Par Ninon Denommée en collaboration avec Mélany Cannavino
Ce récit de pratiques témoigne de situations vécues durant toute une année scolaire en classe de maternelle 4 ans. J’ai eu la chance d’observer, régulièrement, pendant l’année scolaire 20152016, dans la classe de Mme Mélany Cannavino, enseignante à l’école La Source de la Commission scolaire des Draveurs à Gatineau.
L’intention de ce projet était de porter un regard sur l’enfant qui grandit en classe de maternelle 4 ans, donc sur ce qu’il y fait, ses réactions, ses interactions, ses choix d’activités, etc. Je me suis aussi intéressée aux interventions effectuées par l’enseignante pour répondre aux besoins et aux demandes d’un enfant ou de tout le groupe et soutenir le développement global des enfants.
J’occupais donc une position d’observatrice qui me permettait de regarder, de façon très ouverte, ce qui se vivait en classe durant l’avant-midi et de noter tout ce que je voyais.
En début d’année, je ne connaissais pas du tout les enfants du groupe, mais j’avais fait connaissance avec l’enseignante dans le cadre des formations et des activités de soutien proposées lors de l’implantation des maternelles 4 ans dans son milieu. C’est avec son accord et l’autorisation des parents que le projet a débuté.
Ce récit de pratiques n’est pas une recherche basée sur une approche scientifique de collecte de données, mais un témoignage reposant sur des faits réels observés à différents moments, pendant l’année scolaire, dans la classe de maternelle 4 ans.
J’ai choisi de raconter l’histoire des enfants et de leur enseignante à partir du début de l’année, en décrivant des situations bien réelles et en y intégrant des réflexions qui découlent surtout des interventions privilégiées par l’enseignante.
La lecture du récit nous permet de réaliser à quel point l’accueil de l’enseignante en début d’année est important. Cela génère une multitude de petits gestes et de mots essentiels et déterminants pour établir, d’abord et avant tout, un lien de confiance avec les enfants et les parents. C’est aussi installer une routine sécurisante qui permettra aux enfants de se créer des repères et d’apprivoiser ce nouveau milieu de vie.
En lisant ce texte, vous aurez l’occasion de connaître Chrystal, Danyk, Alex, Gédéon, Garvens, Zaynab, Xavier, Gabriel et bien sûr Mélany. Les éléments retenus se sont inscrits naturellement au fil du temps pour ces merveilleux enfants qui ont grandi sous le regard bienveillant, avec la complicité et l’engagement de leur enseignante.
Bonne lecture!
La rentrée scolaire est toujours le début d’une aventure qui se définira d’abord à partir d’une relation entre un enfant et son enseignante ainsi qu’avec les autres enfants du groupe. Tout est à créer.
Les premiers jours sont teintés de la fébrilité de l’inconnu. Pour un enfant de maternelle 4 ans, c’est probablement la première séparation d’avec son milieu familial. C’est la rencontre d’une enseignante qu’il ne connaît pas encore, ou si peu, mais qui, à partir de maintenant, devient son adulte de référence. C’est aussi la rencontre d’autres enfants qui lui sont inconnus, mais avec qui il partagera désormais ses journées. C’est la découverte d’un milieu de vie complètement différent de la maison avec ses codes, et ses règles à respecter. Ce sont aussi des cloches qui sonnent trop souvent, des messages qu’on entend partout, par exemple dans les corridors ou et dans la classe, et qu’à 4 ans on ne comprend pas vraiment, de même que des endroits à reconnaître, surtout la classe, les toilettes, le vestiaire, le bon crochet, etc. De gros défis!
Pour l’enseignante, cela demande une grande disponibilité pour accueillir ces petits qui arrivent. Elle doit être présente et à l’écoute, les rassurer, apprendre à les reconnaître et à les connaître rapidement. Elle doit être prête, confiante, organisée, attentive, répondre aux questions et aux demandes, consoler, amuser, piquer la curiosité, être partout, ne rien oublier et surtout donner le goût aux enfants de revenir le lendemain. Tout un défi également!
