Par Anne Gillain Mauffette
En janvier, avec
le froid et la neige, on voit souvent apparaître comme thème au préscolaire, le
monde polaire et parfois, comme bricolages, des igloos et des Inuits tout
emmitouflés.
Il ne
faudrait pas réduire ces populations à ces seules dimensions. C’est comme si on
décrivait les Québécois, tous avec des ceintures fléchées et des raquettes aux
pieds, etc.
C’est figer
une culture dans le temps et l’espace, faisant fi de leurs réalités et des
réalités d’aujourd’hui.
C’est ce
qu’on appelle des stéréotypes qui sont véhiculés par la société, cantonnant les
personnes dans des images caricaturales et des rôles prédéterminés. Tout y
participe : les médias, les livres, les films, les jouets, la famille, les
CPE, les écoles.
Ces images
et paroles répétées biaisent notre regard sur les autres, la perception
qu’on a d’eux, nos attentes, nos attitudes par rapport à eux et faussent nos
rapports avec eux. On peut les encourager ou les déconstruire.
Les jouets Playmobil,
par exemple, ont longtemps entretenu ces images :
Mais des
initiatives peuvent être prises pour faire réfléchir les enfants à ce qu’ils
voient ou entendent.
Ici, des enfants, ont pris part lors
du Forum des enfants citoyens, à une analyse des préjugés entretenus sur leur
propre population (française), puis ont examiné leurs connaissances sur les
Sioux, fait ensuite une visite commentée
d’une exposition et tiré des conclusions plus réalistes. Photo Le Moutard, Musée des Confluences.
Les
stéréotypes sont des caractéristiques qu’on attribue à un groupe de personnes.
Il s’agit de clichés, vestimentaires, alimentaires, de personnalités (bruyants,
secrets, etc.) d’apparence, de comportements, d'habitations. On a une idée préconçue
d’attributs et de compétences que des personnes ont, n’ont pas ou devraient
avoir.
Ils sont
souvent à la fois descriptifs et prescriptifs. Ils sont normatifs car ils
dictent comment des individus doivent se comporter.
Les
stéréotypes ont tendance à mettre les gens dans un même moule : on
généralise (tous le noirs dansent bien, les garçons sont plus agressifs,
les filles sont passives, etc.).
Pourtant on
sait qu’il y a des différences individuelles par exemple, entre frères et sœurs
d’une même famille, entre deux familles voisines de même origine. Alors pourquoi
ces généralisations?
Il y a
plusieurs types de stéréotypes : les stéréotypes culturels (les québécois
mangent de la poutine), les stéréotypes de genres («une femme ça tond pas le gazon», paroles
d’une enfant de cinq ans).
Les
stéréotypes de genre
Les stéréotypes de genre dictent les rôles et habiletés selon les genres. C’est croire que certaines aptitudes sont spécifiques aux filles et d’autres aux garçons («les filles sont bonnes en français, les garçons en mathématiques») alors que les neurosciences nous prouvent qu’il n’en est rien. « La variabilité entre les cerveaux individuels l’emporte sur la variabilité entre les sexes» nous dit Vidal (2016)10. Entre 0 et 3 ans les enfants ont les mêmes capacités cognitives (intelligence, capacités de raisonnement, d’attention, de repérage dans l’espace). Vers 5 ans, les enfants adoptent à des degrés divers les stéréotypes de genre.6 Les différences qui se développent sont imputables à la plasticité du cerveau qui se transforme avec les apprentissages et l’influence de l’environnement.6
Liens
avec la construction de l’identité
Dès leur
naissance les enfants sont immergés dans un monde de schémas hypergenrés :
le décor de la chambre, les vêtements, les jouets, les livres, les dessins
animés, les attitudes des adultes par rapport à certains comportements
(encouragés ou découragés). Ils sont confrontés à toutes ces informations qui contribuent
à la construction de leur identité. Cela participe à la construction de leur
représentation de qui ils sont.
Ils
intègrent progressivement les messages répétés de leur environnement sur ce que
c’est une fille, un garçon et sur ce qu’on attend de chacun et vont avoir
tendance à s’y conformer quitte à s’autocensurer. Les stéréotypes enferment les
individus dans des rôles qui ne leur conviennent pas nécessairement.
