mardi 12 décembre 2023

Petit rajout au sujet des Mathématiques dans le Jeu : un résumé, illustré, d’une lecture

Par Anne Gillain Mauffette

Guillaume 4 ans a construit ce village et très fier, s’est mis à les compter, puis déclare: «J’en ai fait huit!» Photo Anne Mauffette

Je viens de recevoir tardivement ce petit livre, réédité en 2022, Les premiers pas vers les maths : Le chemin de la réussite, de Rémi Brissiaud.

On nous y décrit les difficultés que peuvent avoir certains enfants avec le dénombrement et les façons d’aider les tous jeunes enfants à comprendre les nombres.


Des problèmes au niveau du langage

L’auteur nous explique que le langage crée des difficultés chez certains enfants.

D’abord parce que les noms de nombres (chiffres) ne représentent pas toujours un total. Le numéro 11 au hockey ne représente pas 11 hockeyeurs ou le 11ième, mais un individu. Alors que : « il y avait six joueurs sur la patinoire» indique la somme des joueurs.  Ce double usage des chiffres  (mots-nombres) peut porter à confusion chez les jeunes enfants.

En effet, dans leur quotidien, les enfants ont toutes sortes d’occasion de voir des chiffres écrits (3) qui ne désignent pas des nombres mais bien des numéros. Quand il pousse sur le 3 de la télécommande, il ne voit pas trois images, mais une seule. Sur le calendrier (on est le 6 décembre), le numéro de téléphone, etc. Les enfants confondent longtemps ces deux significations des mots-nombre : numéros et nombres.

Le problème avec le comptage d’objets accompagné du pointage (un, deux, trois, quatre) est  que le mot «quatre» (par exemple), est prononcé en pointant un objet mais que l’enfant devrait comprendre que ce mot réfère aussi à  l’ensemble des objets comptés.

Il précise qu’il est plus difficile pour un petit francophone qu’un anglophone de comprendre la distinction entre numéro et nombre et entre unités et pluralité car nous utilisons le même mot  «un», à la fois pour l’article défini et l’adjectif numéral et l’article défini. De plus le s est muet dans les pluriels en français  (deux chats) alors qu’il est prononcé en anglais (two cats).  Aussi devons-nous faire attention à nos énoncés. Dans « La sorcière a trois chats» l’enfant n’a aucun indice de la pluralité mais dans  «As-tu vu les trois chats de la sorcière», le « les» lui donne un indice.

Et les anglais utilisent l’expression le sixième jour de décembre (« December the 6th») plutôt que le 6 décembre.

 Le verbe se conjugue au pluriel en anglais «There are three cats» alors qu’on dit « Il y a trois chats» en français.  Et le «one» reste invariable alors qu’en français le un se change en une au féminin.


«Regarde les deux chats dans leur panier»     Photo Anne Mauffette

Le comptage

Nous avons déjà évoqué dans le document Les Mathématiques dans le jeu, certains enfants ayant des problèmes avec le dénombrement enfants, qui quand on leur demandait combien il y avait d’objets dans une collection, après les avoir comptés, recommençaient à compter. Certains même répétaient le dernier mot. Mais ils n’avaient pas compris le sens, le pourquoi et le fonctionnement du dénombrement. Il a énuméré mais pas totalisé. Ils dénomment mais ne conçoivent pas, n’ont pas construit,  la signification du nombre.

Voir : https://jeulibrequebec.blogspot.com/2023/10/les-mathematiques-dans-le-jeu.html

L’auteur met cela sur le compte du comptage mécanisé, c’est-à- dire que les enfants avaient appris la suite des nombres, sans comprendre que l’objectif est de savoir combien il y avait d’éléments et que le mot-nombre deux par exemple, englobait le un et ainsi de suite.

Nous sommes portés à vouloir enseigner peut-être un peu trop rapidement aux enfants le vocabulaire associé aux nombres et à réciter ( et faire réciter) la suite des nombres, pensant ainsi assurer les bases des mathématiques.

Il souligne que seuls les enfants ayant  de bonnes compétences langagières en viennent à  construire le concept de « trois» lors du comptage et que les autres restent souvent dans un comptage rituel, automatisé.


