Par Anne Gillain Mauffette
C’est après avoir écouté une histoire d’arbre (The spooky old tree), où trois petits ours bravent leurs peurs et explorent un vieil arbre épeurant, que les enfants ont eu l’idée de reproduire l’arbre dans leur local devant la structure. Car les petits ours avaient, entre autres, monté un escalier et étaient ressortis par une glissoire. Photos Garden Gate
Certaines enseignantes se donnent beaucoup de mal pour préparer des montages sur différents thèmes : les châteaux, l’espace, le corps humain, etc., pour inspirer les enfants dans leurs jeux. Les enfants ont la surprise quand ils rentrent dans la classe de trouver leur environnement transformé et sont émerveillés comme s’ils étaient à «Disney World».
Moi aussi je m’émerveille du dévouement de leurs enseignantes, du temps qu’elles passent à préparer ces décors et de l’argent dépensé (souvent de leurs poches). Mais je m’interroge s’il n’y aurait pas moyen de leur épargner une partie de ces efforts, sans nuire au développement du jeu libre des enfants.
Souvent, les
enseignantes aménagent ces mises en scène lorsque les enfants ne sont pas en
classe (temps libre, journées pédagogiques, temps personnel…). Pourtant « les
recherches montrent que l’implication
des enfants dans l’aménagement des aires de jeu facilite leur engagement, leur
donne des responsabilités, encourage des jeux plus complexes et répond à leurs
intérêts et besoins.»1. Un
remue-méninge avec les enfants donnant l’élan des idées de départ.
Dans une recherche auprès de 1001
enfants de 3 à 6 ans, dans sept écoles préscolaires, les auteurs ont évalué la
qualité des environnements éducatifs.
Ils soulignent que la Convention Internationale
des Droits de l’Enfant (Nations Unies 1989), est le premier traité qui énonce
l’importance d’écouter les points de vue des enfants et de les impliquer dans
les décisions des choses qui les concernent.
Plus récemment les Nations Unies en
2015 dans leur Agenda pour un
développement durable, insistent sur la nécessité de mettre en place des
mécanismes démocratiques qui engagent les enfants dans des processus de
décision dans leur communauté.
«Selon
l’article 12, l’enfant possède le droit de s’exprimer, d’être écouté et d’être
considéré et doit être en mesure d’exercer ses droits, indépendamment du milieu
dans lequel il se trouve. Les intervenants de l’ensemble des organisations de
services (milieu scolaire, services de garde, réseau de la santé et des
services sociaux, milieu communautaire) devraient donc permettre à l’enfant de
les exercer.» 2
«La
participation de l’enfant ne dépend pas de son âge ou de sa maturité, mais bien
de sa capacité à partager son point de vue, ce qui peut se traduire par une
communication verbale ou non-verbale.» 2
Le système
éducatif peut encourager la participation dès la base. Pourquoi donc ne pas
commencer cette éducation à la coopération, à la prise de parole, à
l’agentivité dans nos petites communautés du préscolaire?
Les
résultats de cette recherche qui était orientée vers l’aménagement de l’espace
extérieur, ont confirmé la valeur des
approches participatives qui seraient tout aussi applicables à l’environnement
intérieur.
Une
enseignante en maternelle me disait avoir remarqué qu’en imaginant eux-mêmes les décors et les
aménagements, il y a une plus grande variété dans l’utilisation du
matériel et de l’espace. Brigitte Campbell
La participation offre aux enfants des occasions de développer leurs habiletés, leur autonomie et créativité, à construire des sens communs et à avoir des dialogues critiques avec leurs pairs, ce qui les amène à croître comme individus. Bref la participation engendre tous ces éléments clés du développement social et personnel. (Traduction libre de 1)
D’autres
recherches confirment les nombreux bienfaits de la participation de l’enfant
sur son développement, notamment au regard
de «l’empowerment», l’estime de soi, de l’affirmation de soi et de la
connaissance de soi…Il développerait ainsi «un sentiment de pouvoir d’agir.»2
La
participation aurait une influence sur le bien-être des enfants et augmenterait
le sentiment de valorisation de soi.
