jeudi 6 juin 2019

Méfiez-vous du Guide à l’intention des équipes-écoles

Par Anne Mauffette
et Marie B. Jobin
Ce nouveau guide a soulevé notre inquiétude :
Une transition des apprentissages de l'écrit entre la maternelle et la première année, oui, l’intention paraît louable, mais à la lecture on s’aperçoit que cela pourrait devenir un carcan de plus, susceptible d'emprisonner les enseignantes de maternelle et diminuer encore leur autonomie professionnelle, si leur ordre d'enseignement n'est pas reconnu : les enseignantes à la maternelle ont développé des compétences particulières pour le niveau où elles enseignent, ont adopté des manières différentes d'aider les enfants à progresser, les plus jeunes ayant leurs propres façons d'apprendre, par le jeu libre par exemple.

Si les autres membres de l'équipe ne sont pas sensibilisées à l'approche différente au préscolaire, notamment l'approche par le jeu libre, elles pourraient avoir tendance à mettre des pressions sur l'enseignante de maternelle pour adopter des approches plus traditionnelles structurées en grand groupe, moins adaptées à l'âge des petits, au détriment des périodes de temps précieux réservées aux jeux actifs adaptés au développement global, ce qui constitue la mission première du préscolaire.
Si on suit le protocole de ce guide, l'enseignante de maternelle risquerait alors d'avoir 4 patrons :
  1. L’enseignante de première année avec laquelle elles vont co-enseigner. Ensemble, elles vont «s’approprier les pratiques et le matériel exploité dans les deux ordres d’enseignement», «ajuster les contenus» lors de rencontres obligatoires. S'il y a deux ordres d'enseignement, c'est donc qu'on devrait reconnaître que chacun a ses spécificités pour le niveau où elles enseignent. Qui va s’adapter à qui? La maternelle devra-t-elle adopter des approches particulières au programme de première année? L'enseignante de première année sera-t-elle prête à adopter des approches de la maternelle en début d'année? L’enseignante de 1ere année fait un suivi des  élèves (on ne dit pas enfants) de la maternelle.  
  2. C’est l’orthopédagogue qui a « le leadership en ce qui a trait aux évaluations » (dont la fréquence et les dates sont prédéterminées) qui établit «des bilans d’apprentissages» «planifie des interventions avec l’enseignante». L’enseignante devra-t-elle obligatoirement adopter les méthodes prônées par l’orthopédagogue?
  3. La conseillère pédagogique qui «ira dans les classes, une fois par mois, expérimenter avec les enseignantes de nouvelles approches issues de la recherche». Ces approches leur seront-elles imposées ensuite? Voir : La recherche en éducation.
  4. La direction qui organisera les horaires de rencontre, une journée d’ateliers d’écriture de contes ainsi qu’en juin, une rencontre avec l’orthopédagogue, les enseignantes de maternelle et de première année pour planifier le plan de transition.
Les enseignantes seront donc très encadrées, pour ne pas dire surveillées, dans leurs façons de soutenir le développement de la compréhension et l’utilisation de l’écrit des enfants. Quelle latitude auront-elles pour enseigner selon leurs valeurs, styles et connaissances?
Tout cela est énoncé sur un ton péremptoire  et non comme des propositions ou suggestions d’idées.
On y parle «d’attentes graduées», de « lignes du temps concernant les attentes», « d’enseignement tantôt ludique, tantôt plus formel», de «carte de sons» (on revient aux flash cards!), de« périodes d’écriture libre inscrites à l’horaire» (pour tous, tous en même temps), de «maintien du calendrier et des «objectifs» ciblés, prédéfinis. Où est le respect du rythme de l’enfant, de l’évolution de son cerveau et de la diversité des parcours? Où est l’enfant?
Enfin, on remarque que dans les partenaires on a complètement oublié les parents!
L’apprentissage de la lecture et de l’écriture est très important, personne ne peut le nier. Cependant, l'ajout à l'horaire d'un temps consacré à des exercices dirigés obligatoires de pré-lecture et de pré-écriture peut mettre en péril le temps précieux et nécessaire qu’on prend pour parler et écouter avec les enfants, pour se raconter des histoires, regarder des livres de recettes, peindre des affiches pour jouer au magasin, le temps de faire semblant d’être lecteur et scripteur dans les jeux inventés par les enfants, les jeux libres, le temps d'encourager les enfants à trouver un sens au langage écrit, ce qu'on nomme "l'émergence de l'écrit".
Personne n’est contre la réussite scolaire, au contraire, cependant le jeu libre est nécessaire au développement d’habiletés, de compétences et d’attitudes pour une transition réussie vers la première année et du succès dans toutes les matières de l'école primaire.
On ne peut être contre toute activité dirigée non plus, elles sont utiles et nécessaires aussi : la causerie, le calendrier et l’ordre des activités de la journée pour construire la notion du temps, notion qui permet à l’enfant de s'orienter lui-même dans le temps, d’anticiper, de planifier lui-même ses projets et les mener à terme, de créer en tenant compte du temps et le matériel disponibles.
Seulement, si l’ajout de trop activités dirigées prennent toute la place, et qu’il n’en reste plus suffisamment  pour les jeux libres, il y a déséquilibre et carences dans les apprentissages. Si, dans certains milieux, l’enseignante au préscolaire se sent en minorité, incomprise de sa direction, des enseignantes de 1ere année, de l’orthopédagogue et autres professionnels qui n’ont pas été formés, ni conscientisés à l’importance du temps consacré au jeu libre pour apprendre à cet âge, cette enseignante au préscolaire risque de perdre, de guerre lasse, son autonomie professionnelle qui lui donne le droit d’utiliser sa formation, son observation et son jugement professionnels pour choisir et doser les activités d’apprentissages selon les besoins de son groupe.
“ (...)une croyance populaire stipulant que le ludique est antipode du sérieux place l’enseignant de la maternelle dans une situation délicate lorsqu’il est appelé à enseigner par le jeu. Au Québec, Lessard et Tardif (2003), soulignent que la «pédagogie du jeu, centrale en maternelle […], apparaît comme un élément de la facilité» (49) et représente un facteur d’exclusion des enseignantes du préscolaire par le corps enseignant de l’école.” Krasimira Marinova

C’est un pensez-y bien, une enseignante avertie, bien préparée, en vaut deux ....




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