SEPTEMBRE
Mélany, souriante, est à l’extérieur tôt le matin pour l’arrivée des enfants et de leurs parents. Tous les enfants entendent « Bonjour! » et chacun a droit à un petit mot personnel. Ceux qui le souhaitent reçoivent même un câlin : « Tu as bien un beau sourire ce matin! » Mélany discute avec les parents qui sont là, leur parle de son propre fils, fait des blagues avec eux. Les échanges sont joyeux. Mélany me dit que cela permet de tisser des liens avec les parents, qui, en début d’année, sont stressés et inquiets par rapport aux attentes de l’école.
C’est la relation enfant-enseignante-parent qui se bâtit. Il importe de créer des liens de confiance avec les enfants et les parents pour installer un sentiment de sécurité.
Rendus à l’intérieur, les enfants reconnaissent leur crochet au vestiaire, se déshabillent, entrent dans la classe et vont jouer.
Chrystal est toujours assise sur le banc, au vestiaire, et commence à peine à se déshabiller, car elle regarde les classes de grands qui passent en rangs dans le corridor l’une après l’autre. Mélany sourit à Chrystal et lui dit : « Bon, là, je range mes choses pour être prête à entrer dans la classe. » Mélany n’adresse aucun commentaire direct à Chrystal à l’exception d’un sourire bienveillant. Chrystal se remet en action, finit de ranger ses effets personnels et entre finalement en classe.
C’est choisir entre l’efficacité et la rapidité à tout prix ou permettre à l’enfant d’apprivoiser son nouvel environnement et être là pour lui.
Une petite comptine se fait entendre, invitant les enfants à ranger les jeux et à venir s’asseoir au tapis pour l’activité du calendrier : Nommer l’ami du jour. Les enfants répondent bien à la demande. Les consignes sont simples. Pas de place assignée, pas d’obligation d’être assis parfaitement. L’important est d’être là, d’écouter, de regarder le calendrier pour situer la journée. Danyk, qui n’a pas encore 4 ans, est assis juste devant Mélany et regarde avec attention, la bouche grande ouverte, tellement concentré qu’il en a les yeux mouillés. Mélany me dit : « Installer une routine, ça prend du temps, de la complicité. »
Instaurer progressivement les règles de vie de la classe tout en reconnaissant que les enfants ont d’abord et avant tout besoin d’être rassurés.
Cette activité de groupe est aussi l’occasion de se parler, de se raconter des choses de la maison. Un enfant revient sur le fait que Mélany était absente hier, en venant montrer la journée sur le calendrier, parce que son fils est allé à l’hôpital. Mélany raconte qu’il s’est blessé au hockey et profite du moment pour demander aux enfants s’ils connaissent ce sport. Certains racontent ce qu’ils ont déjà vu à la télévision et Mélany leur parle de patins, de glace, etc., cherche des images à montrer sur le tableau numérique interactif (TNI) et explique que les lames du patin glissent sur la glace. Ils regardent une vidéo, puis Mélany les invite à patiner à leur tour. Tout le monde se lève et patine dans la classe comme sur la glace. On a besoin de patins? Pourquoi pas des feuilles à recycler? On les fait glisser sous nos pieds. C’est le moment de travailler la motricité globale.
Partager son histoire pour créer des liens et profiter de toutes les occasions pour découvrir, connaître, nommer, exprimer, bouger, faire semblant et s’approprier.
Aujourd’hui, les enfants ont une période d’éducation physique avec M. Maxime. En ce début du mois de septembre, Mélany les accompagne pour les aider à se familiariser avec ce nouveau lieu, immense pour un petit de 4 ans, qu’est le gymnase et une nouvelle personne, de nouvelles consignes, de nouveaux jeux. Cela fait beaucoup de nouveautés.
