Sommaire
- Pourquoi jouer avec les lignes
Guillaume (à gauche), Roland Pichet (à droite)
Ce texte propose des explorations avec différents médiums, supports et outils, afin de permettre aux enfants de s’exprimer, tout en maîtrisant de mieux en mieux le contrôle de leurs gestes graphiques. Comment? En jouant avec les lignes ce qu’ils font naturellement.
Des lignes droites horizontales ou verticales, qui se croisent à angle droit ou autrement, des lignes parallèles, brisées, ondulées, en pointillés, en boucles, des spirales : artistes et enfants jouent et s’expriment avec les lignes.
Un nid par un enfant (pastel) (à gauche), Un nid par Miguel Berlanga (à droite)
En nommant leurs gestes, on leur donne un vocabulaire mathématique et artistique. Il suffit de nommer un tracé (« Tu as fait une spirale! ») pour que les enfants en fassent d’autres et c’est souvent contagieux.
Le choix du matériel va aussi influencer leur élan à en créer et la forme qu’elles vont prendre. On va vouloir aussi varier les types de support : du carton ondulé par exemple, va inciter à faire des lignes parallèles verticales ou horizontales (« des lignes qui dorment », dira une petite), dépendant dans quel sens il est placé. Du papier bulle et de la peinture vont amener des pointillés en lignes droites verticales ou horizontales. Des papiers ou des cartons lisses ou texturés vont influencer le dessin et sa perception.
- Les lignes évoluent
« Maman, bébé (à gauche), « Un pays où il pleut des couleurs » (à droite) .
Voilà un enfant de 18 mois, qui, alors que nous parlions d’autres choses a dessiné une spirale et dit « Maman », puis ajoutant des petits traits à l’intérieur a dit : « Bébé». Avec les quelques gestes graphiques dont il était capable et ces quelques mots, il avait réussi à communiquer sa préoccupation du moment : sa mère était enceinte. Il faut observer et écouter les enfants qui dessinent.
J’ai vu des milieux où le dessin était occupationnel : on ne conservait pas les dessins d’enfants pour constater les progrès. Comme les enfants en font beaucoup, à la fin de la journée, ceux-ci passaient à la poubelle ou étaient envoyés à la maison sans garder de traces où ils prenaient d’ailleurs parfois le même chemin ou dans le meilleur des cas se retrouvaient temporairement sur le réfrigérateur. Il est pourtant facile de noter avec un tampon la date (les enfants adorent le faire) et de conserver des exemplaires ou des photos dans un portfolio au nom de l’enfant comme le font les artistes.
Un crabe sur un rocher
Les enfants donnent parfois un sens à leur dessin après l’avoir exécuté, car ils constatent que cela ressemble à… ou parfois ils annoncent qu’ils vont faire un…
Puis, les lignes se font plus précises deviennent des soleils, des feux, des personnages
À gauche : premiers essais. À droite : premier camion réussi
Un chien
La spirale devient carrosse...ou animal
... un chemin, une maison,ou encore un édifice
Les lignes deviennent symbole : c’est la mer, des oiseaux, un pont.
- Les lignes deviennent progressivement écriture
« Qu’est-ce que j’ai écrit? », demande Guillaume dont la sœur est en deuxième année et écrit en cursive. Je lui explique que je reconnais certaines lettres : des n, e, m, v, u, etc., mais qu’il faut que les lettres soient dans un certain ordre pour faire des mots.
- Les lignes et des outils graphiques
Des bâtonnets et des teintures alimentaires font des tracés fins et de douces couleurs.
Si on varie le matériel : crayons, crayons de cire (à forte teneur en couleur), crayons gels, pastels, stylos à pointe fine, feutres fins et larges, fusain, craies, encres, peintures avec pinceaux, rouleaux, etc., les lignes vont avoir plus ou moins d’épaisseur et d’intensité. Elles vont se rapprocher ou s’éloigner, se croiser, se confondre.
À gauche: G. « J’ai fait une grille » (crayons de cire ordinaire)
À droite : Composition C; Blue yellow/1936 - Piet Mondrian (huile sur toile)
Au crayon feutre, l’enfant a pris systématiquement une couleur à la fois pour créer une série de lignes composées de ronds .
Aux crayons gels : « J’ai fait un paysage avec un arc-en-ciel et un soleil. »
Dessin de Sarah.
Les crayons de type « Creamy crayons » s’écrasent facilement sur la feuille laissant de belles traces larges et colorées. Les crayons de cire ronds ou carrés de style Stockman permettent des aplats intéressants. Les crayons pastels-gels ont des couleurs intenses, glissantes et aquarellisables.
Nathan (à gauche)
À droite : Number 20, 1950, Jackson Pollock, huile sur masonite
Les bouteilles-tampons de gouache encouragent les grands gestes, laissent des traces fortes.
