dimanche 30 avril 2023

Oui ou Non pour les Jeux de Super Héros? Première partie

  Explorer le concept de POUVOIR avec les enfants

par Anne Gillain Mauffette

 

                                   Ninjas            Power Ranger                         Samouraï                 
Photos Anne Mauffette

 

Introduction

On est tous ambivalents par rapport à ces jeux, souvent basés sur des films ou émissions, où la violence est justifiée par le but (sauver quelqu’un ou le monde).

On est mal à l’aise face à l’usage de fusils (même inventés) et les armes. Les enfants font preuve d’imagination pour en fabriquer.

   

       Un fusil en Duplos.         Avec des cylindres de plastique      Capitaine crochet (un cintre)        
Photos Anne Mauffette    

   

La petite fille a fabriqué une arbalette en « Tinkertoys».    Celui-ci a utilisé le bout d’un bâton de golf.

                                    

Cet enfant a reproduit avec précision les armes de son château Playmobil, me dit-il.

 

On essaie de prôner la non-violence mais on voit bien que les enfants sont fascinés par ces personnages et ont tendance à imiter leurs agissements dans leurs jeux.

Qu’en est-il du développement moral des enfants qui jouent à ces jeux?

Nathan me dit candidement: « Tu n’aimes pas la violence toi, moi oui». Il a bien saisi mes valeurs mais ose affirmer ses goûts (et c’est très bien). Je lui dis qu’il n’aimerait pas recevoir de vrais coups ou se faire blesser mais qu’il aime faire semblant de se battre. Ou regarder des émissions. Mais, il a raison, je n’aime pas la violence : même dans les films, cela me dérange.

Mais est-ce si différent de la violence des contes, recommandés par Bruno Bettelheim, où un parent meurt et se fait remplacer par une marâtre qui veut faire tuer l’enfant, un loup qui avale une grand mère puis est éventré, un ogre qui cherche à manger des enfants, etc.?

Nos attitudes par rapport à ces jeux varient de l’interdiction au laisser-faire, en passant par l’accompagnement. Comme  chacun a des degrés de tolérance différents, cela peut causer des tensions dans des couples ou avec des collègues ou entre les parents et le personnel des milieux préscolaires.

 On a beau se dire qu’il ne faut pas projeter nos idées de la violence, sur le faire semblant des enfants qui n’y attachent pas le même sens que nous, on a quand même peur qu’ils ne se fassent mal, qu’ils apprennent que la violence est un moyen efficace pour régler des problèmes ou avoir ce qu’on veut. On craint qu’ils se désensibilisent à la violence et qu’ils l’utilisent non seulement dans leurs jeux mais que cela ne déborde dans le reste de leur vie. Qu’ils développent des comportements agressifs.

Mais les recherches n’ont pas établi de relation de cause à effet entre les émissions de super-héros et la vraie violence. S’il est vrai qu’après avoir visionné un épisode, les enfants sont excités et se mettent à imiter les personnages, ce n’est que de courte durée : ils se sont identifiés à ces personnages et rejouent la scène, mais cela reste du jeu et n’a pas d’effets à long terme sur leurs comportements dans la vie. Plusieurs études se sont avérées fausses et ont pris des corrélations pour des causalités ou ne se sont pas préoccupés des enjeux socio-économiques et d’autres déterminants. La vraie violence est causée par un ensemble de facteurs complexes.

En fait, dans leurs jeux symboliques, les jeunes enfants commencent par imiter les rôles qui leurs sont les plus familiers : les parents qui cuisinent, bercent les bébés, font les courses, tondent le gazon, conduisent l’auto, vont au travail, vont en vacances, etc.

Puis ils ajoutent des personnages de la communauté qu’ils ont eu l’occasion de voir : restaurateurs, médecins, vétérinaire, pompiers, policiers, paramédics...

Influencés par les histoires et les médias, ils endossent ensuite les rôles de Chevaliers de Pirates, de Rois et de Reines, de Sorcières, de Dinosaures et  de Super-héros. Ces derniers, très prisés des garçons présentent plusieurs aspects qui déplaisent en général aux adultes : énergie débordante et déplacements rapides et bruit. Ils impliquent souvent des fusils ou autres armes pour pourfendre les dragons et autres monstres et « tuer les méchants» et amènent aussi parfois des scénarios répétitifs calqués sur certaines scènes vues. Ils peuvent aussi incommoder certains enfants.

Aussi pour des raisons de sécurité ou pacifistes ou pour favoriser d’autres types de jeux, ces jeux sont interdits dans certains milieux préscolaires.