Compter loin

Les enfants adorent nous dire qu’ils savent compter jusqu’à 10, 30, 100. Et nous avons tendance à les y encourager. Mais, tant que les enfants n’ont pas compris le concept de nombre, c’est les mener vers le comptage numérotage et nom le comptage-dénombrement.

Il suggère que nous évitions le comptage  avec les très jeunes enfants  car il est axé sur la mémorisation et l’énumération et d’éviter aussi, si possible l’usage des mots-nombres en tant que numéros lors du dénombrement.

Il nous donne l’exemple des présences :

Les enfants en arrivant prennent leurs photos dans la boîte où elles sont rangées et les placent dans une pochette. Lors du rassemblement, on compte les photos restées dans la boîte : «Combien d’enfants sont absents»? Frédéric , et Isabelle, et Sarah (au lieu d’énumérer  1, 2,3) accompagnant notre énoncé des noms des enfants avec  nos doigts (qui constituent la collection témoin). Les enfants vont pouvoir savoir combien d’enfants, au total, sont absents.

L’enfant pourra appliquer cela dans ses jeux, au dénombrement de toutes sortes  d’objets comptant ses autos alignées : l’auto rouge (un doigt), la verte (deux doigts), la bleue (trois doigts), ses Schtroumpfs (Schtroumpf grognon, Schtroumpf à lunettes), des blocs ou  des animaux pareils ou différents ou encore un ensemble d’objets hétéroclites.

Ici l’enfant, expliquant comment il a fait son abri avec des réglettes, a dit spontanément: «J’en ai mis un et un et un et un et un, ça fait cinq». Photo Chantal Larivière

 

 

L’usage des décompositions

Selon l’auteur, il vaudrait mieux, avec les enfants de trois et quatre ans, commencer avec  des petits nombres (au début jusqu’à trois) pour leur permettre de comprendre par exemple que « un et un, ça fait deux» et utiliser ces mots, ainsi qu’en levant un doigt puis l’autre. Puis que« un et un et encore un», c’est trois puis que trois c’est aussi «deux et un».

Il nous conseille aussi de changer de doigts pour que l’enfant n’associe pas une configuration particulière à un nombre.  L’enfant ne doit pas penser que pour montrer deux ou trois, certains doigts doivent être montrés. Ils doivent être substituables.

Photo tirée du livre

Exemple : un enfant qui a trois ans auquel on a montré qu’il a trois ans, comme cela, en montrant le pouce, l’index et l’annulaire va répéter cette information et ce geste, mais n’a pas nécessairement compris le sens du nombre trois.

Photo                      Photo

Par contre, une fois que le concept des trois premiers nombres est maîtrisé, on pourra ensuite décrire 4 comme un et un et un et encore un puis comme 2 et encore 2 ou 3 et encore 1, etc.

Pour reprendre l’exemple de présences, on pourrait par exemple s’il y a quatre enfants absents on pourra voir combien il y a de filles et de garçons : 4 filles ou 2 garçons 2 filles ou 3 garçons 1 fille, etc., les amenant à décomposer les nombres.

Bien sûr certains enfants nous arrivent en connaissant déjà la suite des nombres. Mais cela n’empêche pas de revenir à la base pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un automatisme plutôt qu’une compréhension réelle du fonctionnement des nombres.

L’utilisation des collections-témoins

Il nous propose d’utiliser des collections témoins pour représenter les petits nombres.

Il s’agit de représenter les nombres symboliquement (cailloux, traits et doigts) qui représentent la dimension d’un ensemble, sa grandeur ou sa taille. Celles-ci, quand elles symbolisent  des ajouts successifs d’unités (un et un…), vont aider les enfants dans leur compréhension du nombre.

Les enfants ont spontanément décrit le nombre d’animaux dans les enclos qu’ils avaient construits. Photo Anne Mauffette

Les mains sont très pratiques comme collections témoins, car constituées de 5 doigts sur chaque main. Elles initient des décompositions : le 6 c’est une main (5) plus un doigt,  le 8 c’est cinq plus trois.

Une chanson sur les doigts de la main amène les enfants à énumérer les doigts (sans les mots-nombres) puis à nommer l’ensemble des doigts (5) :« J’ai un joli pouce, un index aussi, un majeur, un annulaire, un petit auriculaire, ma main a cinq doigts.»