Pour Mélany, cette démarche est nécessaire pour faciliter la transition, répondre aux besoins des enfants les plus fragiles. C’est aussi l’occasion d’observer les enfants dans cette période d’appropriation.
En me déplaçant vers le gymnase, je remarque Alex, qui est le seul à avoir apporté son sac à dos. En arrivant au gymnase, les enfants sont joyeux et le manifestent en courant vers M. Maxime. Alex, lui, va s’asseoir sur un banc le long du mur et, tout en gardant son sac sur son dos, observe les autres enfants. Aucune demande ni aucune exigence n’est formulée par les enseignants envers Alex. De temps en temps, Mélany vient s’asseoir près de lui, lui sourit et lui parle avec douceur de l’activité en cours. Puis elle retourne se joindre au groupe pour revenir vers Alex un peu plus tard. Alex est le seul enfant assis, mais il n’est pas retiré. Il est là et il apprivoise son nouveau milieu à son rythme.
Mélany me raconte que les premiers jours en classe ont été très difficiles pour Alex : il pleurait beaucoup et n’acceptait pas de se séparer de son sac à dos. Mélany le sentait inquiet et comprenait que son sac à dos était un peu sa maison ou sa famille qu’il gardait près de lui. Elle a donc accepté, même si, dans la routine du matin, les enfants apprenaient à déposer leur sac à dos à leur crochet, qu’Alex garde le sien jusqu’à ce qu’il se sente prêt à suivre la routine comme les autres. Cela a été expliqué aux enfants. Ainsi, quelques jours plus tard, Alex a cessé de pleurer et, après un certain temps, un bon matin, il est allé déposer son sac à dos à son crochet. Par contre, il ressentait encore le besoin de le prendre quand il se trouvait ailleurs que dans la classe comme dans la cour ou au gymnase.
Reconnaître les besoins des enfants et leurs manifestations d’insécurité, être là pour rassurer, mettre en place une routine sécurisante, c’est aussi cela, accueillir des enfants en maternelle 4 ans.
De retour dans la classe, les enfants choisissent un jeu et s’installent pour y jouer. Chrystal ne touche pas vraiment au jeu qu’elle a choisi. Elle regarde attentivement les autres enfants autour d’elle. Alex suit Mélany partout dans la classe. Elle va vers les enfants et s’assure que tout va bien. Danyk, quant à lui, se tient immobile et regarde partout la bouche grande ouverte. Tout à coup, on l’entend appeler d’une voix inquiète, presque paniquée : « Madame Mélany? » Il se retourne et la voit au même moment. Elle lui sourit et il est rassuré : « Je ne savais plus où tu étais. » Mélany décide de sortir un jeu de son armoire et va s’asseoir. Alex et Danyk sont là. Mélany commence à jouer, Alex et Danyk aussi. Après un certain temps, Mélany se lève pour aller rejoindre d’autres enfants. Alex et Danyk poursuivent le jeu encore un peu.
Être présente dans l’action, toujours pour rassurer, mais aussi pour ouvrir vers l’expérience nouvelle sans rien imposer et en laissant le temps à l’enfant de faire confiance.
Mélany chante une petite chanson qui annonce la fin des jeux : c’est le temps de ranger. Sur le tapis, des blocs d’une construction sont toujours là. « Ce n’est pas moi, c’est lui. » « Non, ce n’est pas moi, c’est lui. » Mélany commence à les ranger; des enfants viennent l’aider. Tous se retrouvent sur le tapis. Mélany tient un lapin en peluche. Elle le met près de son oreille et dit aux enfants : « Il veut me dire quelque chose. Il me parle en lapin. Il dit qu’il a un problème, qu’il a besoin d’aide, qu’il a besoin d’idées pour trouver une solution. » Les enfants écoutent en silence. Danyk a toujours les yeux mouillés et la bouche grande ouverte. Mélany leur demande pourquoi Lapin dit qu’il a besoin d’aide et d’idées. Les enfants répondent que c’est parce qu’il est trop petit, qu’il n’est pas capable, que c’est trop difficile. Mélany fait tout de suite le lien avec les blocs qui n’étaient pas rangés, qu’il y avait un problème à régler, qu’on avait besoin d’aide pour trouver une solution. Elle demande ce qui est arrivé. La solution était de ranger ensemble. Donc, quand on a un problème, qu’on a besoin d’aide, on le dit et on trouve une solution. Mélany a profité d’une situation réelle non pas pour culpabiliser les enfants qui n’avaient pas rangé, mais pour revenir sur une pratique gagnante sans nommer personne et en intégrant Lapin, qui avait aussi un problème.