Pourtant nous savons que le jeu symbolique est la forme de jeu par excellence pour développer de nombreux apprentissages et que c’est à travers les Super-Héros que certains garçons s’y adonnent davantage.


Mais pourquoi les enfants et des garçons en particulier sont-ils fascinés par ces personnages hors normes? Que leur apporte cet imaginaire au niveau émotionnel, social, physique, cognitif? Quels concepts abordent-ils? Quels rôles ces thèmes violents jouent-ils dans leur vie?

Quelles vulnérabilités se cachent sous ce besoin? Quelles fonctions, ces fictions de violence exercent-elles dans leur développement? Pourquoi aiment-ils ce qu’ils aiment?

Pour le savoir, il faut d’abord les observer, les écouter sans jugement, en parler avec eux en dehors du jeu, essayer de les comprendre. Comment se sentent-ils quand ils jouent à ces jeux ? Et comment sont-ils après : apaisés, plus calmes ou encore plus inquiets?      

Quels sont les effets, lorsque ces jeux sont interdits, de cette séparation entre la culture de la garderie ou de l’école et la culture des enfants qui devient « underground»? Que l’intérêt demeure mais qu’il n’est pas partagé et est vécu en cachette?

 

Y aurait-il des avantages à  les permettre, à observer les enfants dans ces jeux et à analyser avec eux les notions sous jacentes à ceux-ci? À discuter des émissions et films qu’ils regardent? À utiliser cet intérêt pour varier leurs représentations et connaissances?              

 

Contributions de ces jeux au développement

Quand on interroge des enfants sur pourquoi ils aiment les Super-héros : un qualificatif est souvent employé : ils sont «forts». Ils nomment aussi des caractéristiques et habiletés hors du commun (ils volent dans les airs, des pouvoirs spéciaux sortent de leurs mains…).

Les enfants choisissent les personnages selon certaines préférences personnelles. Un enfant mentionne : « Je cours vite, j'aime Black Panther  parce qu'il court vite comme moi». Un autre, qu'il «aime Ant-Man parce qu'il est nocturne et qu'il aime la nuit». Un autre les aime «parce qu’ils sont forts et peuvent casser des choses.»

Dans les jeux de Super-héros, les enfants incarnent des personnages et s’arrogent l’espace de quelques moments la puissance de ces héros. Ils compensent pour ce pouvoir qu’ils n’ont pas dans leur vie quotidienne. Ils font semblant d’être quelqu’un qu’ils ne seront, en fait, jamais.

C’est aussi une façon pour eux de combattre leurs peurs. Car les enfants sont, même quand les parents évitent, autant que faire se peut, les occasions pour leurs enfants de voir des scènes de violence et bannissent les fusils, exposés par  les médias et annonces à une violence fictive (Super-héros) ou réelle (la guerre, les tueries dans les nouvelles). L’industrie du film et des jouets sont liés. Il suffit d’entrer dans un magasin de type Toys ‘R’ Us pour constater ce qu’on propose aux garçons et aux filles. Le militantisme pour les garçons et la sexualité et la domesticité pour les filles. On retrouve des Super-héros sur les boîtes à goûter, les pyjamas, etc. Même la restauration rapide avec ses surprises est de la partie.

On sait que les enfants utilisent le jeu pour traiter de sujets qui les préoccupent. Il en va  de même pour la violence. Ils ont donc besoin d’explorer ces forces obscures, de les maîtriser, de contrôler les émotions et l’anxiété que cela crée chez eux, de s’en libérer. Cela leur permet de réorganiser le  monde sous des formes qu’ils peuvent manipuler et de mettre de l’ordre dans leurs pensées. De donner du sens à ce qu’ils voient et entendent. Ils prennent ainsi plus confiance en eux.

Cela leur sert d’antidote en quelque sorte et les aide à faire la différence entre l’imaginaire et la réalité.

C’est aussi une façon pour eux de canaliser leur agressivité refoulée face aux contraintes qu’on leur impose. On demande aux enfants d’être gentils et sages, de faire ce que nous, les adultes, voulons. Ces jeux relâchent leurs tensions. Ils  expriment leur énergie en actes et en mots. Ces jeux peuvent leur servir d’outils pour diminuer leurs stress.  Cela peut les aider dans les moments de transitions difficiles pour eux (passer de la garderie à la maternelle par exemple). Et à faire face à la séparation et gagner en autonomie.