Il s’agit
donc de considérer que le point de vue de l’enfant permet d’accéder à une autre
perspective de la situation qui doit nécessairement être considérée dans le
processus d’intervention… Les adultes qui gravitent autour de lui, vont
soutenir et encourager l’enfant afin qu’il puisse faire valoir et exercer ses
droits dans ses différents contextes de vie et à travers les diverses
situations auxquelles il est confronté.2
Des enfants s’Intéressaient aux poissons et ont eu l’idée de construire un aquarium. On les voit en pleine discussion. Photos Garden Gate.
Il y a plusieurs modèles et de degrés de participation dont celui de Kirby et al. 2 qui évalue le degré d’écoute donné à l’enfant et la prise en compte de son opinion. Il classe les types de participation en quatre catégories :
-
(a) les adultes prennent en considération
l'opinion des enfants
- (b) les enfants participent à la prise de
décision en collaboration avec les adultes
- (c) les enfants et les adultes se partagent le
pouvoir et la responsabilité de la prise de décision
- (d) les enfants prennent des décisions de
manière autonome
Bizarrement
les recherches sur des expériences de participation des enfants portent surtout
sur l’environnement extérieur et très peu se sont penchées sur l’apport de
ceux-ci dans l’organisation des activités de la classe.
Dans une
approche participative, les enseignantes vont adopter une vision des enfants
comme des producteurs et non des consommateurs.
Si on
embrasse une vision de l’enfant comme curieux, capable de pensées complexes,
comme un communicateur, un créateur comment refléter ceci dans nos pratiques?
Il s’agit
ici de reconnaître le potentiel et la capacité de l’enfant à participer et à
s’exprimer.1 De leur permettre de jouer un rôle actif.
Y a-t-il
moyen d’augmenter la part active des enfants dans la conception des espaces de
jeu? D’imaginer une co-création,
négociée ensemble?
Au lieu de
faire des choses pour les enfants, pourrait-on les planifier et les réaliser
avec eux?
Comment
articuler cela en classe?
Il n’y a pas
qu’une seule recette, les démarches peuvent varier. Les enfants auront plus ou
moins de contrôle sur leurs apprentissages selon leur degré de participation.
Comment les thèmes de jeux et les
coins des jeux symboliques sont-ils décidés? Le thème est-il choisi par
l’enseignante d’avance? Si oui, pourquoi ce sujet? L’enseignante a-t-elle
observé un intérêt particulier des enfants ou se base-t-elle sur sa
connaissance des enfants de cet âge? Choisit-elle ce sujet car il est riche en
possibilités d’apprentissages ou qu’elle a des ressources disponibles pour
élaborer sur ce sujet?
Ou bien fait-il l’objet d’une
discussion avec les enfants sur ce qu’ils aimeraient explorer?
Est-ce que tout le monde doit s’intéresser au sujet en même temps?
Une fois le sujet choisi :
Va-t-on questionner
les enfants sur ce qu’ils connaissent sur ce sujet et sur quels aspects de ce
sujet ils s’interrogent?
Quelle forme
va-t-on donner à l’exploration de ce thème? À quels types de représentations,
de jeux se prête-t-il? Construction (d’un château, d’un camion de pompier, d’un
commerce, d’une ville, etc.), assemblages, dessin, peinture (une murale?),
glaise, papier mâché, explorations musicales, corporelles, théâtrales, d'imagination, etc.?
Et qui va se
charger de la réalisation ? L’enseignante seule? L’enseignante pour certaines
choses, les enfants pour d’autres? Ou l’enseignante et les enfants?
Si les enfants sont impliqués, comment
va-t-on aider les enfants à développer leurs idées (lecture de livres, affiches, visionnements vidéos, invités,
visites)?
Va-t-on apporter tout le matériel nécessaire ou leur demander comment on pourrait faire et avec quoi? Va-t-on faire appel aux parents pour nous aider avec la recherche de matériel?
La durée du projet est-elle fixée d’avance par l’enseignante ou
variable selon le degré d’intérêt des enfants?
Un
exemple :
Dans cet exemple, un camion de
pompier était garé devant le milieu éducatif. Le pompier a eu la gentillesse
d’ouvrir les pans de côté du camion (où on voyait les bonbonnes etc.). Puis les
enseignantes, devant l’enthousiasme des enfants, ont organisé une visite à la
caserne. Mais c’est le camion qui les intéressait. Les enfants avaient préparé
leurs questions et apporté leurs tablettes pour dessiner les parties du camion.