Petite histoire
Lors du thème des châteaux,
l’enseignante de maternelle a proposé aux enfants de se déguiser en princes et
princesses. Une petite fille lui a demandé si elle pouvait plutôt s’habiller en
chevalier. Après réflexion avec sa collègue, l’enseignante a accepté. Cette
petite fille a eu bien du courage. Car être à contre courant est difficile, on
risque d’être moqué ou rejeté.
Cette socialisation différenciée oriente les enfants vers certaines activités et finalement limite leurs possibilités.
Pour plus de détails,
visionnez : Corinne Fortier anthropologue :
https://www.reseau-canope.fr/notice/sexe-et-genre.html
Se basant sur l’observation, les enfants vont apprendre quels comportements sont considérés comme appropriés pour chacun des genres. Ils vont ensuite imiter leurs pairs.
Le matériel
à la disposition des enfants va aussi influencer leurs habitudes de jeu et
participer au processus identitaire. Il suffit de regarder un catalogue de
jouets pour voir que les filles sont dirigées vers la mode, le bricolage et les
soins et les garçons vers les projets, l’aventure et la guerre. L’aménagement
de l’espace joue aussi un rôle.
Le
jeu libre et les stéréotypes de genre
Les enfants vont spontanément, reproduisant leurs expériences, endosser dans leurs jeux libres des rôles stéréotypés. Ces comportements peuvent même être renforcés si on n’y porte pas attention. « Entre 5 et 7 ans, le respect des activités sexuées est à son apogée». «L’entrée à l’école coïncide avec une étape cruciale pour le développement de l’intériorisation des stéréotypes de genre» (Badoud 2022).1
Ici la petite fille est la maman et le garçon le médecin.Certains vont se cantonner dans des activités qu’ils pensent correspondre à
leur genre, même si cela ne correspond pas à leurs goûts profonds, de peur
d’être jugés et pour faire partie du groupe.
Mais les
enfants peuvent être sensibilisés et conscientisés à cette différenciation
arbitraire de rôles et leurs conceptions évoluer. Voici un extrait de mon
journal des enfants pour vous donner un exemple.
Je suis allée avec Z (5ans) au Toys R Us pour acheter un Ken. Je dis au
vendeur que nous avions besoin d’un personnage masculin pour nos jeux. Il
commente qu’il faut en effet avoir un homme pour tondre le gazon, sortir les
poubelles et pour réparer des choses.
Dans l’auto, Z me fait
la remarque suivante : « Les femmes peuvent tondre le gazon». S’ensuit une
conversation sur qui peut réparer des choses. Chez elle, c’est sa maman la
bricoleuse, chez sa tante c’est le mari et chez son autre tante c’est celle-ci.
« Et chez toi, c’est les deux». Ce qui me fait plaisir c’est qu’elle ait
remarqué dans cet échange avec le vendeur les stéréotypes sexistes et l’ait
souligné.
La littérature jeunesse
et les stéréotypes de genre
La lecture transmet des modèles sociaux qui seront internalisés par les enfants. Ils sont souvent stéréotypés dans les illustrations ou/et le texte. Que ce soit par les couleurs (le rose associé automatiquement aux filles), les vêtements (tablier, tenues professionnelles) et accessoires, le nombre de personnages masculins ou féminins, les rôles représentés, les adjectifs (garçon/homme audacieux, fille/femme attentionnée), les lieux (les femmes à l’intérieur, les hommes à l’extérieur). Les contes par exemple montrent souvent des filles/femmes sauvées par des garçons/hommes. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas les lire aux enfants mais qu’on va ensuite faire remarquer les stéréotypes qui s’y cachaient. Ainsi pourrons-nous avoir un impact sur la déconstruction progressive de ceux-ci et apprendre aux enfants à avoir un esprit critique par rapport à ce qu’on leur dit ou montre. Bien choisie, la littérature enfantine peut aussi influencer les mentalités et les faire évoluer dans le sens de l’égalité de genre.4
Conséquences
des stéréotypes
Les
stéréotypes ont des conséquences importantes sur la réussite académique, le choix
des loisirs, de métier ou de profession, la vision qu’on a de son corps, la
place qu’on prend dans le monde, les inégalités sociales (les femmes sont
encore moins bien payées), la répartition des tâches familiales et sa fameuse
charge mentale, la vie affective, etc.
Les
contre-stéréotypes
L’exposition
fréquente à des contre exemples peut induire des changements de perspectives
chez les enfants et atténuer progressivement le clivage filles/garçons. Mais on
a encore tendance à plus accepter les contre exemples pour les filles (grimper aux arbres) que pour les garçons
(coiffer une poupée). Ces derniers sont plus fortement découragés d’adopter des
comportements considérés comme « féminins».
