Conclusion

Le jeu dit libre et les activités dites «ludiques» ou moins ludiques  
11e partie de 11
Par Anne Mauffette

Les deux fillettes ont fabriqué des pâtisseries avec du sable de la colle, de la gouache; une recette qu’elles ont inventée. Elles ont nommé leurs pâtisseries, leurs parents ont fait des étiquettes et les fillettes les ont mises en vente.

« La responsabilité des métiers de la petite enfance est grande concernant le choix des méthodes de travail », dit Giampino 28 Nouvelles Pratiques Sociales. Hors Série no.1 (2012) Mobilisation des connaissances. La prévention précoce en question Regards croisés France-Québec (Collectif Pasde0de conduite pour les enfants des trois ans et al.) et La prévention précoce en question (Parazelli M., Lévesque S. Gélinas C.) .

La « forme préscolaire » - pour employer le terme de Brougère 29 Brougère, G. (2005) Jouer/ Apprendre Ed. Economica, France. - existe-t-elle encore ou a-t-elle été remplacée par la «forme scolaire »? « Un des moyens de prendre de la distance avec la forme scolaire, dit-il, est de donner une plus grande place au jeu « Intégrer le jeu dans le curriculum, considérer qu’il peut être le contexte de l’apprentissage (comme le spécifie d’ailleurs notre programme d’éducation préscolaire au Québec), c’est concevoir que le jeu n’est pas que défoulement ou ruse pour tromper l’enfant, mais bien une activité qui a sa place en tant que telle; c’est une façon de rompre avec la forme scolaire au profit d’une forme préscolaire. Brougère constate, dans le système français, que la présence (du jeu) se raréfie, mais que l’on continue « à tenir des discours sur la place essentielle du jeu, à soutenir, malgré l’évidence d’une pratique contraire, que tout à cet âge passe par le jeu. »Il ajoute : « Là où on accorde en théorie, une grande valeur au jeu en tant que tel, on peut voir des pratiques qui consistent à le transformer pour lui donner une tonalité qui le rapproche parfois de l’exercice scolaire. »

Il distingue la « forme ludique » (« les enfants sont invités à jouer selon leur propre initiative sans que l’adulte intervienne si ce n’est indirectement dans l’aménagement de l’espace, l’organisation temporelle, et plus directement parfois comme partenaire de jeu ») et la « forme éducative » (un espace éducatif où le jeu a une place marginale). Il évoque une « troisième modalité » fréquente en France où le jeu a encore une place à condition d’être « didactisable » ou encore en « ludicisant des exercices à portée éducative » c’est-à-dire en mettant en forme plus ou moins ludique des contenus scolaires. Dans ces formes hybrides, on peut retrouver des activités « qui peuvent être intéressantes, qui ressemblent de loin au jeu » mais qu’on doit distinguer de la vraie forme ludique qui inclue l’incertitude, l’ambigüité, l’imprévisibilité, la gratuité (qu’il appelle « frivolité »).

Face à une activité, nous pouvons nous poser cette question : « Est-ce du jeu? Est-ce une situation d’apprentissage formelle? » Ce n’est pas simple, car il y a souvent un « enchevêtrement » de la forme ludique et de la forme éducative où l’activité peut être « un peu moins jeu ou pas tout à fait exercice » 30 Note : Pour une discussion plus approfondie de ces thèmes, lire le chap. 2 dans Brougère G. (2010) Formes ludiques et formes éducatives (Chap. 2) Université Paris-Nord, France (Repéré sur Internet). Se retrouve dans Bédard J. et Brougère G. (2010). Jeu et apprentissage quelles relations? Sherbrooke, Éditions du CRP. . Mais pouvons-nous préserver le vrai jeu en éducation préscolaire? Pourrons-nous conserver cet important préfixe?

« La vraie question en éducation est celle-ci : « Quel est le but de l’éducation? Est-ce qu’il nous faut former des enfants et des individus qui seront simplement capables d’apprendre ce qui est déjà connu, de répéter ce qui est déjà acquis par les générations antérieures ou est-ce qu’il s’agit de former des esprits innovateurs, et des esprits créateurs qui seront capables d’inventer dès le niveau de l’école et ensuite pendant toute leur vie dans le domaine professionnel. »

Jean Piaget 31 (Extrait transcrit d’une entrevue sur You tube par une participante au groupe ReggioL).

Quels moyens adopter à l’âge préscolaire pour outiller les enfants au présent et pour l’avenir afin qu’ils demeurent créatifs, motivés à apprendre, ouverts aux autres et soient capables de résoudre les problèmes qui se posent et se poseront à eux ?

Plusieurs scientifiques soutiennent que le jeu joue un rôle central dans le développement de la maturité scolaire et de l’enfant dans sa globalité (voir à la fin les références de 35 à 38). Bien sûr, l’aménagement de l’environnement et le matériel disponible vont influencer les retombées possibles du jeu sur l’émergence de la lecture écriture et de la compréhension des concepts mathématiques (voir à la fin les références de 39 à 48).

