Par Anne Gillain Mauffette
L’histoire de Boucles d’or et les Trois Ours sert souvent pour illustrer l’ordre de grandeur et la double sériation. Photo Anne Mauffette |
Sommaire:
«Le but de l’éducation
est de développer l’autonomie de l’enfant» Jean Piaget». dans7
Introduction :
Même
les très jeunes enfants développent spontanément des concepts
mathématiques : à quelques mois, ils savent reconnaître visuellement et
auditivement la différence entre des ensembles de deux objets ou de trois
objets.
Tous les enfants acquièrent des notions mathématiques dans leur quotidien (« Je veux deux biscuits» «Il en a plus que moi !») qui sont parfois plus complexes qu’on ne le suppose.
D’ailleurs, le programme cycle du préscolaire québécois affirme que: « l’enfant commence à concevoir des
ébauches de concepts»1.
Il nous rappelle aussi que «les enfants ont besoin de manipuler une variété d’objets qui vont favoriser l’exploration et la construction de concepts».1
Les enfants élaborent des concepts sur les
quantités, les opérations, les motifs géométriques, l’espace, le temps.
Mais
certains enfants ont moins l’occasion d’expérimenter avec certains matériaux
(les blocs par exemple) ou ont moins de conversations impliquant des notions
mathématiques dans leur environnement ce qui nuit à l’acquisition de certains
concepts (ex. les relations spatiales). Il y a donc une très grande variation
dans les connaissances des enfants dans un groupe ce dont il faudra tenir
compte. Nous aurons sans doute à soutenir certains enfants davantage.
Les connaissances acquises peuvent aussi parfois être erronées et l’adulte aura à proposer à l’enfant des situations qui vont l’aider à réfléchir et réexaminer sa conception pour en arriver, peut-être, à une notion plus juste.
Même
s’il n’y a pas de contenu prescrit dans le programme cycle préscolaire
québécois, celui-ci nous donne des pistes pour aider l’enfant à «s’initier à de
nouvelles connaissances liées aux domaines d’apprentissage (mathématique…)»1. (Voir Annexes 1 et 2).
Notre mission reste à la maison, en CPE comme
en maternelle, de prendre les enfants là où ils en sont et de les aider à
élargir leurs connaissances et habiletés.
Comment créer des
environnements qui vont encourager les habiletés mathématiques naturelles des
enfants ?
Comment le jeu, les
matériaux et nos interactions peuvent-ils étayer la compréhension de concepts
mathématiques pour les enfants de 4-5 ans ?
Dans quel ordre les
concepts mathématiques se développent-ils ?
Quels concepts aborder
qui soient appropriés à leur âge ?
Quels sont les
concepts et habiletés de base qui permettront aux enfants de bâtir une solide
fondation pour leurs succès futurs en mathématiques ?
Quelles sont les
activités qui vont le plus aider les enfants à construire et approfondir leur
compréhension des concepts mathématiques ?
Comment fournir les
occasions à chacun de développer ceux-ci à son rythme ?
Autant de questions
que l’adulte (parent, éducatrice ou enseignante) peut se poser.
L’écoute
des conversations des enfants ainsi que l’observation de leurs jeux vont nous
donner de bons indices de ce que les enfants ont compris ou ce sur quoi ils
réfléchissent.
Car leurs jeux contiennent souvent des contenus mathématiques explicites (chiffres, suites, mesures, formes, etc.).
Connaître les possibilités mathématiques des matériaux et identifier les concepts que les enfants « travaillent» nous permettra de planifier des situations et du matériel pour alimenter ou même parfois provoquer leurs questionnements et explorations.
L’efficacité du jeu dans le développement des compétences mathématiques chez les jeunes enfants a été démontré (Edo 2019, Gasteigne 2015, Scalise et Raman 2017, Vogtet al 2018) 5. Le jeu constitue le contexte principal et le plus productif pour l’apprentissage chez les enfants de 4à 7 ans (Van Oers 2012).5 L’enseignement formel ne convient pas aux jeunes enfants (Vogt et al. 2018) et peut même causer de l’anxiété et une faible estime de soi (Gasteigne 2015) 5. Par contre un certain soutien de l’adulte est nécessaire.