SophieLes craies carrées à tableau, de type Herlitz (disponibles chez Mercurius.ca), sont particulièrement agréables à manipuler, car elles sont tendres et ont des couleurs variées et denses qui épousent celles des crayons Stockmar. On peut s’en servir en aplat ou pour faire des lignes fines ou épaisses.
SophieOn peut aussi utiliser du sable noir sur une table lumineuse (ici la boîte de Plexiglas est posée sur des acétates de couleurs) qui incite à faire des tracés.
On ajoutera de l'intérêt en variant les matériaux, afin d’inciter les enfants à l’action.- On proposera des couleurs contrastantes (noir et blanc),
- on offrira une ou deux couleurs dans plusieurs tons,
- on combinera des matériaux différents (crayon et feutres acryliques par exemple).
- ou on fera simplement des traces, avec des bâtons dans le sable mouillé, dehors ou à l'intérieur.
G. a choisi du Noir et jaune. « J’ai fait des étoiles, puis je les ai cachées : c’est la nuit.
Nathan(à gauche) et Sophie (à droite)
En faisant des lignes avec des rubans gommés de couleur, cela forme des quadrillés qui définissent des cases qu’on peut ensuite remplir avec des couleurs (aquarelle, gouache ou crayons de couleurs).
Des oeuvres de Mondrian, de Molinari et de Barbeau sont des exemples de l'effet créé.
À gauche : Sophie. À droite : Le regard en fugue, 1990, Marcel Barbeau (sérigraphie)
Du ruban peintre utilisé avec des marqueurs-pinceaux à l'encre d'effet aquarelle
Zoé
On peut aussi faire des lignes en étirant de la pâte à modeler ou de la glaise (longs colombins), en aplat directement sur les tables : les enfants feront des chemins qui parfois s’entortillent. On peut aussi faire des lignes dans la glaise ou dans de la pâte à modeler aplaties avec des bâtonnets.
On pourrait également proposer des cordes ou de la laine à poser sur une surface adhésive.
Si on varie les formats, en introduisant de grandes feuilles jusqu’à des toutes petites surfaces, ou de longues bandelettes, des formes différentes, etc., on invite les enfants à varier leurs gestes, à les amplifier ou les préciser. Les enfants pourront aussi choisir à la fois le support et le médium qui leur convient.
Lorsqu’on projette les œuvres des enfants sur le mur, un tableau blanc, ou une toile de théâtre d’ombres, cela leur donne une autre dimension : l’arbre devient forêt.
- Des lignes avec des objets
La définition de la ligne : c’est une série de points…très rapprochés. On va donc offrir aux enfants des éléments qu’ils vont vouloir aligner pour fabriquer des lignes (coquillages, glands, pierres, cailloux, des perles de verre ou autres petites pièces mobiles). Ils les aligneront pour en faire des chemins et des motifs. On peut même utiliser les couvercles de différents contenants de différentes grandeurs et couleurs ou des pailles qui deviendront des routes, des maisons, etc.
Des graines de tournesol
Des cailloux
En plus d’être une expérience tactile et une activité de motricité fine du contrôle du geste, cela devient un exercice d’adaptation à l’espace, de mesure (l’espace régulier à conserver entre les pièces), de séquences, de résolution de problèmes aussi. Sans oublier une occasion d’autorégulation. Les enfants vont souvent soit regrouper par couleurs et formes, faire des symétries, des correspondances, des séquences.
Des graines de tournesol
Les enfants peuvent aussi faire des lignes avec de la lumière (lampes de poche, bâtons phosphorescents, etc.), et prendre des photos de leurs camarades en action puis reproduire les traces laissées par la lumière.
- Faire des lignes en dansant
Avec des rubans rythmiques, l’enfant s’exerce non seulement à élaborer des tracés, mais il assouplit et renforce l’articulation du poignet. Il découvre aussi sa latéralité. De quel côté se sent-il plus à l’aise? Là encore les enfants peuvent prendre des photos ou vidéos puis s’inspirer du mouvement produit.
En psychomotricité, on part du plus grand (de grands gestes), pour aller vers le plus petit. Avec de la musique, on crée de grands gestes, on met tout le corps en mouvement. C’est à la fois le plaisir de bouger et d’inscrire, de laisser sa trace. C’est aussi apprendre à dissocier les parties de son corps et acquérir de la souplesse. Faire des tracés sur un carton porté par son collègue, des lignes qui ondulent sur une immense feuille ou sur un tableau ou un miroir, qu’on trace l’un après l’autre, etc.
On peut voir des exemples de ce genre de travail alliant la danse et le graphisme dans les magnifiques vidéos du laboratorio di danza-disegno pour enfants de Segno Mossi.
Tous ces gestes vont faciliter l’apprentissage futur de l’écriture.
Observons combien et comment se développent les habiletés physiques, la créativité, le jeu, l’expression et le sens esthétique et artistique des enfants ainsi que leurs réflexions et connaissances et leurs capacités de collaborations à travers ces jeux spontanés ou provoqués par le matériel présent et nos encouragements.
