Par Anne Gillain Mauffette
Notre
système d’éducation, du CPE à l’école, est basé sur la ségrégation des enfants
par groupes du même âge et sur une série de séparations, puisque les enfants doivent
changer tous les ans d’éducatrice ou d’enseignante.
On pense
qu’en regroupant les enfants par catégories d’âge, cela nous permettra de
proposer des expériences qui vont convenir davantage à tout le monde. C’est
oublier que certains enfants de 4 ans, par exemple, ont plutôt trois ans et onze mois et que d’autres ont réellement 4 ans et plus. Donc certains enfants peuvent
avoir onze mois de différence.
Il faut aussi tenir compte du fait que les enfants n’ont pas le même bagage, pas le même rythme de développement dans différents domaines (moteur, langage, etc.). Bref, les groupes d’enfants, même catégorisés du même âge, seront toujours hétérogènes et nous devrons, de toute façon, adapter les situations proposées au parcours unique de chaque individu.
En fait, les enfants ont tout
avantage à être dans des groupes mixtes, au moins une partie du temps; les petits
apprennent des plus grands qu’ils les observent et imitent. Comme dans une
fratrie.
Photo Roseville Photo Peachtree |
Voir l’article sur le développement moral et de l’empathie :
https://jeulibrequebec.blogspot.com/2024/01/comment-soutenir-le-developpement-moral_7.html
On en trouve des exemples dans les
garderies en milieu familial, dans des écoles Montessoriennes et Waldorf, dans
les écoles de Reggio Emilia. Dans ces dernières, les enfants gardent les mêmes
enseignantes pendant trois ans assurant ainsi une continuité et une cohérence
dans la vie des enfants. Il y en a aussi en Suède et en Australie.
Certaines garderies ou programmes préscolaires, au Canada, utilisent aussi ces modèles de regroupement. Les «Forest Schools», par exemple, ont tendance à adopter cette approche. Celle-ci rejoint les valeurs de la culture autochtone qui est basée sur l’apprentissage par l’observation et la participation avec les aînés.
Quand on parle de groupe d’âge mixte,
il s’agit d’enfants qui ont plus d’un an de différence d’âge.
En Australie, comme la maternelle est de deux ans comme chez nous, les groupes d’âge mixte sont encouragés. C’est plutôt rare dans nos écoles québécoises.
Pourtant, il y a des avantages pour tous
les enfants à vivre plus comme dans une fratrie, avec des enfants aux
compétences différentes.
Avec le temps plus long, passé en
milieu éducatif, hors de la maison et des fratries plus petites, les enfants
ont moins l’occasion de développer certaines habiletés sociales nécessaires
dans la vie, par des contacts inter-âges.
On peut même se demander si on ne
restreint pas le développement des jeunes enfants en les confinant avec des
enfants du même âge.
Lorsqu’on regroupe tous des enfants de 2 ans ensemble, il ne faut pas s’étonner qu’ils rivalisent pour les objets ou même se mordent. Quand on regroupe que des grands, ceux-ci se comparent et il peut s’Installer un climat de compétition entre les enfants.
Les enfants sont conscients des différences et caractéristiques selon les âges et vont adapter leurs attentes.
Les groupes d’âge mixte vont
permettre aux plus petits d’avoir des modèles de comportements, d’être exposés
à des concepts plus complexes par les plus grands. Ils vont constater comment
utiliser les objets disponibles. Les plus grands vont exercer un certain «
leadership» dont ils vont être fiers et développer de la patience pour les plus
jeunes et les aider. Ils pourront constater leurs propres progrès en se rappelant
qu’eux aussi, faisaient ou ne savaient pas faire telle ou telle chose.
Si on regroupe par exemple des enfants de 4 et 5 ans, des enfants de 4 ans plus «avancés» dans certains domaines, vont sans doute se rapprocher des enfants de 5 ans qui le sont un peu moins par rapport à leur groupe d’âge.