L’enseignante, elle, a pris une vidéo du camion. Le lendemain l’enseignante
avait apporté une énorme boîte. Les enfants se sont mis à construire le camion
avec du matériel disponible dans la classe. Ils ont aussi regardé des livres. Ils
se sont divisé la tâche : l’un faisait le devant, un autre les échelles,
d’autres les lumières, etc. Ils regardaient de nouveau la vidéo pour remarquer
d’autres détails : la hache par exemple. Il y eut des discussions sur les
sortes de matériaux nécessaires pour faire les phares etc. et des problèmes
d’adhésion de certains matériaux avec de la colle, etc.
Ils ont ensuite joué au pompier.
Puis quelques enfants ont fait une
murale et en groupe les enfants ont décidé de faire une vidéo où ils
illustreraient ce qu’ils avaient appris chacun illustrant et expliquant sa
participation.
Ceci a duré 40 jours.
Comme dans
bien des jeux des enfants, parfois la préparation est plus longue que le jeu
lui-même, mais elle est en elle-même source de nombreux apprentissages.
Quels
avantages y a-t-il à la participation des enfants?
Si on
regarde cet exemple de projet autour d’un camion de pompier, on notera des
avancées :
· Sur le plan moteur : développement de la
motricité fine (dessin des parties du camion, assemblage des différentes
parties : découper, coller, peindre, etc.)
· Sur le plan social : négociation, collaboration
· Sur le plan du langage oral et écrit : nouveau
vocabulaire, échanges, expression de leurs idées, lecture de livres, écriture,
représenter leurs questions et les réponses
· Sur le plan cognitif : observation en vue d’une
représentation, savoir comment des choses sont faites et fonctionnent
(compréhension du monde), choix des matériaux qui conviennent, résolutions de
problèmes, notions mathématiques (compter et reproduire le nombre de pneus, le
nombre d’échelles), découverte d’éléments de l’univers social, meilleure
rétention de l’information, etc.
· Sur le plan affectif : sentiment de réussite, de fierté
· Sur la motivation et la persévérance:
les enfants ont «travaillé» et joué pendant des semaines.
Conclusion :
Dans un
processus interactif d’investigation de différents sujets (concepts), les
enfants deviennent les vrais créateurs de leurs expériences. Au lieu de leur
fournir toute l’information au départ, on va les accompagner dans leurs
recherches pour répondre à leurs questions : qu’est-ce que chacun veut savoir
sur les châteaux, l’espace ou les animaux du grand nord, de quoi ça a l’air une
clinique vétérinaire? Est-ce qu’on pourrait reproduire cet environnement et y
jouer?
Notre rôle va être «d’échanger avec les enfants, les aider à prendre des décisions, à s’entraider dans la réalisation de tous les petits ou grands projets qui vont naître au fur et à mesure que les idées vont s’ajouter. Leur fournir des matériaux lorsque nécessaire, les aider à résoudre des problèmes rencontrés, les amener à évaluer leur participation, leurs apprentissages et les émotions suscitées… et les observer».
On va leur
donner les moyens de représenter, avec différents matériaux leurs nouveaux
apprentissages, en créant, en collaboration avec eux, des univers petits ou
grands et des accessoires architecturaux, théâtraux, picturaux, musicaux ou
technologiques, etc. avec lesquels et dans lesquels ils vont pouvoir jouer. Car créer, c’est aussi jouer.
Références
1. Muela A., Larrea I., Miranda N. et
Barandiaran A. (2019)
European
Early Childhood Education Research Journal, Vol. 27, No.
3, 385–396 https://doi.org/10.1080/1350293X.2019.1600808
2. Tourigny S. (2021) Comment favoriser la participation des enfants dans les interventions qu’ils reçoivent : Une étude participative avec des enfants de 7 à 12 ans. Mémoire de maîtrise en psychoéducation. UQO.: https://di.uqo.ca/id/eprint/1320/1/Tourigny_Sarah_2021_memoire.pdf
3. The Project Approach : https://illinoisearlylearning.org/pa/
4.
Video :
The fire truck Project: https://youtu.be/i88i-8mo2-E?si=Ko6XbHb8cCxNSdoe
PoPour imprimer ce texte en format PDF: https://drive.google.com/file/d/159m7KLzU50F7cte9FrSeY2btdfTPYyG6/view?usp=sharing
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