verbaux, les indices donnés par ses pairs, ou reconnaître les désirs de ses pairs et adapter ses comportements en fonction de cela pour que le jeu continue.

-          S’adapter aux changements dans les règles du jeu de groupe

-           Composer avec les transformations du jeu pour que le jeu continue.

-          Négocier les compromis avec un ami pour que le jeu continue.

-          Attendre et prendre son tour

-          Partager de façon appropriée à son âge.

-          Comprendre les règles de base de l’amitié

-          Être capable de prendre une pause pour évaluer sa situation et trouver une solution (selon son âge).

· Par rapport à la communication et l’amitié :











Photo Danielle Jasmin

-          Démontrer qu’il porte attention aux adultes et à ses camarades de jeu en maintenant le contact oculaire (attention : ceci peut ne pas faire partie de sa culture d’origine ou même être contraire à celle-ci).

-          Remarquer le sujet de conversation dont il est question et ajouter à la conversation.

-          Participer au sujet présenté par le groupe même si celui-ci l’intéresse moins.

-          Évaluer l’intérêt de ses camarades de jeu en interprétant leurs signaux verbaux et non verbaux.

-          Écouter attentivement les pairs et les adultes et entretenir des conversations bilatérales.

-          Comprendre le degré d’intimité sociale et adapter l’information qu’il partage en conséquence (Comme éducatrice et enseignantes, nous avons toutes été témoins de confidences plus ou moins appropriées : car les jeunes enfants nous partagent tout !!!).

-          Se rappeler des détails à propos d’un ami et utiliser cette information au bon moment (Exemple : se rappeler que son ami aime ou n’aime pas telle chose).

-          Montrer de l’intérêt envers les autres, leur poser des questions sur leurs vies, leurs intérêts, leurs émotions.

· Par rapport à la capacité de «lire» une situation ou un environnement:

                                     Photo Garden Gate

-          Comprendre les signaux sociaux de base et les règles non explicites dans tout environnement (Est-ce qu’on peut courir dans cet environnement?).

-          Comprendre comment adapter ses comportements pour respecter les normes sociales dans différents, environnements, situations et avec des personnes.

-          Reconnaître les sentiments des autres et ajuster son comportement en fonction de cette information.

-          Comprendre les intentions des autres et adapter ses comportements en conséquence. Exemple : un ami l’a bousculé sans le faire exprès et s’excuse : il reste calme et accepte les excuses.

-          Inférer le sens de ce que dit la personne par le ton de la voix, le langage corporel et les expressions faciales.

-          Utiliser l’information et les détails qu’il connait sur ses pairs et les adultes afin de décider de ses comportements et ses choix (de façons appropriées pour son âge).

-          Se rappeler ses succès sociaux et évaluer ses erreurs sociales précédentes et en tenir compte.

-          Observer ce qui arrive aux autres dans des interactions sociales et changer son comportement basé sur cette information.

· Par apport à la régulation émotionnelle:

-          Arriver à se calmer par lui-même quand il est contrarié, déçu, frustré (dans les limites de son âge, car c’est très difficile pour les jeunes enfants).

-          Arriver à gérer ses émotions et actions quand il est fâché par exemple.

-          Maîtriser son anxiété et interpréter les signaux sociaux même quand il est anxieux.

-           Maîtriser ses sentiments de déceptions (il n’ a pas eu le rôle qu’il voulait, par exemple) ou ceux qui le submergent et s’engager dans le jeu malgré ses émotions.

-          Réguler ses émotions quand on lui donne du feedback ou quand un de ses pairs ou un adulte lui fait une critique.

-          Démontrer un niveau de réaction émotionnelle attendue, proportionnée, face à une situation, un événement, une préoccupation.

-          Accepter de se  faire dire non.

-          Prendre la responsabilité de ses erreurs. (Vous connaissez les : « C’est de sa faute»)

-          Tolérer les stimuli sensoriels (bruits, sons, touchers, odeurs, visuels) et gérer les émotions qu’ils provoquent.

· Par rapport aux autres :

-          Arriver à se mettre à la place de l’autre et comprendre sa perspective.