Certains enfants qui ont de la difficulté à s’imposer ou à donner leur avis dans un groupe du même âge ou ceux qui ont des difficultés dans certains domaines, vont avoir l’occasion de se révéler auprès des plus jeunes, prendre confiance en eux, puis transposer progressivement leurs nouvelles habiletés avec les enfants de leur âge.
Même si des amitiés se forment entre petits et grands, cela n’empêche pas les uns et les autres de continuer leurs relations avec ceux du même âge qu’eux. Les rapports sont simplement plus souples.
Dans la perspective Vygotsienne
(socioconstructiviste), les enfants apprennent les uns des autres : ils
s’observent, s’écoutent, s’imitent, s’interrogent, suivent, dirigent et
réagissent aux idées des autres.
Dans les groupes d’âge mixte, il y a
une sorte d’étayage des plus vieux envers le plus jeunes à plusieurs niveaux.
On va d’ailleurs encourager les plus jeunes à demander de l’aide aux plus
vieux. Ces derniers vont se sentir compétents.
Les plus grands vont plus spontanément être dans la zone proximale de développement de l’enfant plus jeune qu’un adulte. Ils vont amener les plus jeunes à faire des choses un peu plus difficiles que ce qu’ils feraient seuls. Par exemple :
- Au niveau du jeu, le jeu va permettre à des enfants qui partagent un intérêt de jouer ensemble quelque soit leur âge.
Les plus jeunes vont faire moins de jeu parallèle et ont moins besoin d’être redirigés par l’adulte.
- Au niveau du jeu symbolique, la présence de plus grands va faire que les plus jeunes vont jouer à un niveau supérieur à celui qu’ils auraient pu initier par eux-mêmes, mais dans lequel ils peuvent participer. Les grands vont structurer les rôles pour eux-mêmes et pour leurs partenaires plus jeunes.
- Au niveau de la construction, les enfants plus jeunes observent les stratégies de construction des aînés et les intègrent dans leurs créations.
Nathan a regardé Guillaume construire cette structure (à gauche). Il décide le lendemain d’utiliser les triangles pour la première fois.
Photos Anne Mauffette
Nathan décide de faire une passerelle comme dans la construction de son aîné. Il utilise aussi les éléments décoratifs de l’autre construction (les triangles inversés en appliqués).
-
Au niveau du langage, la diversité va favoriser l’acquisition d’un vocabulaire
plus large chez les plus jeunes et une meilleure compréhension. Les plus grands
vont « contaminer» les petits en leur modelant un langage qui sera plus proche
du leur que celui de l’adulte. Cela va aussi profiter aux plus vieux qui sont
obligés d’expliquer clairement les choses aux petits et expliciter davantage
leur pensée pour se faire comprendre des plus jeunes.
- Au niveau de la lecture : un plus grand peut faire la lecture à un plus jeune, même s’il ne fait que raconter à partir des images. Cela va servir de motivation au grand de savoir vraiment lire et initier le plus jeune au plaisir de la lecture partagée. L’environnement contiendra évidemment un large éventail de matériel pour s’initier explorer les lettres et les mots ainsi qu’une variété d’albums et documentaires.
- Au niveau cognitif, les interactions des enfants dont les connaissances sont assez similaires mais non identiques, amènent des occasions de conflits cognitifs qui vont transformer la pensée des plus jeunes. Ceux-ci vont restructurer leurs compréhensions et les internaliser (accommodation). Les plus grands peuvent servir de tuteurs ou d’experts auprès plus jeunes, ce qui consolidera leurs connaissances et leur estime de soi.
- Au niveau de la notion de conservation par exemple, les enfants plus jeunes qui n’ont pas encore acquis le concept de conservation du nombre, de quantité, de poids, de taille vont par observation ou résolution de conflit cognitif, gagner en conservation, surtout dans le jeu collaboratif.
