Comment aider les enfants à améliorer leurs capacités orales narratives?
Voir la première partie: https://jeulibrequebec.blogspot.com/2021/12/savoir-raconter-des-histoires-une_13.html
Par Anne Mauffette
Tout un travail préalable est nécessaire pour développer le langage oral chez les enfants:
- des conversations signifiantes avec l’adulte,
- des occasions d’échanges entre enfants dans leurs jeux, lors de moments de rencontres, des collations bien sûr
- prendre le temps (ce n’est pas toujours évident) d’écouter ce que les enfants ont envie de nous raconter.
- et surtout lire beaucoup d’histoires et les relire ou les redire et les présenter de différentes façons :
· leur lire un livre en montrant les images,
· leur lire un livre sans montrer les images mais avec des marionnettes
· leur lire un livre sans montrer les images (les enfants vont devoir faire des images mentales)
· raconter une histoire connue d’eux, mais sans le livre,
· raconter des histoires nouvelles : sur de vos propres expériences (ils vont les redemander : «raconte là fois où tu t’es perdue») ou des contes ou histoires que vous connaissez ou en inventer de votre cru. Cela leur donne une idée de comment on raconte une histoire.
· leur lire différentes versions d’un même conte et les comparer.
· leur lire des variations sur le conte ou les titres et histoires sont changées (Le chapeau rond rouge de Geoffroy de Pennart, Les trois méchants cochons, Un cochon chez les loups) et des histoires où des personnages de différents contes se croisent (C’est moi le plus fort). Les livres de Mario Ramos sont fertiles en inventions à partir de contes traditionnels (Mon ballon, Le plus malin).
Photos Anne Mauffette |
· leur montrer seulement la séquence des images et leur proposer de raconter l’histoire (cela les aidera à établir une chronologie dans leur récit)
· raconter une histoire en faisant participer les enfants au bruitage (le vent la pluie, le galop du cheval) ou les encourager à énoncer des phrases qui se répètent au bon moment (en faisant une pause) comme dans l’histoire du Petit Bonhomme de Pain d’Épices : « Courez, courez aussi vite que vous le pouvez, vous ne m’attraperez pas»
· choisir des histoires de plusieurs cultures et parfois en deux langues
- mettre en lumière les moments clés du récit
- les aider à faire des hypothèses grâce au contexte de certains mots nouveaux
- discuter avec les enfants des intentions, des objectifs des personnages
- aider les enfants dans l’émergence des explications causales en posant certaines questions ouvertes dans ce sens, à différents moment clés de l’histoire, pendant que vous lisez l’histoire.
Makdissi et Boisclair (2004) nous en suggèrent quelques unes qui peuvent convenir pour certains récits:
Au début de l'histoire, lors du problème initial: «Comment se sent tel personnage? Pourquoi? Qu’est-ce qu’il veut? Qu’est-ce qu’il va faire?»
Lors des différentes tentatives d’actions : «Pourquoi fait-il cela? Qu’est-ce qu’il veut? Est-ce qu’il a trouvé ce qu’il cherchait? « Alors qu’est-ce qu’il va faire?»
«Pourquoi tel événement survient-il? Qu’arrivera-t-il ensuite? Comment cela se fera-t-il? Qu’est-ce que tu en penses?»
Lors de la solution : « Comment tel personnage se sent-il? Pourquoi?» «A-t-il eu ce qu’il cherchait? C’était quoi? Comment il a fait?»
Certaines de ces questions peuvent aussi être posées à la fin d’une histoire.
-leur laisser du temps pour relire les livres qu’on leur à lus
- les amener à anticiper ce qui pourrait arriver
- fournir un matériel varié qui permette la créativité des enfants
Photo tirée de la vidéo Story Workshop Loose parts https://vimeo.com/649347912/c7bafd1471<BR><BR> |
- installer un coin d’écoute de livres mais aussi d’histoires racontées ou inventées par les enfants
AUTRES ACTIVITÉS À PROPOSER :
Autour des livres déjà lus
Demander à un volontaire de raconter le livre déjà lu à l’aide des images avec un camarade ou deux qui utilisent des marottes ou marionnettes aux doigts ou à main. Dans ce cas les enfants devront se coordonner pour faire correspondre les gestes au texte.
On peut aussi organiser, au début surtout, des activités spécifiques pour amener les enfants à intérioriser une histoire. Voici deux exemples :
Nous avons écouté l’histoire de Pierre et le loup.
J’avais apporté en classe quelques instruments pour que les enfants puissent faire le lien entre les sons et les instruments
Après l’écoute nous avons joué tous en même temps, tous les personnages, accompagnés par l’enregistrement de l’histoire (les enfants marchaient ou sautillaient dans le bois quand Pierre partait dans la forêt, virevoltait comme l’oiseau etc.). Le lendemain j’ai apporté quelques accessoires; une casquette avec un bord jaune pour le canard, un boa pour le chat, etc. Juste assez pour évoquer le rôle. J’ai proposé à ceux qui le voulaient de nous rejouer l’histoire accompagnés toujours de la trame sonore. Les déguisements ont ensuite été laissés dans le coin de jeu symbolique.