Impliquer les enfants dans la démarche d’appropriation des règles de vie, c’est aussi partir de ce qu’ils vivent pour proposer des choix d’actions positives et rassurantes. C’est installer un sentiment d’appartenance au groupe « ensemble ».
L’avant-midi s’achève. Il fait beau; on va jouer dehors. Alex apporte son sac à dos. Les enfants s’amusent dans le sable, les modules de jeu et les balançoires. Ils se retrouvent en trois groupes, mais jouent l’un à côté de l’autre, sans plus et sans conflit. Mélany est présente, se promène, leur sourit. Des petits viennent spontanément lui faire un câlin ou se rapprochent simplement avant de retourner à leur jeu. Les enfants sont calmes et actifs. Ils sont bien.
Fin septembre, journée de la prise de photos. Les enfants vont porter le polo de l’école pour la photo de groupe. Mélany a tous les chandails dans un bac. Comment faire pour savoir lequel est à qui? Un enfant répond : « On va regarder le nom qui est écrit à l’intérieur. » « Excellent! », dit Mélany. Elle nomme les enfants, qui sont tous fiers en entendant leur nom. Ils partent pour se faire prendre en photo. Alex y va « sans » son sac à dos.
Un lien de confiance, d’appartenance et d’attachement se tisse doucement à travers ces moments qui définissent le quotidien.
Mélany me raconte qu’elle avait prévu une activité qui consiste à reconnaître et à nommer des couleurs, mais qu’elle s’est rendu compte que les enfants n’étaient pas intéressés par cette activité. Ils voulaient simplement montrer leur couleur préférée : « Moi, j’aime celle-là. » Elle a réalisé que ce qui est important pour eux à ce moment de l’année, c’est de prendre conscience que, parmi les différentes couleurs, ils en préfèrent une. Elle me dit : « Ils sont tellement dans l’affectif; ils ne sont pas prêts à s’investir pour retenir les noms des différentes couleurs. » Elle profite donc de l’occasion pour les laisser s’exprimer et affirmer leur choix personnel. À partir de ce choix, elle les amènera plus loin à différentes occasions et à travers diverses activités. Elle choisit de leur donner du temps, de leur faire confiance.
Reconnaître et accepter ce que les enfants font et sont capables de faire, et non ce qu’ils ne font pas, et y voir une réussite.
En maternelle 4 ans, au début de l’année scolaire, l’enseignante doit avoir déjà planifié son organisation pédagogique non seulement en tenant compte des besoins d’un enfant de 4 ans et du milieu où il vit (allophone, rural, etc.), mais aussi en fonction de ses valeurs et de ses croyances personnelles et pédagogiques, de son expérience professionnelle et du programme d’éducation préscolaire. Mais que se passe-t-il lorsque, dans l’action, on doit répondre à des besoins immédiats, qu’on doit réagir à des situations qui peuvent apparaître déstabilisantes par rapport à ce qu’on avait prévu? Choisir la meilleure intervention n’est pas toujours simple et amène plusieurs questions :
➢ Est-il paradoxal d’instaurer des règles de vie dans la classe et de permettre à un enfant d’y déroger le temps qu’il apprivoise son nouveau milieu?
➢ Est-il contradictoire d’établir une routine sécurisante tout en se montrant flexible pour s’ajuster aux besoins des enfants?