-          Pouvoir tenir compte de la perspective de quelqu’un d’autre et modifier la conversation ou son action en réponse à celle-ci.

-          Démontrer une compréhension des sentiments d’une autre personne et faire des commentaires appropriés et adapter ses comportements en conséquence.

Exemple : Sarah (un an et demi) voit que Zoé pleure : elle court chercher sa suce et la lui donne.

-          Percevoir les intentions d’une personne et les messages et motifs inférés.

-          Lire entre les lignes pour comprendre le sous-texte des messages et adapter son comportement pour répondre aux sous-messages de ses pairs ou de l’adulte.

-          Comprendre que ses actions provoquent des réactions chez les autres.

-          Reconnaître quand ses actions ou un sujet abordé lui aliène les autres.

-          Évaluer la situation et changer son comportement en fonction de cette prise de conscience.

· Par rapport à  savoir adapter la communication en fonction des auditeurs :

-          Faire attention à son ton de voix pour ne pas blesser ses camarades et pour que ces actions soient en accord avec ses intentions.

-          Adapter son ton de voix pour répondre aux demandes d’une situation (parler moins fort ou plus gentiment).

-          Pouvoir être poli et montrer de l’intérêt de façon appropriée même quand il n’est pas trop enthousiaste.

-          Adapter ses histoires et sa communication à son auditoire.

-          Changer de sujet s’il s’aperçoit que cela n’intéresse pas le groupe (On connait tous des enfants aux histoires interminables).

-          Tempérer  ses élans de vérité pour ne pas être blessant («Ta robe est laide»).

-          Créer un ton engageant et ne participer pas à des insultes de groupe et ne pas faire de remarques sarcastiques.

-          Pouvoir prédire les actions de l’autre, ses motifs, ses réactions, basé sur leur historique ensemble.

-          Décoder entre sarcasme et humour.

· Par rapport à la flexibilité:


-          Faire des compromis avec ses pairs.

-          Attendre et prendre son tour.

-          S’adapter  à une situation quand le groupe manifeste un désir de changement.

-          Avoir une pensée positive et flexible par rapport aux changements et ne pas en faire une catastrophe. Arriver à s’adapter mentalement quand un plan, une règle ou les demandes dans une situation changent.

-          Comprendre que les règles ne sont pas absolues qu’elles sont situationnelles, qu’elles peuvent être assouplies pour tenir compte des besoins de ses pairs par exemple.

-          Reconnaître qu’il n’a pas toujours raison.

-          Laisser aller les blâmes, les rancœurs, les sentiments froissés avec les pairs.

· Par rapport à l’autorégulation:

-          Accepter de perdre et de gagner.

-          Laisser le tour à quelqu’un d’autre et attendre son tour.

-          Pouvoir identifier quand il est trop excité et adapter son comportement.

-          Ne pas chercher et plutôt s’éloigner de la bagarre.

-          Faire des blagues appropriées à son âge.

-          S’empêcher d’interrompre, de faire des commentaires ou des bruits quand cela ne convient pas.

-          Reconnaître quand il est en train de perdre le contrôle et trouver des moyens de se calmer.

-          Réaliser son désir de respecter les normes sociales en s’auto-régulant.

-          Résister aux actions et réponses impulsives avec ses pairs.


Comme on peut le constater : ce n’est pas simple! Même pour des adultes.

Certains enfants apprennent cela spontanément, petit à petit, aussi bien à la maison que dans les autres milieux qu’ils fréquentent. Tous ont besoin du soutien des adultes pour y parvenir mais certains plus que d’autres sur certains points.

Certains enfants ne savent pas souvent lire les indices donnés par leurs compagnons et adapter leurs comportements en réponse aux autres enfants et aux situations changeantes. Ils ne comprennent pas les règles implicites des relations sociales et du jeu. Comment peut-on les aider?

Pour voir le deuxième partie: Pourquoi personne (ne) veut jouer avec moi? Les rôles possibles de l'adulte : https://jeulibrequebec.blogspot.com/2023/01/pourquoi-personne-ne-veut-jouer-avec.htmlhttps


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