J’ai ensuite apporté des marionnettes (nous avions déjà un loup, un petit garçon, un chat, un monsieur) : ne manquait que l’oiseau et le chasseur. J’ai proposé aux enfants d’utiliser les marionnettes pour nous raconter eux-mêmes, sans appui sonore, l’histoire de Pierre et le loup. Un enfant faisait le narrateur et les autres les personnages. Pendant qu’ils se préparaient, je les entendais discuter de qui ferait quoi, de ce qu’ils diraient etc. Lors de leur présentation, on pouvait remarquer ce qu’ils avaient retenu de l’histoire, le langage utilisé etc. Là encore les marionnettes ont enrichi notre coin et les plus timides ont repris l’histoire pour eux-mêmes. Le chasseur a d’ailleurs resservi à toutes les sauces.
Photo © Anne Mauffette |
Une collègue elle, étant donné l’intérêt de certains enfants après avoir entendu l’histoire de Casse Noisette, a étudié l’histoire avec les enfants de sa classe de maternelle et les enfants ont fabriqué leurs propres marionnettes à gaine puis ont présenté un spectacle.
Photos © La Petite école_CBS. |
Elle résume ainsi leur expérience : «J’avais élaboré AVEC les enfants des procéduriers afin d'illustrer le "comment faire" les marionnettes. Certains enfants se sont fait de petits "livres" où ils ont reproduit à leur manière, les différentes procédures. C'est pour se souvenir qu'ils me disaient !
Le projet a duré plus d'un mois. Le déclencheur a été la lecture de l'histoire de Casse-Noisette. L'écoute de la musique a donné lieu à un questionnement sur le ballet. Les marionnettes sont arrivées en cours de route et se sont imposées à nous à la suite d'une question d'un enfant: " On peux-tu en faire un casse-noisette ?"
S'en est suivi une recherche sur les sortes de marionnettes: à fil, à doigts, à gaine. à tige, etc. Tous en ont rapporté de la maison. On les a classées, analysées, on en a discuté et finalement on a décidé que ce serait des marionnettes à gaine que l'on ferait.
Relire l'histoire, re relire l'histoire pour mieux connaître les personnages et bien choisir celui que l'on veut fabriquer. Résoudre des problèmes, 3 filles voulaient faire Clara. Deux garçons voulaient faire le prince, Combien de personnages dans le livre versus combien d'amis dans la classe ?, etc. Trop ou pas assez d'amis?
Je prenais au moins 15 minutes avant le spectacle avec les parents afin de leur faire part du processus de réalisation des enfants en identifiant les apprentissages possibles réalisés par les enfants. La planification, la recherche des tissus, se tenir à 20 derrière un castelet sans se faire voir et en silence... De plus, à la suite du projet, chacun devait répondre à la question: Qu'est-ce que je connais maintenant que j'ai fait ce projet et que je ne connaissais pas avant?»
Nous avons, dans un CPE, fait des personnages du Petit Bonhomme de Pain d’Épices en papier mâché avec les enfants : chaque petit groupe faisant un personnage. Les décors ont été faits en collaboration avec des parents pour présenter l’histoire du Petit Bonhomme de Pain d’Épices.
Dans un autre, ce sont les éducatrices qui se sont déguisées, faits des décors et ont présenté l’histoire des trois Petits Cochons et à un autre moment : Hansel et Gretel
Photo©Anne Mauffette |
L’invention d’histoires
L’invention d’histoire demande des stratégies organisationnelles : il va falloir qu’il y ait une situation initiale, une complication ou des événements (le milieu) menant à une fin.
On peut, au début, proposer aux enfants une phrase de départ à compléter comme ils l’entendent: « Si j’étais un animal…», leur demander d’y penser et que vous allez venir lui demander la suite. Acceptez les changements à votre phrase si l’enfant le désire. Cela donne parfois des choses étonnantes et émouvantes. Une petite fille de cinq ans m’a dit : Est-ce que je peux dire « si j’étais un ange à la place» puis elle a raconté : « J’irais voir ma grand-mère qui habite très loin».
En petits groupes, on peut mettre des objets (animaux personnages, insectes etc.) dans un sac, les enfants pigent et vont inventer une courte histoire avec ces objets.
On peut raconter une histoire, mais laisser aux enfants le soin d’inventer la fin (en dyades ou en petits groupes) ou à la cantonade : on aura plusieurs fins.
On peut inviter un conteur
On peut inventer des histoires collectives : un enfant (ou l’adulte) lance une première phrase, un autre enfant ajoute une autre pour continuer l’histoire, etc. L’adulte aide les enfants en les guidant : qu’est-ce qui pourrait se passer après? Comment cela va-t-il finir? Il faut alors aussi accepter et rire ensemble des contributions farfelues.