➢ Quand et comment doit-on intervenir devant un enfant qui regarde partout et prend du temps avant de passer à l’action?
OCTOBRE
Mélany est toujours à l’extérieur pour accueillir enfants et parents avec un sourire et un petit mot à chacun. Dans le corridor, les enfants se déshabillent et entrent rapidement dans la classe pour choisir un jeu. Ils sont joyeux et pleins d’énergie. Chrystal regarde partout et se déshabille très lentement, un morceau à la fois. Mélany s’approche et lui dit : « Tu aimes ça, toi, regarder les grands qui passent. » Mélany met des mots sur ce qu’elle observe sans aucun commentaire négatif. Chrystal termine, entre dans la classe et choisit un jeu tout en observant les autres qui jouent.
Au tapis, un nouveau jeu est très populaire. Un conflit naît toutefois quand deux enfants refusent qu’un troisième se joigne à eux. Celui-ci pleure et tape les deux autres. Mélany intervient et demande un arrêt pour pouvoir discuter de la situation avec eux. Elle leur demande de penser à une piste de solution qui leur permettra de se faire comprendre autrement qu’en tapant. On prend le temps d’en parler et les enfants retournent jouer.
Mélany m’informe que les conflits pendant les jeux sont un phénomène récent. Elle a observé que les enfants étaient arrivés à une nouvelle étape, car ils choisissent maintenant leur jeu selon leur intention. Avant, ils étaient davantage dans la découverte et ils papillonnaient, tandis que maintenant ils savent à quoi ils ont envie de jouer. Ils se retrouvent donc souvent plusieurs à vouloir le même jeu. « C’est le temps de parler de stratégies. Avant, ce n’était pas nécessaire », ajoute Mélany.
Observer les enfants en action, choisir un moment propice et signifiant pour intervenir, prendre le temps de nommer ce qui se vit pour que cela ait du sens pour l’enfant.
On range ensuite les jeux et on se retrouve en grand groupe pour l’activité du calendrier. Aujourd’hui, c’est le tour d’Alex d’être l’ami du jour, mais il a plutôt l’air inquiet. Il s’approche de Mélany et lui dit tout bas qu’il ne veut pas être l’ami du jour. Mélany lui demande : « Tu n’aimes pas ça, être l’ami du jour? » Alex dit : « Non, parce que je n’aime pas être le premier dans la file. » Mélany lui répond qu’elle peut comprendre et lui suggère : « Si tu étais à la fin de la file, tu pourrais fermer la porte en sortant. C’est très important et très utile. » Alex lui sourit et accepte.
Prendre le temps d’écouter véritablement l’enfant, savoir adopter une attitude bienveillante, soutenir l’enfant dans ses efforts en lui proposant des choix qui le rassurent.
Durant la collation, on entend des enfants qui chantent dans la classe d’à côté. Mélany réagit en allant aussi mettre de la musique. Des enfants se lèvent spontanément pour chanter et danser pendant que quelques-uns continuent de manger, puis les enfants de l’autre classe entrent, accompagnés de leur enseignante, le temps de chanter et de danser tous ensemble. La chanson terminée, les voisins repartent et les petits retournent à leur collation.
Profiter des occasions spontanées qui se présentent demande de faire preuve de souplesse et d’ouverture à l’intérieur de la routine établie.
Mélany va s’asseoir à côté d’une petite fille et lui dit : « J’ai remarqué que tu aimes beaucoup danser. Si tu veux, je pourrai mettre de la musique durant les jeux et tu pourras danser. » La petite lui sourit et approuve. Mélany me dit : « Habituellement, elle est très réservée et introvertie. Danser est un bon moyen pour elle de s’exprimer. Si je veux qu’ils soient heureux, je dois les "laisser être". »
Un geste vers un enfant, une proposition toute simple à partir d’une observation durant une activité spontanée, une véritable intervention qui permet à l’enfant de connaître ses goûts, ses intérêt et ses forces, et lui donne la possibilité d’aller plus loin.