En éduation préscolaire, le jeu est la meilleure préparation pour assurer le succès des enfants à l’école; l’enseignement académique trop tôt impose des attentes qui créent du stress et de la passivité 32 Bredecamp S. (2004), Play and school Readiness. In Zigler E.F., Singer D.G. et Bishop Joseph (Eds) (2004 p. 159-174) Children’s play : The Roots of Reading. Washington D.C. NAEYC - Elkind D. (2007) The Power of Play. Learning what comes naturally. Life long Books, Da Capo Press. A member of Pereus Press, Philadelphia, PA. .

De nombreux auteurs critiquent et déplorent que l’enseignement académique rigide ait pris tant de place en éducation préscolaire (voir à la fin les références de 49 à 51). Brodova et Leong 33 Bodrova E. et Léong D.J. (2003) Chopsticks and countingchips; Do play and the foundation skills need to compete for the teacher’s attention in an early childhood classroom? Young Children 58, 10-17 ont écrit que nous assistons à « la disparition du jeu dans les milieux préscolaires. » Tous ces auteurs soutiennent avec l’American Academy of Pediatrics 34 American Academy of pediatrics: Ginsburg KR & al. Committee on Communications; American Academy of Pediatrics Committee on Psychosocial Aspects of Child and Family Health. (2007). The importance of play in promoting healthy child development and maintaining strong parent-child bonds. Pediatrics.2007; 119 (1):182–191
- American Academy of Pediatrics: Michael Yogman, MD, FAAP, a Andrew Garner, MD, PhD, FAAP, b Jeffrey Hutchinson, MD, FAAP, c Kathy Hirsh-Pasek, PhD, d Roberta Michnick Golinkoff, PhD, Committee on psychosocial aspects of child and family health, Council on Communications and media, (2019) The Power of Play.
qu’on doit rétablir le jeu en éducation préscolaire pour le bien des enfants, car les pratiques véritablement ludiques ont fait leurs preuves comme mode d’éducation « efficace » au préscolaire (voir à la fin les références de 52 à 56).

Si nous voulons contribuer à l’épanouissement d’individus autonomes, de citoyens responsables et de penseurs créatifs pour le monde de demain, nous devons mettre fin au « mythe de la scolarisation formelle précoce » 35 Hirsh-Pasek, K., Golonkoff R.M., Berk L.E.& Singer D.G. (2009) A Mandate for Playful Learning in Preschool. Presenting the evidence Oxford University Press. , « à la dichotomie du jeu et de l’apprentissage », au « forçage » 36 Sigel I, E. (1987) Does hothousing rob children of their childhood? Early Childhood Research Quarterly, 2, 211-225 dans Hirsh PaseK (2009), A Mandate for Playful Learning. des enfants (comme quand on force une fleur à éclore hors saison) et renverser la vapeur en rétablissant le jeu comme mode d’apprentissage principal en éducation préscolaire et dans la vie des enfants.

Les enfants du 21e siècle ont besoin de savoir synthétiser, intégrer, créer et évaluer, collaborer afin d’amener innovation et changement. Gallinsky 37 Gallinsky E. (2010) Mind in the Making. The seven essential life skills every child needs Harper Collins Publisher, New York. définit sept habiletés essentielles pour l’enfant : savoir se concentrer et s’autocontrôler, être capable de comprendre la perspective de l’autre, savoir communiquer, savoir faire des liens, avoir développé une pensée critique, accepter de relever des défis, s’engager dans l’apprentissage de façon autodirigée.

Au risque de me répéter : Les enfants fréquentant des écoles de type constructiviste et socioconstructiviste où ils sont appelés à penser, questionner, interagir avec les idées, les objets et les autres (ce que, rappelons-le encore, le vrai jeu et les projets leur offrent) réussissent mieux à l’école à long terme (voir à la fin les références de 57 à 61). Les enfants apprennent le mieux non pas par enseignement direct, mais par interaction directe avec l’environnement 38 Elkind D. (2001) Young Einsteins much too early. Education Matters, 1 (2), 9-15 dans Zigler 2011). . Apprendre par le jeu est une approche aussi efficace sinon meilleure qu’apprendre par des méthodes scolaires traditionnelles (voir à la fin les références de 62 à 64).

Alors, pourquoi priver les enfants (et nous priver) de cette joie ?


Note : Ce texte fait partie d’une série de quatre articles sur le jeu :

Le premier tente de clarifier : Qu’est-ce qu’on entend par le jeu,

le deuxième Le jeu dit libre et les activités dites ludiques ou moins ludiques: quelles différences? démontre les avantages du jeu sur les méthodes plus formelles d’apprentissage,

le troisième abordera le rôle de l’adulte. Un autre texte a déjà été publié: Analyse du potentiel de différentes situations de jeu au préscolaire.


Suite :  Références
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