samedi 18 octobre 2025

Les conditions qui vont nuire au développement des enfants et leur cerveau: Troisième partie

La banalité des stress quotidiens à la maison, en garderie ou CPE et à l’école




« L’enfant dans une journée peut subir une multitude de petits stress. Dès le matin, les parents sont pressés et répètent : dépêche-toi… 5 p.179». « Les enfants vivent pleins de situations stressantes (reproches, etc.) qui, prises isolément, peuvent paraître banales, mais leurs accumulations et répétitions peuvent fragiliser l’enfant. 

Gueguen qualifie tous ces gestes, ordres, altercations, dépréciations, etc. de « violence éducative ordinaire ». Celle-ci peut « détériorer de façon durable la relation… ». « L’enfant se sent harcelé, sous pression, incompris. La tristesse, la peur, l’angoisse l’envahissent. » « Le parent pense parfois que l’enfant a un trouble de caractère qu’il est capricieux… ». « Il perd patience, s’énerve de plus en plus contre lui ce qui accroit ses difficultés avec lui. » « Au stress familial s’ajoutent souvent des situations anxiogènes en dehors de la famille…à l’école 5, p.180». 

« L’éducation par la peur est très nocive. Elle prend deux visages. L’adulte peut être celui qui provoque la peur s’il menace, « fait les gros yeux », crie, frappe. Mais l’adulte peut être aussi celui qui a peur en permanence et transmet cette inquiétude à l’enfant4 p.182 ». « Punir l’enfant, lui faire peur est nuisible et provoque chez lui la crainte de l’adulte et non son respect. » « Les conflits à la maison peuvent être une grande source de stress pour l’enfant… La manière dont les conflits se régulent dans la famille influence fortement les comportements de l’enfant dans ses propres relations actuelles et futures 4 p. 185 .

  • La violence éducative ordinaire
« La violence éducative ordinaire (…) consiste à faire usage de la contrainte physique ou psychique pour obtenir (ou tenter d’obtenir) d’un enfant, un résultat, soit quelque chose à faire (ou ne pas faire) quelque chose à dire (ou ne pas dire) ou une attitude à prendre (ou ne pas prendre). 

Elle est utilisée la plupart du temps avec les meilleures intentions : elle est l’expression du besoin de transmettre aux enfants des valeurs comme la discipline personnelle, le plaisir de l’effort vers un résultat, l’apprentissage, la coopération (etc.). Les personnes qui en font usage sont simplement dans l’ignorance d’une part des processus de croissance du cerveau et d’autre part qu’il y a bien d’autres façons d’accompagner les enfants dans cette voie et notamment qu’on peut éduquer dans la bienveillance. (Elles) sont également dans l’ignorance que leur modèle d’éducation est contreproductif : il crée exactement l’inverse de ce qu’ils veulent 5, p. 14 ».

La culture de la performance

« (Les enfants) doivent apprendre rapidement et devenir performants 6, p. 73 ». « Performance et épanouissement sont des notions contradictoires (Anthier)6, p. 91 ».

« Demander à nos enfants d’être performants …cause souvent de grands déficits de l’estime de soi 6, p.55 »». « Si vous envoyez (un jeune enfant) dans une maternelle qui l’expose à la compétition et l’évaluation en permanence, vous engendrez la crainte qui génère une aversion pour le risque 8, p. 75 ». 

« Le stress de performance découle souvent d’une peur de ne pas être assez ceci ou cela 2, p.310 ». « On se centre sur la performance scolaire sans se questionner sur l’ensemble des facteurs contribuant à l’épanouissement optimal des enfants. Pourtant l’épanouissement et l’implication sociale d’une personne requièrent qu’on s’adresse à 4 dimensions -physique, affective, sociale et cognitive- dans les interventions qu’on lui propose pour développer ses compétences et ses habiletés ». Et « le développement affectif est à la base de tout espoir de voir l’enfant conquérir la vie, le monde ». « Mais les affects sont difficiles à quantifier 8, p. 17 ».

