lundi 11 mars 2024

Impliquer les enfants dans la création des coins de jeu.


Par Anne Gillain Mauffette

C’est après avoir écouté une histoire d’arbre (The spooky old tree), où trois petits ours bravent leurs peurs  et explorent un vieil arbre épeurant, que les enfants ont eu l’idée de reproduire l’arbre dans leur local devant la structure. Car les petits ours avaient, entre autres, monté un escalier et étaient ressortis par une glissoire. Photos Garden Gate


Certaines enseignantes  se donnent beaucoup de mal pour préparer des montages sur différents thèmes : les châteaux, l’espace, le corps humain, etc., pour inspirer les enfants dans leurs jeux. Les enfants ont la surprise quand ils rentrent dans la classe de trouver leur environnement transformé et sont émerveillés comme s’ils étaient à «Disney World».

Moi aussi je m’émerveille du dévouement de leurs enseignantes, du temps qu’elles passent à préparer ces décors et de l’argent dépensé (souvent de leurs poches). Mais je m’interroge s’il n’y aurait pas moyen de leur épargner une partie de ces efforts, sans nuire au développement du jeu libre des enfants.

Souvent, les enseignantes aménagent ces mises en scène lorsque les enfants ne sont pas en classe (temps libre, journées pédagogiques, temps personnel…). Pourtant « les recherches montrent  que l’implication des enfants dans l’aménagement des aires de jeu facilite leur engagement, leur donne des responsabilités, encourage des jeux plus complexes et répond à leurs intérêts et besoins.»1.  Un remue-méninge avec les enfants donnant l’élan des idées de départ.

        Sur le sujet de l’espace, trois filles travaillent sur un vaisseau ou une base spatiale. Photo Garden Gate

Dans une recherche auprès de 1001 enfants de 3 à 6 ans, dans sept écoles préscolaires, les auteurs ont évalué la qualité des environnements éducatifs.

Ils soulignent que la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (Nations Unies 1989), est le premier traité qui énonce l’importance d’écouter les points de vue des enfants et de les impliquer dans les décisions des choses qui les concernent.

Plus récemment les Nations Unies en 2015 dans leur  Agenda pour un développement durable, insistent sur la nécessité de mettre en place des mécanismes démocratiques qui engagent les enfants dans des processus de décision dans leur communauté.

«Selon l’article 12, l’enfant possède le droit de s’exprimer, d’être écouté et d’être considéré et doit être en mesure d’exercer ses droits, indépendamment du milieu dans lequel il se trouve. Les intervenants de l’ensemble des organisations de services (milieu scolaire, services de garde, réseau de la santé et des services sociaux, milieu communautaire) devraient donc permettre à l’enfant de les exercer.» 2

«La participation de l’enfant ne dépend pas de son âge ou de sa maturité, mais bien de sa capacité à partager son point de vue, ce qui peut se traduire par une communication verbale ou non-verbale.» 2

Le système éducatif peut encourager la participation dès la base. Pourquoi donc ne pas commencer cette éducation à la coopération, à la prise de parole, à l’agentivité dans nos petites communautés du préscolaire?

Les résultats de cette recherche qui était orientée vers l’aménagement de l’espace extérieur, ont confirmé  la valeur des approches participatives qui seraient tout aussi applicables à l’environnement intérieur.

Une enseignante en maternelle me disait avoir remarqué qu’en imaginant eux-mêmes les décors et les aménagements, il y a une plus grande variété dans l’utilisation du matériel et de l’espace. Brigitte Campbell

Confection de châteaux avec différents matériaux: en carton, en Duplos, en cubes de sucre, en blocs de bois. Photo de gauche : Garden Gate. Photo de droite Anne Mauffette

                            Photos Anne Mauffette                                  Photo Garderie Imagine

        Château fait à deux en blocs magnétiques. De petits personnages stimulent la création et le jeu des enfants.

Cet enfant a reproduit les armes des chevaliers vus dans un livre et les chevaliers en train de se battre.

Sur le rétroprojecteur. Un château. Un chevalier sur son destrier. Un roi dont la couronne est faite avec des clefs. 
Photos Anne Mauffette
Les jeux peuvent se poursuivre à l’extérieur. Ici un château médiéval avec des douves.