Certains enfants vivent à la maison des situations très stressantes. Le processus de s’identifier émotivement avec un personnage qui  est menacé physiquement et qui prend tous les moyens à sa disposition pour y faire face, peut être thérapeutique pour eux. Cela leur donne le sentiment que malgré tout, eux aussi surmonteront les obstacles.

Les Super-héros fournissent des symboles de pouvoir qui alimentent les jeux symboliques. Malgré la violence, ils sont des modèles d’affirmation de soi, de détermination, de courage et d’altruisme.

Quand les enfants jouent à ces jeux, leurs forces semblent décuplées : ils courent, sautent, donnent des coups de pieds en l’air, grimpent dans les structures de jeu (les accaparant parfois), exerçant un haut niveau d’exercice, nécessaire au bon développement moteur.

Les enfants mentionnent aussi que les Super-héros forment des équipes. Les enfants vont donc collaborer en vue d’un but commun (comme les Power Rangers par exemple).

Il y a une affiliation qui se crée entre les enfants qui connaissent les personnages aimés : cela devient une façon de se faire des amis.

Certains deviennent des «leaders» et quand l’un d’eux est absent, un autre va avoir l’occasion de l’être.

Les enfants doivent négocier bien des choses : quels Super-héros on va imiter, qui peut jouer («Juste ceux qui ont des capes»), qui va être qui. Les Super-héros vont varier avec la nouvelle émission ou le nouveau film paru (Avatar, par exemple). Ils vont aussi décider de l’action. Ils vont apprendre à fonctionner ensemble. Ils inventent leurs propres règles et établissent leurs limites : «C’est pas comme ça qu’on joue aux Power Rangers».

Souvent personne ne veut être «les méchants», certains s’y plient y trouvant un certain leadership ou au moins une place dans le jeu convoité, mais les enfants s’en passent souvent, courant après des personnages imaginaires.

Parfois un enfant s’ajoute et ils doivent alors ajuster les rôles et le scénario.

Ils vont inventer le scénario qui comporte souvent un type de danger : un personnage est pris par les méchants et les autres le délivrent. Ou des personnes sont menacées et ils viennent à la rescousse. Ils vont même jusqu’à faire revivre des personnages qui ont été tués. Cela peut être une copie de parties d’émissions ou de films mais cela peut aussi être une réinterprétation de ceux-ci.

Ils jouent avec les concepts de justice et d’injustice, d’amitiés et d’ennemis, de sécurité et de danger, de guerre et de paix, de solidarité et d’entraide, de vie et de mort, de survie de la planète parfois.

Photo Anne Mauffette

Bien sûr il y a des exclusions (des filles, ou de certains  qui ne connaissent pas bien les codes du jeu, etc.). Mais il y en a aussi dans d’autres jeux, même chez les filles. C’est souvent pour préserver le jeu en cours ou les liens dans le groupe qu’ils excluent.

Il y a aussi le fait qu’il y a assez peu de modèles de Super-Héroïnes et celles-ci sont souvent des subalternes. Elles ont souvent, comme la princesse Leia, besoin d’être sauvées plutôt que présentées comme des femmes autonomes.

Les filles sont capables de s’identifier aux héros masculins.

 Mais quand elles endossent des personnages, certaines ont tendance davantage à intégrer des éléments de la vie quotidienne dans leurs jeux.

Ici, une jeune pirate (impressionnée par Rackam le rouge) incorpore dans son jeu, la dînette  avec ses toutous. Puis  ayant dessiné un drapeau pour son bateau, puisque il n’y avait pas de vent, a préparé une fête pour son mari le capitaine et s’est faite belle. Plus tard, elle a dessiné un bateau inspiré de la scène de l’abordage dans Tintin

 

                        Photos Anne Mauffette

De plus ces jeux exacerbent la séparation entre les filles et les garçons.


Mais n’encourageons-nous pas nous-mêmes parfois ce clivage garçon filles?

Une enseignante avait proposé aux enfants de se déguiser le lendemain : les filles en princesses et les garçons en chevaliers.  Cette petite fille avait demandé si elle pourrait être un chevalier. L’enseignante, surprise, a été demander conseil à une collègue et lui a finalement permis.

Les jeunes enfants sont en train de construire leur identité de genre, ils cherchent autour d’eux des indices de ce qu’est un garçon, une fille et intègrent certains stéréotypes (ou pas) de leur genre. Les garçons  trouvent dans les Super-héros des modèles d’hommes invincibles. Et certaines filles aussi.