Début d’un conte collectif. Photo© Danielle Jasmin |
L’invention de l’histoire que vous enregistrerez puis transcrirez pourra ensuite être illustrée par les enfants qui le veulent.
On peut aussi écrire avec les enfants une liste de noms d’animaux ou personnages sur un carton et sur une autre liste d’objets sur un autre ou derrière. Les enfants choisiront un nom et un objet et fabriqueront une histoire avec ces deux éléments. On pourrait aussi faire une pige dans deux sacs. L’adulte ira voir chaque enfant pour enregistrer son histoire. Celles-ci pourront ensuite être partagées.
On doit évidemment respecter le rythme de chaque enfant. Certains ne raconteront jamais dans le groupe, cela ne veut pas dire qu’ils n’apprennent pas. Pour le plus timides, c’est à travers leurs jeux que vous pourrez capter et noter leurs histoires. En retranscrivant leurs dires, vous donnez de l’importance à leurs énoncés. Vous pouvez leur redire leur histoire et leur demander si c’est bien cela. Peut-être ajouteront-ils des détails ou autre chose. Et si vous avez leur permission, vous pourrez à l’occasion, les redire aux autres enfants. Ils en sont habituellement très fiers.
Vous pouvez aussi travailler seule avec eux les étayant au besoin: qu’est-ce qu’il fait ton personnage, où va-t-il, qu’est-ce qu’il lui arrive?
Certains enfants vont peut-être préférer dessiner d’abord une histoire, en une grande case ou plusieurs (comme dans une BD) et ensuite nous raconter leur histoire.
D’autres enfants vont préférer s’enregistrer, seuls, dans un coin clame (utiliser de petits micros ou enregistreuses) puis les partager avec vous ou les autres enfants.
Raconter une histoire personnelle, c’est donner du sens à son expérience. Dans le cas d’une histoire précédemment lue, c’est démontrer qu’on en comprend le sens. Et dans le cas d’une histoire inventée, il y a la créativité dans le propos mais aussi la logique du récit.
ÉVALUER LES RÉCITS
Les capacités à raconter évoluent avec l’âge et l’expérience des enfants. Il y a véritablement une courbe développementale mais on constate aussi de grandes différences entre enfants du même âge pour une foule de raisons.
Examiner comment un enfant comprend un récit fictif nous renseigne sur sa capacité de traiter l’information. L’écouter raconter nous donne des indices sur :
· son vocabulaire, sa syntaxe
· la présence ou l’absence d’un ou de certains épisodes ou actions importantes,
· la cohérence de son récit (chronologie, logique)
· la présence ou non de petits mots connecteurs : d’énumérations (et) de temporalité (puis, après, et après, alors, hier…) de causalité entre les éléments et de conséquence (parce que), de finalité (pour, pour que)
· la présence ou non d’indicateurs de complexité : introduction de subordonnées relatives (qui, que), temporelles (pendant que, quand). À partir de 5 ans seulement et pas chez la plupart des enfants.
On peut aussi observer si les émotions des personnages sont présentées.
Pour plus de détails, voir le tableau ci-dessus.
Les traces (enregistrement, textes transcris, dessins etc.) que vous aurez gardées vont vous permettre de voir les progrès des enfants, et de les célébrer avec les enfants eux-mêmes et avec les parents
«L’éducation préscolaire est une période d’apprentissage stratégique pour la maîtrise du langage oral»(6). Savoir raconter des histoires fait partie des habiletés à acquérir. C'est à la fois nécessaire pour communiquer avec les autre et cela prépare la voie à la lecture et la narration écrite. Le développement du récit au préscolaire est lié à la compréhension future en lecture. L'émergence de la littératie passe par l'émergence de la compréhension des récits.» (5) Étant donné sa valeur pédagogique inestimable, il faut donc lui consacrer du temps.
INSPIRATIONS
1. Raconte-moi une histoire : les habiletés narratives des enfants qui tardent à parler. Publié le 16 septembre 2015 sur le site du RIRE (Réseau d’information pour la réussit éducative).
2. Guillain André (1992) : La narration graphique chez l’enfant https://doi.org/10.4000/trema.2407
3. Gianni Rodari ( 1996) : The grammar of fantasy : The art of inventing stories, Teachers and Writers Collaboration
4. Makdissi, H. ; Boisclair, A. (2004). L'art de raconter chez l'enfant d'âge préscolaire : Une grille du développement du récit. Document III : Rapport de recherche soumis au Programme de partenariats en développement social. Canada : Développement des ressources humaines.
5. Makdissi, H.; Boisclair A. et Renaud, J.S. (2004) Le développement de la compréhension du récit au cours de la petite enfance. https://www.researchgate.net/publication/312531233
6. Roubaud, M.N. et Romain, C. (2016). L’organisation du récit oral chez l’enfant de 3 à 6 ans : une étude comparative. Université d’Aix Marseille. Web conférence Congrès mondial de la linguistique française.
Pour voir l'article au complet: https://jeulibrequebec.blogspot.com/2021/12/savoir-raconter-des-histoires-une.html
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