 

La construction de collections équipotentes.

Les collections équipotentes : Il s’agit de faire une collection qui peut être mise  en correspondance terme à terme avec une autre. Il donne comme exemple : une série de bouteille et une série de bouchons.

Les occasions sont nombreuses où les enfants doivent anticiper combien il faudrait distribuer d’assiettes ou de pots de colle  pour un groupe  d’enfants par exemple ou pour la famille

Il y aura-t-il assez de clémentines pour tout le monde? (Nous étions 7).Photo Anne Mauffette

Il recommande d’encourager les enfants à faire  des comparaisons de collections d’objets (il y en a pareil ou plus, ou moins, il y en a un de plus, deux de plus, un de moins).

 À utiliser leurs doigts comme collection-témoin par correspondance terme à terme. Ils apprennent ainsi que le nombre suivant se forme en ajoutant une unité supplémentaire.

Lorsque qu’on compare des collections à l’aide du comptage, c’est l’écoute  de la longueur du comptage qui va nous dire quelle collection est la plus nombreuse.

 

L’utilisation de constellations

L’auteur note qu’un enfant qui reconnait le cinq (présenté en quinconce) sur un dé, ne reconnait pas nécessairement  le cinq s’il est présenté autrement, par exemple trois points en haut et deux en bas. L’enfant a reconnu la forme géométrique mais peut-être pas le nombre et son organisation (quatre plus un).

Il recommande d’amener les enfants à analyser des constellations organisées différentes ;

                        Photo tirée du livre.

 

Et qu’ils comparent des constellations afin de comprendre que par exemple les constellations de 5 ont le même nombre de points : les deux sont formées comme un carré, l’une avec un point au milieu et l’autre avec un point à côté.          

Cela peut se faire en présentant une collation ou du matériel par exemple ou dans leurs jeux ou comme devinettes avec des jetons sur un rétroprojecteur.

 


Les enfants ont confectionné et présenté 2,3, 4, 5 et 6 gâteaux (en sable) dans leur pâtisserie, en utilisant des constellations assez traditionnelles.

 

Le comptage avec les plus grands

Une fois que les enfants ont compris les trois premiers nombres on pourra passer au 4 comme 3 et un mais aussi 2 et 3 et au 5 comme 4 et encore un, etc.

Les enfants comprennent mieux  que les noms prononcés sont des nombres, quand on déplace les objets au fur et à mesure que l’on compte.

Ainsi  chaque énumération ne vise pas au numérotage de cet objet mais bien à l’ajout d’une unité et «la création mentale du nombre résultant de cet ajout».

En rangeant les balles, on les a déposés une à une dans le contenant en les comptant. Photo Anne Mauffette

 

La subitisation

Nous avons déjà abordé ce sujet dans Les Mathématiques dans le Jeu.

https://jeulibrequebec.blogspot.com/2023/10/les-mathematiques-dans-le-jeu.html

L’auteur la définit comme la capacité d’énumération immédiate des unités jusqu’à 3. «L’être humain est capable de prendre en considération en un seul focus de l’attention  jusqu’à 3 unités mais pas au-delà…de manière automatique sans s’en rendre compte».

  Ayant regroupé ses créations pour la photo, Nathan dit: «Y'en a trois», sans compter les vaisseaux qu’il a réalisés . Photo Anne Mauffette

J’ajouterais qu’une personne peut reconnaître des regroupements (ou constellations) vus fréquemment comme les points sur un dé. Elle identifie rapidement cette figure.

Conclusion

Les jeunes enfants sont en train de construire leurs concepts mathématiques. On ne se rend pas toujours compte de la complexité de ces processus. Amener les enfants à comprendre que les mots-nombres qu’ils prononcent sont les symboles d’une suite numérique croissante, du fait de l’ajout d’une unité, n’est pas si facile. Les précisions apportées dans ce livre nous amènent à réfléchir sur comment on parle aux enfants des nombres et les conséquences possibles sur leurs apprentissages. Et à vérifier leurs stratégies de dénombrement et ce qu’ils en comprennent.




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