La participation offre aux enfants des occasions de développer leurs habiletés, leur autonomie et créativité, à construire des sens communs et à avoir des dialogues critiques avec leurs pairs, ce qui les amène à croître comme individus. Bref la participation  engendre tous ces éléments clés du développement social et personnel. (Traduction libre de 1)

D’autres recherches confirment les nombreux bienfaits de la participation de l’enfant sur son développement, notamment au regard  de «l’empowerment», l’estime de soi, de l’affirmation de soi et de la connaissance de soi…Il développerait ainsi «un sentiment de pouvoir d’agir.»2

La participation aurait une influence sur le bien-être des enfants et augmenterait le sentiment de valorisation de soi.

Il s’agit donc de considérer que le point de vue de l’enfant permet d’accéder à une autre perspective de la situation qui doit nécessairement être considérée dans le processus d’intervention… Les adultes qui gravitent autour de lui, vont soutenir et encourager l’enfant afin qu’il puisse faire valoir et exercer ses droits dans ses différents contextes de vie et à travers les diverses situations auxquelles il est confronté.2

Des enfants s’Intéressaient aux poissons et ont eu l’idée de construire un aquarium. On les voit en pleine discussion. Photos Garden Gate.

Il y a plusieurs modèles et de degrés de participation dont celui de  Kirby et al. 2 qui évalue le degré d’écoute donné à l’enfant et la prise en compte de son opinion. Il classe les types de participation en quatre catégories :

-          (a) les adultes prennent en considération l'opinion des enfants

-     (b) les enfants participent à la prise de décision en collaboration avec les adultes

-     (c) les enfants et les adultes se partagent le pouvoir et la responsabilité de la prise de décision

-     (d) les enfants prennent des décisions de manière autonome

Bizarrement les recherches sur des expériences de participation des enfants portent surtout sur l’environnement extérieur et très peu se sont penchées sur l’apport de ceux-ci dans l’organisation des activités de la classe.

Dans une approche participative, les enseignantes vont adopter une vision des enfants comme des producteurs et non des consommateurs.

 Les enfants s’étaient intéressés aux écureuils dans la cour et ont représenté une forêt avec des nids, etc. Photos Project Approach


Si on embrasse une vision de l’enfant comme curieux, capable de pensées complexes, comme un communicateur, un créateur comment refléter ceci dans nos pratiques?

Il s’agit ici de reconnaître le potentiel et la capacité de l’enfant à participer et à s’exprimer.1 De leur permettre de jouer un rôle actif.

Y a-t-il moyen d’augmenter la part active des enfants dans la conception des espaces de jeu?  D’imaginer une co-création, négociée ensemble?

Au lieu de faire des choses pour les enfants, pourrait-on les planifier et les réaliser avec eux?


Comment articuler cela en classe?

Il n’y a pas qu’une seule recette, les démarches peuvent varier. Les enfants auront plus ou moins de contrôle sur leurs apprentissages selon leur degré de participation.

Comment les thèmes de jeux et les coins des jeux symboliques sont-ils décidés? Le thème est-il choisi par l’enseignante d’avance? Si oui, pourquoi ce sujet? L’enseignante a-t-elle observé un intérêt particulier des enfants ou se base-t-elle sur sa connaissance des enfants de cet âge? Choisit-elle ce sujet car il est riche en possibilités d’apprentissages ou qu’elle a des ressources disponibles pour élaborer sur ce sujet?

Ou bien fait-il l’objet d’une discussion avec les enfants sur ce qu’ils aimeraient explorer?

Est-ce que tout le monde doit s’intéresser au sujet en même temps?

Une fois le sujet choisi :

Va-t-on questionner les enfants sur ce qu’ils connaissent sur ce sujet et sur quels aspects de ce sujet ils s’interrogent?

Quelle forme va-t-on donner à l’exploration de ce thème? À quels types de représentations, de jeux se prête-t-il? Construction (d’un château, d’un camion de pompier, d’un commerce, d’une ville, etc.), assemblages, dessin, peinture (une murale?), glaise, papier mâché, explorations musicales, corporelles, théâtrales, d'imagination, etc.?

Et qui va se charger de la réalisation ? L’enseignante seule? L’enseignante pour certaines choses, les enfants pour d’autres? Ou  l’enseignante et les enfants?

Si les enfants sont impliqués, comment va-t-on aider les enfants à développer leurs idées (lecture de livres,  affiches, visionnements vidéos, invités, visites)?

Va-t-on apporter tout le matériel nécessaire ou leur demander comment on pourrait faire et avec quoi? Va-t-on faire appel aux parents pour nous aider avec la recherche de matériel? 

La durée du projet est-elle fixée d’avance par l’enseignante ou variable selon le degré d’intérêt des enfants?