C’est le temps de l’histoire, Mélany l’annonce en chantant. Les enfants viennent devant elle. Certains s’assoient, d’autres s’étendent sur le plancher, la tête appuyée sur leurs mains. Mélany leur présente le livre toujours en chantant : « Je vais te raconter l’histoire d’une sorcière. Pélagie la sorcière… » Pendant l’histoire, elle pose des questions aux enfants. Chrystal y répond rapidement sans aucune hésitation. Mélany les invite à faire des mouvements reliés à l’histoire et les enfants participent avec entrain. Une petite fille se lève et se place devant les autres, les empêchant de bien voir. Elle lui rappelle pourquoi il est important de s’asseoir pendant l’histoire. La petite lui dit qu’elle ne veut pas parce qu’elle n’aime pas sa place. Alors, Mélany lui propose de venir s’asseoir près d’elle en ajoutant qu’elle aime l’avoir ainsi à côté d’elle, en la rapprochant et en lui souriant. La petite fille s’assoit et écoute maintenant l’histoire.
Être à l’écoute de l’enfant, lui proposer un choix, une solution positive pour lui permettre de comprendre les règles à respecter.
Pour terminer, Mélany leur propose de leur apprendre un tour de magie pour qu’ils puissent faire comme Pélagie la sorcière. Les enfants s’assoient autour d’une table et elle place des petits autocollants sur deux de leurs doigts. À coups de baguette magique et en prononçant « Un, deux, trois! », elle leur montre comment faire disparaître et réapparaître les autocollants sans avoir à les toucher. Il y a de la magie dans l’air; les enfants sont comblés.
Pendant les jeux, Mélany propose à ceux qui le veulent de peinturer sur de grandes feuilles pour faire des chats comme dans l’histoire. Elle leur offre la possibilité de former des groupes de deux ou trois. Gédéon a fabriqué un fusil avec des blocs Lego. Couché sur le dos au tapis, il joue avec son fusil. Mélany me fait remarquer : « Il a besoin de sentir le sol avec son corps. Il est encore beaucoup dans le "ressenti" ». Elle l’observe, mais n’intervient pas.
Prendre le temps de regarder les enfants dans ce qu’ils font pour mieux comprendre qui ils sont.
NOVEMBRE
Selon son habitude, Mélany accueille dehors, avec le sourire, enfants et parents. Dès qu’ils ont enlevé leurs vêtements d’extérieur, les enfants entrent dans la classe et choisissent un jeu pendant que d’autres terminent le petit déjeuner offert à l’école. La routine du petit déjeuner a été modifiée à la demande de Mélany. « Les enfants se sentaient intimidés dans la grande salle parmi les autres de différents niveaux. Ils mangeaient peu et ce moment n’était pas plaisant pour eux. Ainsi, en mangeant dans la classe, ils sont dans un lieu rassurant et vont à leur rythme. » Pendant ce temps, je remarque que Chrystal se déshabille beaucoup plus rapidement qu’auparavant au vestiaire : elle a moins besoin de regarder les grands qui passent.
Maintenant tous rassemblés sur le tapis pour l’activité du calendrier, Mélany revient sur l’activité spéciale (une première) qu’ils vivront aujourd’hui. Des grands de quatrième année viendront leur lire une histoire. Ils sont divisés en équipes de trois. Mélany a préparé un carton avec les photos de chaque équipe et on prend le temps de se rappeler le nom de chacun et le déroulement de l’activité. Les grands arrivent. Les enfants reconnaissent facilement leurs partenaires et s’installent en équipes dans différents coins de la classe. Les grands prennent le temps de parler avec les petits, puis lisent le livre choisi et s’en vont. Tous se retrouveront la semaine suivante.
Installer un cadre sécurisant pour que les enfants se sentent bien et rassurés et qu’ils puissent apprivoiser la nouveauté en toute confiance.