Scolarisation précoce et enseignement formel précoce de type académique




« Les politiques ont placé l’apprentissage précoce en tête de leurs priorités… ». « Mais les enfants sont-ils réellement prêts? Pourraient-ils sauter des étapes, ce qui, plus tard, les conduira à l’échec scolaire par manque de vécu? 5, p. 14 2, p. 247 ». « (Ces) apprentissages précoces portent-ils fruits à long terme? 

Eh bien non…le fait de franchir précocement une étape d’apprentissage ne garantit pas pour autant la réussite scolaire ultérieure. 

Une étude menée à Philadelphie (entre autres) a révélé que vers 6-7 ans, on ne peut pas déceler de différences tangibles dans les résultats d’enfants issus de maternelles traditionnelles et de maternelle pratiquant des méthodes plus souples basées sur le jeu ». La seule différence : une plus grande anxiété et une moindre créativité chez les enfants ayant fait l’objet d’un apprentissage très dirigé. 8, p.84 » 

« Alors que beaucoup de gens pensent que la meilleure des préparations pour l’école consiste à connaître les lettres, les chiffres, les formes et les couleurs 8, p.84 » …, « les scientifiques s’accordent à dire que l’apprentissage de la lecture a de meilleurs résultats autour de l’âge de 6 ans quand les enfants ont plus de facilité à appréhender les notons abstraites… » 

« Un apprentissage prématuré des bases pourrait même les dégouter d’apprendre, les rendant moins aptes à une future scolarisation 8 p.85». Il faut « libérer les enfants de la tyrannie d’un apprentissage trop formel 8, p. 8 8 ». « Il faut donner aux enfants du temps et de l’espace 8, p.99». « La sur stimulation cognitive des enfants en bas âge peut avoir des effets pervers. Non seulement l’enfant acquiert des concepts théoriques détachés de l’expérience sensorimotrice, mais le temps consacré à cette forme de stimulation peut les rendre plus fragiles tant sur le plan émotionnel que psychomoteur. » On peut « s’interroger sur l’utilité de savoir compter jusqu’à dix, vingt ou cent en bas âge, alors que l’enfant a besoin de manipuler pour intégrer les nombres 3, p. 102 ».

La tâche de lui faire « prendre de l’avance dans ses apprentissages », le fait souffrir et cette intention est vouée à être contre-productive à long terme 6, p.58».

« La maturité psychologique de l’enfant s’exprime par la capacité de se distancer de l’action pour penser, ce qui devient possible généralement vers 7ans, et rend l’enfant disponible pour les apprentissages académiques 1, p.17 ».

Le concept de «préparation»

« À force de se préparer à vivre une étape de vie, on risque de ne plus rien vivre du tout 6, p.57». On risque de « priver le présent de sa magie 8, p.323 ».

« Une vision trop axée sur l’avenir des enfants (fait qu’on) oublie de nourrir leurs capacités et intérêts du moment. La période de l’enfance n’est pas qu’une période préparatoire; c’est une étape aux caractéristiques particulières, unique et précieuse, valable en soi qu’il faut apprécier pour ce qu’elle est », la respecter, la préserver » (Gueguen). « Nous ne préparons pas des enfants, nous facilitons leur croissance naturelle » (Tom Drummond), « nous participons à la transformation des êtres» (Jacquard).

Dépistages et évaluations




« Ce qui compte ne peut pas toujours être compté et ce qui peut être compté ne compte pas forcément 
William Bruce Cameron Cameron, pages 4 et 13».

« Les écoles sont de plus en plus animées par la volonté d’effectuer du dépistage et les psychologues scolaires sont contraints de faire de la psychométrie, car certains diagnostics permettent soit la médication, soit plus de subventions pour l’école2, p. 221 ».