Le National Council of Teachers of Mathematics3 insiste sur le fait que les enfants ont besoin de programmes basés sur le jeu et de manipuler afin de développer et approfondirai leurs compréhension des concepts mathématiques. Mais que les enfants ont besoin de l’interaction de l’adulte (dans ou après leurs jeux) pour prendre conscience des aspects mathématiques dans leurs jeux et apprendre le vocabulaire mathématique : « Je remarque que tu as utilisé plusieurs cylindres pour construire ton garage».
Selon Kirova et Bhargava (2000), le rôle de l’enseignante est de guider les enfants dans leurs apprentissages mathématiques alors qu’ils jouent avec des matériaux de tous les jours.
On va donc « partir des actions des enfants dans le jeu pour leur attribuer une signification mathématique et ainsi de faire progressivement émerger une pensée mathématique (Van Oers, 2010)». Il s’agit de «rendre les concepts mathématiques tangibles».5
Cela ne veut pas dite qu’il faille interrompre
continuellement le jeu par des interventions à intentions didactiques, en
posant des questions du type : «Quel est le dinosaure le plus gros ou
combien de dinosaures avez- vous en tout ?» qui risquent de faire cesser
le jeu. Mais bien d’observer le jeu pour planifier les situations futures à
proposer, ou de proposer un certain matériel (« Auriez-vous besoin de ce cube ?»)
ou d’offrir un commentaire. Bref de bien doser nos interventions.
On a parfois tendance à poser des questions du
genre «C’est quoi cette forme ?» «Comment s’appelle cette couleur ?» auxquelles
on aurait eu sans doute notre réponse en écoutant les enfants dans leur jeu.
On peut en profiter après le jeu pour discuter avec eux de certains aspects observés ou proposer une activité (un livre par exemple) en fonction de nos observations.
Pour
identifier et évaluer les apprentissages mathématiques faits à travers le jeu
par les enfants et guider ceux-ci dans l’acquisition des concepts
mathématiques, il faut d’abord connaître ces concepts et la séquence de
développement de ceux-ci.
Rôle de l’adulte
Photo Garden Gate |
L’adulte doit être capable de :
- Reconnaître
ce que les enfants démontrent comme
compréhension de certains concepts.3
Pour
ce faire il est nécessaire que les éducatrice ou enseignantes puissent avoir
développé une connaissance de l’enseignement des mathématiques.
En
observant les enfants au jeu, elles vont se poser les questions suivantes :
-
Quels concepts mathématiques l’enfant démontre-t-il ?
-
Que faut-il faire pour que sa compréhension de ces concepts passe à un autre
niveau ?
-
Quels autres enfants dans la classe en sont au même niveau (afin de
planifier des activités pour ce petit groupe)? 5
Elles
vont aussi avoir des conversations en regard des mathématiques alors qu’ils
interagissent avec leur environnement.
L’enfant a représenté spontanément une petite construction. Elle en reproduit exactement la forme 3 D en 2D. Elle dessine les faces qui sont devant elle. Les cubes deviennent des carrés. Elle a dénombré exactement le nombre de blocs
Photo Garden Gate
2. Apprendre à utiliser le langage pour guider les enfants dans leur construction de concepts mathématiques.3
L’éducatrice/enseignante est non seulement le facilitateur qui crée un environnement qui est riche en possibilités de découvertes mathématiques et qui pose des défis aux enfants, mais elle interagit avec l’enfant à propos des concepts mathématiques émergents observés dans le jeu « libre» des enfants. Elle discute de grandeurs (petit, moyen, grand) d’ordre (qui est le premier, le deuxième, le dernier). Le langage permet l’acquisition de nouvelles informations et soutient l’appropriation d’idées et processus complexes. Des questions ouvertes peuvent encourager la pensée : «Je me demande ce qui arriverait si ?» peut attirer l’attention des enfants vers de nouvelles façons de penser.