Comment
lutter contre les stéréotypes?
Bien sûr, nous
en avons tous. C’est normal, car notre cerveau cherche à catégoriser les
choses. Mais il faut ensuite examiner nos conceptions de plus près. Nous sommes
des modèles pour les enfants qui nous observent et nous copient et absorbent
même les non-dits.
Que faire à
la maison, à la garderie, au CPE, à la maternelle et au niveau de l’école?
-
Examiner
nos biais
· Suis-je mal à l’aise quand un garçon endosse une
parure, aime être une reine ou une princesse ou arrive à la garderie avec la
jupe de sa sœur ou quand une fille veut se déguiser en chevalier au lieu d’en
princesse. Pourquoi?
· Quel genre de commentaire est-ce que je fais aux unes
(« tu as un bien beau chandail aujourd’hui») et aux autres (« tu as l’air en
forme aujourd’hui»).
Quand je demande de l’aide pour nettoyer, porter des boîtes, déplacer des
meubles : à qui est-ce que je demande : aux enfants, aux filles, aux
garçons?
-
Examiner
notre environnement :
· Y a-t-il un type de jeu qui domine l’espace. Par qui est-il utilisé ou pas utilisé?
· Les coins sont-ils utilisés par tout le monde ou certains sont-ils accaparés par des filles ou des garçons. Pourquoi? Comment transformer la situation?
· Examiner notre matériel. Y a-t-il des couleurs qui dominent et qui attirent-elles? (la vaisselle rose sera probablement utilisée par les filles, la rouge a plus de chances d’être utilisée par les filles et les garçons). Y a-t-il suffisamment d’éléments neutres? Permet-il une variété d’activités à tous les enfants? Que représentent les casse-têtes, etc.
· Examiner nos livres : quels rôles y jouent les filles et les garçons, les femmes et les hommes? Quelles couleurs dominent? La jaquette du livre s’adresse-t-elle à un genre plutôt qu’un autre? Enrichir notre collection avec des contre-exemples s’il y a lieu.
· Comment cela se passe-t-il sur la cour d’école? Qui profite des structures de jeu s’il y en a, du terrain de foot, etc. Que font les filles, que font les garçons?
- Observer les enfants dans leurs jeux et interactions pour identifier les indices de stéréotypes (« C’est toujours la maman qui fait à manger») ou les propos discriminatoires et revenir sur ces situations avec les enfants.
-
Encourager
la mixité des groupes
· En allant jouer dehors avec du matériel polyvalent par exemples, filles et garçons ont tendance à plus jouer ensemble et apprendre à reconnaître les qualités et capacités des uns et des autres (cela devrait éviter les commentaires tels : « les filles c’est platte» (paroles d’un enfant de 5 ans).
Pour des idées de matériel polyvalent allez voir l’article Comment réduire les problèmes sur la cour
d’école
· En favorisant des jeux et projets collaboratifs mixtes
-
Choix
des activités :
· Organiser des jeux de force (souk à la corde), d’adresse (se pratiquer à botter, à lancer loin, etc.), des parcours
· Favoriser la construction, les assemblages (de préférence avec des gros blocs, des boîtes, tubes, etc.), la menuiserie pour tous.
· Organiser des jeux d’orientation, avec des trésors cachés, des repères, des cartes (pour contrer l’idée que les filles manquent du sens de l’orientation).
-
Avoir
des discussions avec les enfants sur ces enjeux
-
Regarder
avec les enfants cette petite vidéo : C’est quoi un stéréotype?
-
Inviter
des personnes de différentes communautés à venir vous parler de leur vie
-
Aller
dans des musées ou autres lieux de culture, restaurants, etc. pour s’ouvrir sur
le monde
-
Inviter
et présenter des modèles contraires au stéréotype : exemple, une
« pompière», un infirmier, etc.