- Au niveau des comportements, les enfants plus vieux ont tendance à avoir plus de comportements pro-sociaux envers les plus jeunes, qu’avec les enfants de leur âge et montrer plus de signes d’agression avec les enfants du même âge qu’eux. Bien sûr il y aura quand même des conflits à gérer, tant entre enfants du même âge que d’âges différents
- Au niveau de l’autorégulation, il semble que les plus grands auxquels on demande de rappeler aux plus jeunes les règles de vie, s’y conforment davantage, même les plus réticents. Au niveau des consignes et des routines, les plus jeunes vont avoir tendance à suivre l’exemple de leurs ainés.
Beaucoup d’activités se prêtent vraiment bien à des âges différents. Construction, dessin peinture, glaise, sable, eau, rampes, jeux avec la lumière, matériaux polyvalents, jeux extérieurs, etc., permettent des réalisations diverses, à la hauteur des capacités de chaque enfant. Bien sûr il faudra diversifier un peu plus certains jeux du type casse-tête et autres jeux de société, etc., pour s’assurer que le niveau de difficulté répond aux besoins et d’expérience de chacun.
Nous avons vu dans les articles précédents (Les petits en action, Les enfants en action, Les environnements stimulants pour les 4 et 5 ans) que beaucoup de matériaux étaient utiles pour différents âges et que c’est la façon de s’en servir qui changeait. Les matériaux dans l’environnement vont favoriser les échanges et les essais.
La
préparation de la collation, le lavage des tables, le soin à un animal (si on a
la chance d’en avoir), sont toutes des tâches auxquelles des enfants d’âge
différents peuvent participer ensemble.
Les
éléments de la nature
vont fasciner autant les plus jeunes que les plus vieux. Les sorties vont créer
des souvenirs partagés et seront l’occasion d’initier des projets.
Les
projets ont la particularité
de permettre aux enfants de contribuer chacun à sa façon. Toutes sortes de
sujets peuvent être abordés, qui plairont à la plupart des enfants.
L’environnement
extérieur va favoriser
les interactions multi-âges. Le matériel présent va permettre des expériences à
plusieurs niveaux et provoquer la coopération.
Photo Garden Gate
L’aspect
socio-émotionnel est au
cœur de cette approche. On cherche à créer un environnement de coopération accrue et à enrichir les
compétences sociales des enfants. Les grands sont vus comme des contributeurs
et les plus jeunes comme ayant besoin de leur contribution. Leur valeur, leurs
connaissances et habiletés sont reconnues et leur motivation augmentée. Les
grands se sentent plus responsables.
L’observation
des enfants va nous
aider dans la planification de l’environnement et des expériences à proposer
aux enfants selon leurs intérêts et capacités.
La documentation des échanges entre enfants et leurs réalisations va
nous aider dans notre évaluation des progrès de tous. Celle-ci sera descriptive
et partagée avec les parents.
Il y a bien sûr un équilibre à respecter par rapport au nombre d’enfants de tel ou tel âge : si les plus grands sont très nombreux par rapport aux plus jeunes, les plus jeunes peuvent se sentir dominés et si les plus petits sont en trop grand nombre par rapport aux plus vieux, la coopération espérée ne fonctionnera pas.
Un des
avantages des groupes d’âge mixte, c’est que cela favorise un curriculum flexible et la différenciation des
apprentissages et éloigne de l’enseignement systématique formel en grand groupe
qui suppose que tous les enfants sont prêts à apprendre et comprendre quelque chose
au même moment tous en même temps. Car l’enseignement normatif associé aux «
tests», pénalise les enfants qui ne répondent pas aux attentes. On note d’ailleurs une diminution de la
rétention, si difficile pour les enfants et les parents.
Dans les regroupements mixtes, des individus et des petits groupes vont être impliqués dans différentes activités, côte à côte. Les expériences proposée, basées sur les intérêts des enfants et non pas sur leur degré de compétences, vont favoriser la collaboration multi-âge. La composition de ces petits groupes va varier et être fluide.
On peut bien sûr décider de regrouper certains enfants, à l’occasion, pour des enseignements particuliers.
Il semble que lorsqu’on regroupe des 4 à 6 ans, une plus grande variété de comportements va être acceptée par l’adulte. Et les enfants vont être moins stressés. Cela fait des classes plus inclusives.