- Des exemples de projets
- Premier projet : des enfants de trois ans dans le groupe de Leslie Gleim (2011).
Tout a commencé par une exposition de Chihuly
Red Reeds, œuvre de Dale Chihuly au Virginia Museum of Fine Arts
Les enseignantes ont proposé aux enfants intéressés des pailles et comme support des cartons noirs (mais cela pourrait être de couleurs). On pourrait par exemple, utiliser des tiges d’hémérocalles séchées.
Puis, elles ont questionné les enfants : «Comment peut-on les arranger et dessiner ce qu’on voit?» Les arrangements de lignes ont engendré toutes sortes d’idées : un a dit que cela faisait comme un F, mais que cela pouvait être changé en un A, un autre que cela ressemblait à une corde, mais que si on la retournait cela faisait un I.
Ils se sont mis à remarquer des lignes partout : « Les serpents sont des lignes qui gigotent, vos sourcils, votre collier, une partie de votre caméra est une ligne, votre jambe est une grosse ligne, même la partie de la porte est une ligne. »
Dans leurs promenades aussi, les enfants observaient davantage les lignes. Ils ont fait des dessins d’observation d’arbres qui ont été ensuite projetés aux murs leur redonnant leurs grandes dimensions.
Les enseignantes ont ensuite proposé des bouteilles de peinture à tampons. Cela a incité les enfants à faire des lignes. Il y avait plus d’énergie dans le mouvement. Les enfants, interrogés, parlaient de lignes qui sautaient, qui tourbillonnaient, d’un escalier, d’algues, de montagnes. Leur alphabet de lignes se développait. On pouvait distinguer deux catégories : les lignes qui bougent et les lignes représentant des objets.
Tout cela les a amenés à une collaboration avec un danseur. Danser en zigzag, en spirale, en ligne droite, faire des lignes avec les bras. Les enfants observant des photos d’eux-mêmes, prises en dansant, ont remarqué les lignes faites avec leurs corps et les ont dessinées. Ils ont tenté de reproduire les angles de leurs mouvements.
- Deuxième projet : Les Spirales
The Swirl, Mid-Pacific Preschool
Les enfants d'âge préscolaire de ce groupe ont exploré le concept de la spirale.
Spontanément, ils ont formé différents types de spirales : d’Archimède, de Cornue, de Fermat, de Théodore de Cirène, de Cotes (lituus), hyperbolique, logarithmique. Ils ont même inventé des spirales qui ne sont pas répertoriées.
Les enfants ont fait face à toutes sortes de problèmes: comment faire une courbe avec des éléments carrés par exemple.
- Troisième projet : La murale
The Mural Project, Mid-Pacific Preschool
Le produit final est une œuvre collective en mosaïque faite d’ondulations. Mais il a été précédé de multiples explorations par les enfants.
The Mural Project, Mid-Pacific Preschool
Les enseignantes ont fait appel aux parents pour des restes de mosaïque, tuiles, etc.
Vous trouverez aussi de l’inspiration en consultant ces deux livres :
We write shapes like a book
(Reggio Children, Pablo Picasso Infant Toddler Center), 56 pages
Le livre Mosaïc Words Material est un catalogue d'expositions au Centre Loris Malaguzzi sur les liens poétiques entre les mots et les dessins d'enfants d'âge préscolaire.
Le site présente une belle galerie :
Mosaic of Marks Words Material (Reggio Children)
- Premier projet : des enfants de trois ans dans le groupe de Leslie Gleim (2011).
- Conclusion
« Les amis disent que mes dessins ne sont pas beaux parce que je dépasse. » On demande souvent trop tôt aux enfants « de ne pas dépasser», cela devient un objectif, un exercice en soi. Mais l’enfant qui contrôle mal son geste n’y peut rien et se sent humilié.
« Je ne suis pas bon pour faire des lettres, je les fais trop grandes », dit Nathan, quatre ans.
Avant de demander aux enfants de tracer des lettres, laissons-les maîtriser l’art des lignes avec toutes sortes d’outils et avec les deux mains. Leur motricité fine s’affinera justement. Ils seront capables, chacun à leur rythme, d’initier un tracé, de s’arrêter, de suivre des yeux le mouvement de leur main et de contrôler la trace, de faire se rejoindre deux lignes et progressivement de faire de petits traits.
Rappelons que la dominance droite ou gauche n’est pas fixée avant 7 ans. Et que les habiletés visuomotrices sont essentielles pour qu’un enfant puisse en arriver à des tâches comme l’écriture. Les enfants ont besoin de temps pour développer leur coordination œil-main à travers le jeu libre et avec des outils d’expression graphiques et artistiques.
Alors, laissons les enfants inventer leurs chemins ondulants de création vers les langages, dont celui de l’écriture, et suivons-les…
Anne Gillain Mauffette
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