Plusieurs
chercheurs soulignent que l’adulte ne doit pas mettre l’accent sur la bonne ou
souligner la mauvaise réponse. Mais utiliser celle-ci pour proposer des
situations qui vont faire réfléchir l’enfant et stimuler le développement de
ses structures mentales logico-mathématiques.
Il va aussi laisser les enfants qui ne sont pas d’accord discuter entre eux, et étendre ainsi leur raisonnement. Les interactions sociales à travers les jeux de groupes sont une excellente source de construction de nouvelles idées mathématiques et peut amener les enfants à faire de nouveaux liens. Cela les amène à être plus indépendants et à ne plus se fier uniquement sur l’adulte pour des réponses.
Pour
faire passer des enfants d’une compréhension perceptuelle ou comportementale à
une représentation mentale ou symbolique, il faut donc non seulement organiser
l’environnement mais interagir avec eux.
Les
enfants qui jouent avec un partenaire plus avancé apprennent de leur pair
(comment compter, avancer un pion, etc.).
- Connaître le potentiel mathématique des différents matériaux, situations et expériences qu’on peut proposer aux enfants.3
L’adulte va inventorier le matériel qui existe et juger de sa pertinence en regard d’où en sont les enfants et chaque enfant. Il va créer des expériences et fournir du matériel qui va confronter l’enfant avec des problèmes mathématiques qui vont éveiller l’esprit mathématique de celui-ci.
Exemple:
«
Comment faire quand il n’y a plus de grands carrés pour faire ma construction»
Cet enfant a vite compris que quatre petits carrés pouvaient remplacer un grand carré dans sa construction Décomposer/composer.Il utilise aussi les triangles inversés pour compléter celle-ci.
Ce matériel permet de composer toutes
sortes de structures en aplat comme en 3 D. Les enfants vont jouer avec et
nommer les formes utilisées, les combiner de manière complexe et créative. Ils
vont résoudre des problèmes et trouver des solutions.
4. Apprendre à identifier
les compréhensions de concepts mathématiques des enfants.3
Les
expériences d’apprentissages proposées seront basées sur la séquence de
développement des concepts mathématiques, elles tiendront compte du stade
actuel de la compréhension des enfants et assureront des occasions d’étendre
celle-ci.
L’observation
est le moyen par excellence pour constater les actions et réflexions des
enfants par rapport aux concepts
mathématiques et le jeu le contexte le plus favorable pour le faire.
Exemple :
L’enfant est capable de représenter un espace,
la place des objets dans cet espace. Elle fait preuve de notions et d’organisation
spatiales. Elle a le sens de l'échelle.
Une meilleure connaissance des concepts clés, des faits, des processus et principes qui y sont liés va permettre à l’adulte de mieux intervenir.
- Savoir
documenter les apprentissages mathématiques faits par les enfants et les
rendre visibles à ceux-ci.
La
documentation est un outil puissant pour rendre les enfants conscients de ce
qu’ils apprennent dans leurs jeux. Les photos, les enregistrements, les notes,
quand elles sont partagées avec eux deviennent une occasion de langage
mathématique partagé et un enrichissement en soi pour tous les enfants. Elle
donne aussi une vision concrète de la progression des enfants.
Cette documentation peut servir d’évaluation car les « tests» existants sont de peu d’utilité.
Exemple
de documentation :
Zoé décide de faire un bricolage. Elle trouve un carré de papier puis en prend un autre et découpe un triangle qu’elle colle sur le carré. Elle dessine sur une feuille des volutes de fumée et les découpe puis les colle sur la maison. Elle dessine ensuite des fleurs qu’elle rajoute de chaque côté avec du papier collant. Elle prend soin de mettre du papier collant à l’endos pour que cela ne colle pas.
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