Les enfants « sont-ils trop rapidement étiquetés, stigmatisés par des comportements qui ne correspondent pas aux attentes sociales? » « On peut s’inquiéter que le message envoyé à ces enfants soit plus proche du règlement d’une défectuosité que de son individualité ». « Le processus de dépistage d’un trouble permet d’orienter les interventions. Toutefois, ce processus induit aussi de dommages collatéraux1, p. 29 ». « Combien d’enfants sont meurtris par les diagnostics qu’on leur sert en pâture ». « Souvent le diagnostic réduit les rêves et l’estime de soi, et ce, même si la médication aide à la réussite scolaire 2, p. 220 ». « Il faut être très prudent avec les diagnostics, les étiquettes et leurs interprétations ». « Les indices sont-ils seulement valides? 3, p.183 ». « L’impulsivité n’est pas une trace de maladie mentale, surtout chez un jeune enfant qui est encore contrôlé par ses affects et ses réflexes de survie3, p.189».

On confond souvent « l’attention avec la concentration, la distraction avec le déficit d’attention, l’hyperactivité et la sur réactivité causée par l’anxiété trop envahissante, l’hyper vigilance et la curiosité, l’Impulsivité et la désorganisation régulière, le manque d’intérêt ou de motivation et le TDAH…3, p. 17 ». « Les tests psychométriques ne tiennent pas compte du contexte dans lequel apparaissent les comportements. » (Ils) donne(nt) tellement peu d’informations sur les habiletés et sur l’autonomie; il(s) mesure(nt) des déficits 2, 195 ». « La durée de ces évaluations formelles apparait souvent trop longue pour des enfants qui se fatiguent vite » et ne se passent pas toujours dans des conditions favorisant leur validité donc leur utilité: personnes étrangères à l’enfant, local non familier, dans des corridors.

La médicalisation 

« En médicamentant de plus en plus les enfants, est-ce qu’on cherche des résultats rapides, sans remettre en question le milieu d’accueil de ces enfants? 1, p.31». « L’adulte voit-il les enfants comme ils sont ou est-il préoccupé à opérer rapidement et à performer dans le faire pour qu’ils rencontrent dès que possible les normes sociales? » « On les maintient dorénavant assis sur une chaise par le biais d’une solution chimique qui entrave le développement de leur cerveau, de la créativité et du Soi 6, p. 483 ». « La médication court-circuite autant l’apprentissage de la gestion du stress que celui des tâches scolaires, car une mémorisation efficace repose sur les émotions ressenties pendant le processus d’acquisition de connaissances 2, p. 198 ». De plus, « une médication permettra (peut-être) d’améliorer l’estime de soi du point de vue scolaire, mais qu’en est-il de son ressenti? 1, p.30». 

« Et si ces comportements dérangeants étaient la seule solution que (les enfants) aient trouvée pour montrer leur désaccord avec le fonctionnement de la classe ou de la famille». « Serait-il possible qu’ils finissent par développer des comportements dérangeants parce que l’adulte n’écoute pas leurs besoins? 1, p.29». Est-ce qu’on cherche à faire disparaître les différences par commodité? ». « La perspective pharmacologique s’impose progressivement comme remède à tout comportement hors norme 3, p.122». 

L’uniformisation des enfants 

« Qu’est-ce que la normalité? » « Qu’est-ce que cela veut dire; « bouge plus que la normale », « est plus distrait que la normale.» Bien souvent (la définition de la normalité) se fait au mépris des singularités, des cultures, des lieux de vie… 2, p. 245 ». « Dans un monde où on formate de plus en plus les individus, la différence est-elle encore de mise? 3, p. 12». « Si on commençait par cesser de vouloir faire entrer les enfants dans le même moule » 1 p.102. Et de vouloir travailler comme s’il n’y avait pas de différences entre eux. 