De retour au tapis pour une activité de groupe, Danyk me demande spontanément si je veux voir un spectacle de Boucle d’Or, car hier, après avoir lu cette histoire, Mélany les a invités à jouer l’histoire en se partageant les rôles. Mélany accepte l’idée de Danyk d’offrir un spectacle. L’activité de groupe prévue se fera plus tard. Elle demande aux enfants ce dont ils ont besoin pour présenter l’histoire. Les petits se souviennent : une table, trois chaises, trois verres, trois lits (avec trois petites couvertures), et installent le décor. Tous veulent participer. Mélany leur rappelle que, dans la classe, chacun a son tour. Les enfants sont fiers, souriants et heureux de s’applaudir.
Profiter de toutes les occasions qui permettent aux enfants de nommer et de vivre avec fierté leurs réussites.
Pendant la collation, Mélany fredonne une chanson de Céline Dion que reconnaît une petite fille. Mélany trouve la chanson sur le Web et la fait entendre à toute la classe avant de se lancer dans une imitation de Céline Dion. Tout en chantant et en dansant, elle va chercher un à un les enfants pour quelques pas de danse avec elle. Le temps d’une chanson, on est ailleurs, emporté par la musique et la danse. Puis on reprend là où on s’est interrompu. Mélany me dit : « Ils ont tellement besoin d’arriver à s’exprimer dans le plaisir, sans contrainte. »
Être enseignante dans une maternelle 4 ans, c’est aussi accepter de s’ouvrir et de partager avec les enfants des moments uniques et magiques appartenant à un monde imaginaire où tout devient possible.
Ensemble, les enfants et Mélany ont parlé des planètes. Alex demande : « Le Soleil, est-ce que c’est une planète? » Alex vient de s’exprimer spontanément devant le groupe et de poser une question. « Bonne question! », répond Mélany, qui s’empresse d’aller chercher des images de planètes et du Soleil. Les enfants regardent les images avec intérêt, en particulier les couleurs, qu’ils sont maintenant capables de reconnaître et de nommer. Mélany propose de bricoler un soleil en utilisant des pastels gras ou du papier de soie à coller. « On met combien de rayons? », demande-t-on. « On en met comme notre âge », répond un autre enfant.
Pendant que les enfants bricolent, Mélany n’est pas loin et observe, prête à répondre à une demande ou à un besoin.
Prendre le temps de voir les manifestations de l’apprentissage : le fait de poser une question et les remarques des enfants.
Dans un mouvement naturel s’amorce la période de jeux. Quelques enfants décident de jouer à Boucle d’Or… encore. Ils ressortent le matériel dont ils ont besoin et l’histoire est jouée de nouveau.
Après un certain temps, Mélany s’approche d’eux et leur propose de fabriquer des marionnettes pour raconter l’histoire de Boucle d’Or d’une autre façon. Deux enfants trouvent que c’est une bonne idée. Mélany met à leur disposition papier, crayons feutres, bâtonnets de bois (à café), colle blanche, ciseaux, etc. Ils commencent à réaliser leur projet de marionnettes en se disant à mesure ce qu’ils s’apprêtent à faire : « Là, je va dessiner les ours et après je va les découper. » Pendant ce temps, les autres enfants sont tous occupés à jouer.
Être là pour observer l’enfant qui réinvestit dans le jeu ce qu’il a appris et lui offrir l’occasion de toujours aller plus loin.
Avant le repas du midi, on va jouer dehors. Température oblige, on doit maintenant porter habit de neige, chapeau, bottes et mitaines. Mélany remarque qu’il est difficile pour les enfants de jouer et de courir avec tous ces vêtements. « Ils perdent facilement leur équilibre. » L’équilibre sera donc à l’honneur cette semaine. Les enfants vont bouger plus, ce qui va les aider.