Un exemple :

Dans cet exemple, un camion de pompier était garé devant le milieu éducatif. Le pompier a eu la gentillesse d’ouvrir les pans de côté du camion (où on voyait les bonbonnes etc.). Puis les enseignantes, devant l’enthousiasme des enfants, ont organisé une visite à la caserne. Mais c’est le camion qui les intéressait. Les enfants avaient préparé leurs questions et apporté leurs tablettes pour dessiner les parties du camion. L’enseignante, elle, a pris une vidéo du camion. Le lendemain l’enseignante avait apporté une énorme boîte. Les enfants se sont mis à construire le camion avec du matériel disponible dans la classe. Ils ont aussi regardé des livres. Ils se sont divisé la tâche : l’un faisait le devant, un autre les échelles, d’autres les lumières, etc. Ils regardaient de nouveau la vidéo pour remarquer d’autres détails : la hache par exemple. Il y eut des discussions sur les sortes de matériaux nécessaires pour faire les phares etc. et des problèmes d’adhésion de certains matériaux avec de la colle, etc.

Ils ont ensuite joué au pompier.

Puis quelques enfants ont fait une murale et en groupe les enfants ont décidé de faire une vidéo où ils illustreraient ce qu’ils avaient appris chacun illustrant et expliquant sa participation.

Ceci a duré 40 jours.

Les uns s’occupent du devant du camion, d’autres de l’arrière.
Une fois le camion terminé, c’est le temps de jouer au pompier.

Photos extraites de la vidéo 4

Comme dans bien des jeux des enfants, parfois la préparation est plus longue que le jeu lui-même, mais elle est en elle-même source de nombreux apprentissages.


Quels avantages y a-t-il à la participation des enfants?

Si on regarde cet exemple de projet autour d’un camion de pompier, on notera des avancées :

· Sur le plan moteur : développement de la motricité fine (dessin des parties du camion, assemblage des différentes parties : découper, coller, peindre, etc.)

· Sur le plan social : négociation, collaboration

· Sur le plan du langage oral et écrit : nouveau vocabulaire, échanges, expression de leurs idées, lecture de livres, écriture, représenter leurs questions et les réponses

· Sur le plan cognitif : observation en vue d’une représentation, savoir comment des choses sont faites et fonctionnent (compréhension du monde), choix des matériaux qui conviennent, résolutions de problèmes, notions mathématiques (compter et reproduire le nombre de pneus, le nombre d’échelles), découverte d’éléments de l’univers social, meilleure rétention de l’information, etc.

· Sur le plan affectif : sentiment de réussite, de fierté

· Sur la motivation et la persévérance: les enfants ont «travaillé» et joué pendant des semaines.


Conclusion :

Dans un processus interactif d’investigation de différents sujets (concepts), les enfants deviennent les vrais créateurs de leurs expériences. Au lieu de leur fournir toute l’information au départ, on va les accompagner dans leurs recherches pour répondre à leurs questions : qu’est-ce que chacun veut savoir sur les châteaux, l’espace ou les animaux du grand nord, de quoi ça a l’air une clinique vétérinaire? Est-ce qu’on pourrait reproduire cet environnement et y jouer?

Notre rôle va être «d’échanger avec les enfants, les aider à prendre des décisions, à s’entraider dans la réalisation de tous les petits ou grands projets qui vont naître au fur et à mesure que les idées vont s’ajouter. Leur fournir des matériaux lorsque nécessaire, les aider à résoudre des problèmes rencontrés, les amener à évaluer leur participation, leurs apprentissages et les émotions suscitées… et les observer».

On va leur donner les moyens de représenter, avec différents matériaux leurs nouveaux apprentissages, en créant, en collaboration avec eux, des univers petits ou grands et des accessoires architecturaux, théâtraux, picturaux, musicaux ou technologiques, etc. avec lesquels et dans lesquels ils vont pouvoir jouer.  Car créer, c’est aussi jouer.


Références

1.      Muela A., Larrea I., Miranda N. et Barandiaran A. (2019)

European Early Childhood Education Research Journal, Vol. 27, No. 3, 385–396 https://doi.org/10.1080/1350293X.2019.1600808

2.      Tourigny S. (2021) Comment favoriser la participation des enfants dans les interventions qu’ils reçoivent : Une étude participative avec des enfants de 7 à 12 ans. Mémoire de maîtrise en psychoéducation. UQO.: https://di.uqo.ca/id/eprint/1320/1/Tourigny_Sarah_2021_memoire.pdf 

3.       The Project Approach : https://illinoisearlylearning.org/pa/

4.      Video : The fire truck Project: https://youtu.be/i88i-8mo2-E?si=Ko6XbHb8cCxNSdoe

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