-
Discuter
de cela avec les collègues pour avoir plus de cohérence dans le CPE, la
garderie scolaire ou l’école
-
Impliquer
les parents dans cette réflexion
Voici un exemple d’une garderie qui s’est attaquée au problème des stéréotypes de genre: Une garderie qui déconstruit les stéréotypes de genre : https://www.google.com/search?sca_esv=596043816&rlz=1C1CHBD_frCA924CA924&tbm=vid&sxsrf=AM9HkKlxubYvzynMhyQznmdCXTkhl86Heg:1704487430770&q=St%C3%A9r%C3%A9otype+de+genre&sa=X&ved=2ahUKEwio6da-jseDAxXYEFkFHXTsA5YQ8ccDegQIOxAH&cshid=1704487509337107&biw=1025&bih=774&dpr=1#fpstate=ive&vld=cid:6407f209,vid:cdXKvTRxoQw,st:0
Conclusion
Les enfants
nous arrivent avec un bagage de représentations de soi et des autres et ont
déjà intégré des stéréotypes de genre. Et nous aussi nous en avons, car nous
avons été élevés dans ceux-ci. Il faut donc être vigilant. Garder un esprit
critique pour ne pas renforcer les stéréotypes quels qu’ils soient, fait partie
de notre tâche quotidienne. Faire attention à nos formulations. Rendre visible
les stéréotypes sous-jacents dans les jeux, médias, etc. Avoir l’oreille
attentive aux propos des enfants pour profiter de toutes les occasions qui se
présentent pour réfléchir ensemble sur les situations observées. Il en va de
l’avenir des enfants mais aussi de leur présent, pour que chacun se sente à
l’aise dans son milieu de vie et puisse développer toutes ses potentialités.
Articles
et livre consultés:
1. Badoud A., Gerber N. (2022) Le jeu libre et l’agencement matériel comme vecteurs de stéréotypes de genre. Haute école pédagogique. Lausanne, Vaud: file:///C:/Users/Anne/Downloads/mp10196_bp_p47685_p47670_2022.pdf
2. Daréou E. (2007) Des stéréotypes de genre omniprésents dans l'éducation des enfants. Dans Empan 2007/1 (n° 65) : https://www.cairn.info/revue-empan-2007-1-page 89.htm?ref=doi
3. Égalité fille et garçon : la prévalence des stéréotypes de genre, mars 2022 https://www.google.com/searchq=3.+%C3%89galit%C3%A9+fille+et+gar%C3%A7on+%3A+la+pr%C3%A9valence+des+st%C3%A9r%C3%A9otypes+de+genre%2C+mars+2022&rlz=1C1CHBD_frCA924CA924&oq=3.%09%C3%89galit%C3%A9+fille+et+gar%C3%A7on+%3A+la+pr%C3%A9valence+des+st%C3%A9r%C3%A9otypes+de+genre%2C+mars+2022&aqs=chrome..69i57.2811j0j15&sourceid=chrome&ie=UTF-8
4. Freitas K., Pereira F. (2021) En quoi la collection des Monsieur Madame véhicule-t-elle des stéréotypes de genre. Haute école pédagogique. Lausanne
5. Gouvernement du Québec. Définition des stéréotypes : https://www.quebec.ca/famille-et-soutien-aux-personnes/enfance/developpement-des-enfants/consequences-stereotypes-developpement/definition-stereotypes
6. Des pistes pour persévérer dans l’égalité. Stéréotypes sexuels chez les touts-petits. Garçons et filles : des différences innées? https://enseignerlegalite.com/petite-enfance/stereotypes-sexuels-chez-les-tout-petits/
7. Papalia D.E., Martorell E., Bève A. Laquerre N. et Scavone G. ( 2018) Stéréotypes sexuels chez les tout-petits. Des Pistes pour persévérer dans l’égalité. Enseignerl’égalité :
8. Piraud-Rouet 2017. Stéréotypes de genre, mieux les comprendre pour mieux les combattre. Les pros de la petite enfance : https://lesprosdelapetiteenfance.fr/bebes-enfants/psycho-pedagogie/lutter-contre-les-stereotypes-de-genre-des-la-petite-enfance/stereotypes-de-genre-bien-les-comprendre-pour-mieux-les-combattre
9. Reeb L. Morin-Messabel C., Kalampalikis N. (2018) Contre-stéréotypes de sexe et littérature jeunesse. Bulletin de psychologie 2018/4 (Numéro 556): https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2018-4-page-727.htm
10. Nations Unies Les stéréotypes liés au genre. HCDH, les droits des femmes et l’égalité des genres : https://www.ohchr.org/fr/women/gender-stereotyping
11. Vidal, Catherine (2016) Nos cerveaux
tous pareils, tous différents. Éditions Belin. Laboratoire de l’Égalité
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