 

 

 Bien sûr il y a parfois des conflits et des coups « pas faits exprès»; mais les enfants apprennent ainsi à établir des relations entre leurs actions et les conséquences de celles-ci. Ils apprennent à gérer leur impulsivité et gagnent progressivement en autocontrôle. Surtout si on les encourage : « Je vois que vous faites bien attention pour ne pas vous faire mal».

 Ils doivent aussi apprendre la dimension de leurs corps dans l’espace, à contrôler la latitude et la force de leurs gestes  et à anticiper les gestes de l’autre.

Ils doivent s’exercer à la résolution de conflits et apprendre à pardonner le geste malhabile d’un ami. Ils apprennent à considérer la perspective de l’autre et les règles qui gouvernent les interactions sociales.

L’importance que prennent ces jeux fluctue avec les enfants présents. Certains ne sont pas intéressés, d’autres en parlent mais n’y jouent pas,  certains ne feraient que cela dans les jeux libres et d’autres, moins «obsédés», vont varier davantage leurs jeux surtout s’il y a du matériel intéressant à manipuler.

Si on bannit ces jeux, non seulement on prive les enfants d’un exutoire pour leurs angoisses mais on se prive d’informations sur ce qu’ils voient, ce qu’ils pensent et ressentent et surtout d’occasions de pouvoir contribuer à leur réflexion et décider comment on peut les aider.

Alors, que peut-on faire pour que les enfants profitent des avantages développementaux cognitifs, émotionnels, sociaux de ces jeux tout en s’assurant de la de la sécurité psychique et physique de tous (les joueurs et non joueurs), de leur développement moral et sociopolitique (la paix, la diversité, l’égalité, les droits, la responsabilité…).

Nos actions vont dépendre du groupe et des individus. Chaque parent, chaque éducatrice ou enseignante va adapter ses interventions.

Il y a des enfants que cela rend plus agités et qu’on devra surveiller et aider davantage. Quelques-uns font preuve de plus d’agressivité. On devra parfois leur demander de faire une pause, de changer de jeu. Ils pourront y rejouer plus tard à condition de ne faire mal à personne, que cela reste du jeu.

Il y en a d’autres que ces jeux  insécurisent et qu’il faudra protéger et soutenir. En définissant une aire spécifique et un temps pour ces jeux par exemple.

Dans certains cas, malgré les efforts des adultes de tempérer le jeu, le jeu devra être arrêté et des explications du pourquoi et des alternatives données aux enfants : «Malgré nos efforts, il y en a qui se font encore mal ou qui se sentent menacés ; je dois m’assurer de la sécurité de tout le monde, alors ces jeux ne seront plus permis mais vous pouvez toujours en parler, dessiner vos Super-héros, faire semblant autrement.»

Certaines éducatrices ou enseignantes favorisent le jeu en incorporant des costumes de Super-héros dans leurs déguisements ou des objets pouvant être utilisés à cet effet (capes, etc.) et remarquent que s’ils sont très populaires en début d’année, ils sont moins utilisés en fin d’année.

                Photos Young Children, Juillet 2011

D'autres permettent que les enfants viennent à la maternelle déguisés.

Une des clés pour intervenir est l’observation du jeu des enfants. Est-ce qu’ils sont en train de régler des choses et si oui, lesquelles? Leur jeu est-il une pure imitation répétitive d’un scénario conçu par des adultes ou leur appartient-il? Est-ce qu’il évolue? Est-ce qu’ils y exercent leur créativité? La nature et la qualité du jeu des enfants va déterminer si celui-ci répondra, vraiment ou non, à leurs besoins développementaux.

On va aussi examiner la dynamique entre les enfants. Est-ce qu’il y en a que cela indispose, qui ne se sentent pas en sécurité dans le local ou sur la cour.

Qui initie ces jeux, qui mène le jeu, qui suit, qui est exclu ? À quelle fréquence les enfants s’y adonnent-ils?

Si on veut que le jeu remplisse son rôle au niveau du développement, il faut s’assurer que les enfants soient actifs dans le déroulement des scénarios et ne répètent pas inlassablement les mêmes gestes violents et les aider à élaborer des variations : « Qu’est-ce qui arrive après ceci?»


Pour la suite: Voir Oui ou Non pour les Jeux de Super Héros: Deuxième partie: À la Recherche de Stratégies: des exemples: https://jeulibrequebec.blogspot.com/2023/04/oui-ou-non-aux-jeux-de-super-heros_30.html

Pour voir l'article au complet:https://jeulibrequebec.blogspot.com/2023/04/oui-ou-non-aux-jeux-de-super-heros_5.html

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