L’uniformisation des pratiques 

Cette tendance fait fi des différences d’âges et individuelles de tous ordres à même une classe et selon les milieux d’origine et de l’école. Elle nie le fait que les enfants n’ont pas le même bagage et n’apprennent pas au même rythme. Elle brime à la fois ceux qui savent déjà et ceux qui ne savent pas encore. Elle ne se base pas sur ce que chaque enfant est capable de faire ou sa zone de développement optimal, mais sur une norme définie à l’extérieur de la classe par des personnes ne connaissant pas ces enfants-là et ne tenant pas compte de leurs réalités et intérêts ou défis particuliers. Elle a comme conséquence de catégoriser les enfants (satisfont aux ou dépassent les exigences=bons, ne satisfont pas= à risque ou en échec). 

Ceci peut amener une dévalorisation de certains, et une forme de ségrégation et, au pire, mener à l’exclusion. 


L’exclusion 

« Se sentir exclus active une structure cérébrale (cortex cingulaire antérieur) et produit une grande souffrance. Le rejet et la peur d’être rejeté est une des principales causes de détresse chez l’humain 4 p 67 ». 
 

Conclusion



Tous ces facteurs peuvent influencer négativement le développement de l’enfant et de son cerveau. Mais on peut intervenir positivement dans son évolution, d’abord en l’accueillant comme il est, en l’écoutant, en « participant à sa métamorphose » (Jacquard, 2006, dans Mon Utopie), en créant un contexte propice. 

Ces façons d'intervenir ont été abordées dans : Les conditions qui favorisent le développement de l’enfant et son cerveau. 
Voir
https://jeulibrequebec.blogspot.com/2025/09/quest-ce-qui-favorise-le-developpement.html

Références

Ce texte est un montage d’extraits et de citations, regroupés par thèmes, tirés des lectures suivantes :
  1. Monzée Joël (2014) Soutenir le développement affectif de l’enfant, CARD.
  2. Monzée Joël (2016) J’ai juste besoin de votre attention : Aider l’enfant et l’adolescent aux prises avec l’anxiété et le stress, Le dauphin blanc. 
  3. Monzée Joël (2014) J’ai juste besoin d’être compris : Comprendre les comportements dérangeants chez l’enfant et l’adolescent. Le Dauphin Blanc.
    3b. Et si on les laissait vivre : Accompagner avec bienveillance les enfants et les adolescents. Le Dauphin Blanc, 2018.
  4. Gueguen Catherine ( 2015) Vivre heureux avec son enfant, 2015, Robert Lafont (Pocket) ; 
  5. Gueguen Catherine (2014) Pour une enfance heureuse : Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau, Robert Lafont ( Pocket ) 
  6. Proulx Chantal (2015) Plaidoyer pour une enfance heureuse, Éditions du Cram, 2015 
  7. Richard House (2011) «Too Much too soon? Early learning and the erosion of childhood, Hawthorn Press, Early Learning Series.
  8. Carl Honoré (2008) Manifeste pour une enfance heureuse, Marabout.
  9. Drummond, Tom (2002) The words we use (conversations dans le                           groupe REGGIO L).
  10. Browne KD., Hamilton-Grachritsis C. (2005) The influence of violent media on children and adolescents: a public health approach, The Lancet (365) 702 -710 
  11. American Academy of Pediatrics (2000) Joint Statement on the Impact of Entertainment Violence on Children, Congressional Public Health Summit July 26.
  12. Yogman M, Garner A, Hutchinson J et al, American Academy of Pediatrics Committee on Psychosocial Aspects of Child and Family Health, AAP Council on Communications and Media. The power of play: A pediatric role in enhancing Development in Young Children, Pediatrics 2018: 142(3): e20182058
  13. Cameron, William Bruce (1963) Informal Sociology, a casual introduction to sociological thinking, Page 13, Random House, New York. Fifth printing, January 1967.

Note: Certains passages ont été écourtés et des liens ont été créés entre eux pour faciliter la lecture. Quelques ajouts ont été faits pour commenter ou compléter certaines entrées. Les soulignés ainsi que les caractères gras dans le texte ont été ajoutés.



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