Il semble que ces groupes multi-âges peuvent avoir un effet thérapeutique pour certains enfants plus jeunes, dits «à risques». D'autre part, des enfants plus vieux, mais isolés, vont trouver du réconfort auprès de plus jeunes.
Plus il y aura un large éventail, de compétences diverses dans un groupe, plus les participants auront d’occasions de développer des relations, des amitiés avec des personnes qui répondent à leurs besoins, les complètent ou y suppléent et qui s’accordent à leurs styles.
La plus grande variation de maturité et d’habiletés va permettre un nombre suffisant de modèles, ce qui fait que presque tous les participants pourront s’identifier à quelqu’un dont ils peuvent apprendre, certains étant du même âge et d’autres non.
Cela vous semble peut-être plus difficile, mais en fait cela ne l’est pas tant que cela, car les plus grands se font souvent un plaisir d’aider l’enfant plus jeune, dégageant ainsi un instant l’adulte d’une tâche. Bien sûr il ne faut pas en abuser.
Les groupes d’âge mixte, provoquent des occasions uniques de développement et d’apprentissages pour tous les enfants. Il y a malheureusement assez peu de recherches récentes précises, sur le potentiel éducatif de ceux-ci.
Ce type de regroupement tient compte du développement inégal des enfants et le respecte.
L’interaction entre enfants aux capacités différentes a des chances de profiter à tous les enfants au niveau affectif, social, intellectuel et académique.
Dans des programmes comme ceux des CPE et des maternelles basées sur le jeu et non pas sur un enseignement didactique rigide, cela est tout à fait possible. Les enfants s’engageront dans les apprentissages comme dans un groupe du même âge mais avec quelques avantages.
Bien sûr, il faudra bien informer les parents des avantages pour leurs enfants d’être dans un groupe multi-âge et rassurer ceux-ci. Souvent ils ont peur que les plus grands ne soient pas assez stimulés ou que les petits soient bousculés par les plus grands.
Imaginez une classe de 4 et 5 ans dans laquelle les élèves restent deux ans avec la même enseignante. À la fin de l’année, les plus vieux vont quitter le groupe pour aller l’année suivante en première année. En début d’année, seulement une partie de la classe est renouvelée par les nouveaux arrivants de 4 ans. Les autres (qui on maintenant 5 ans) sont déjà habitués à vous et à votre fonctionnement. Ils deviennent des exemples pour les plus jeunes et vous avez moins d’enfants qu’il faut apprendre à connaître et apprivoiser.
Cette formule de deux ans permet de mieux connaître les familles et il y a moins de temps perdu à s’apprivoiser mutuellement chaque année.
Qu’on soit en garderie, CPE ou maternelle, si on n’a pas la possibilité ou le désir de transformer notre groupe, on peut sans doute créer des occasions de mixité fréquentes: activités communes, pairage d’enfants plus jeunes et plus vieux (surtout en début d’année) ou sur la cour d’école, visites chez les uns et les autres, sorties, temps de lecture partagée, etc., qui profiteront aux enfants.
Références :
Ce livre et les articles et sites suivants ont été entre autres consultés.
Katz
L.G. Evangelou D. et Hartman J.A. (1990) National Association for Young
Children
Katz L. (1995) The benefits of
mixed -aged grouping : https://files.eric.ed.gov/fulltext/ED382411.pdf
La classe multiage: https://cssenergie.gouv.qc.ca/prescolaire-primaire-et-secondaire/prescolaire-et-primaire/classe-multiage/
Working
with mixed age groups : The Education State : https://www.education.vic.gov.au/Documents/childhood/providers/edcare/Three-Year-Old-Kindergarten-Teaching-Toolkit/Tip-Sheet-6-Multi-age-groups.pdf
Multi-Age Classrooms: A Hallmark of Montessori: https://www.guidepostmontessori.com/blog/multi-age-classrooms-montessori
Agir tôt /Jouer
en multiâge : https://agirtot.org/media/489386/fascicule-jouer-en-multiage.pdf