Mélany a aussi remarqué que les enfants reconnaissent de plus en plus la première lettre de leur nom en disant : « C’est ma lettre. » Pour elle, cela indique un nouvel intérêt pour la reconnaissance des lettres, mais sous un aspect affectif. Ce qui compte pour eux, c’est la lettre qui leur appartient. « Ma lettre, mon nom. » C’est une étape; on part de là et on chemine.
Observer les enfants dans ce qu’ils font, partir d’un intérêt nouveau ou d’une situation nouvelle pour planifier des interventions, des activités qui leur permettront de poursuivre leur cheminement.
On se prépare à rencontrer les parents pour échanger avec eux sur ce que vivent les enfants au quotidien et parler de leurs réussites. En vue de cette rencontre, Mélany et les enfants ont prévu pour les parents des questions qui touchent la routine de la classe. Pour y répondre, les enfants feront le tour de la classe avec leurs parents et leur présenteront le matériel qu’ils utilisent tous les jours. Par la suite, parents et enfants auront la possibilité de jouer ensemble pendant que Mélany en profitera pour intervenir et nommer ce que l’enfant est maintenant capable de faire par rapport au début de l’année. Il est important pour Mélany de témoigner des réussites de l’enfant : « Il faut que le "pas de notes, pas de cotes" se reflète dans notre discours, que cela paraisse, que les parents le sentent. » Au début, Mélany a constaté que les questions des parents étaient très souvent en lien avec le côté affectif, qu’ils voulaient s’assurer que tout allait bien. Elle sait qu’ils sont plus en confiance maintenant, car ils posent de moins en moins ce type de questions.
Les parents aussi ont besoin d’être sécurisés, de se sentir écoutés et en confiance sans jamais se sentir jugés.
DÉCEMBRE
Dès qu’ils arrivent, les enfants se déshabillent et entrent dans la classe. Certains s’installent pour le petit déjeuner, tandis que d’autres prennent un jeu. Dans le corridor, Mélany annonce qu’elle est prête à entrer dans la classe en souriant à Chrystal, qui prend toujours un peu de temps pour regarder autour d’elle. Une fois décidée, elle se déshabille rapidement, range ses choses et entre dans la classe.
Les enfants sont réunis pour l’activité du calendrier. Garvens se lève, s’approche de Mélany et lui annonce avec un grand sourire et beaucoup de fierté : « C’est moi, l’ami du jour. » « Tu as bien raison », lui dit Mélany, qui est tout aussi fière de l’entendre s’exprimer et s’affirmer ainsi.
Laisser du temps aux enfants pour qu’ils gagnent de la confiance, leur donner l’occasion de prendre leur place et, surtout, toujours croire en eux.
Aujourd’hui, les grands viendront faire la lecture. Après un court rappel des équipes, les grands arrivent et les enfants se regroupent et s’installent calmement pour l’activité. Ils savent tous quoi faire.
Lorsque le groupe est de nouveau rassemblé, Mélany annonce aux enfants qu’elle veut leur présenter une personne qui a un très gros ventre, un habit rouge et une barbe blanche. Les enfants devinent immédiatement : « Le père Noël! » Elle montre plusieurs feuilles où l’on reconnaît une manche, une tête, une tuque et une botte. Elle demande aux enfants ce qu’on peut faire avec tout cela. L’un d’eux propose de peinturer, de découper et de rassembler les morceaux pour faire un père Noël et le coller sur la porte de la classe. Mélany approuve, mais dit que c’est beaucoup de travail pour un seul enfant et demande ce qu’on peut faire. Zaynab répond : « On pourrait l’aider. » Mélany leur explique qu’on appelle cela, travailler en équipe. Les enfants sont prêts à passer à l’action. Enfin, presque tous…
Xavier reste sur place, immobile, le regard triste, même un peu boudeur. Mélany s’occupe de sortir le matériel nécessaire pour que les enfants puissent commencer leur projet de peinture, de découpage et de collage. Xavier n’a toujours pas bougé. Mélany vient le voir et lui dit : « Tu ne sembles pas intéressé à peinturer et à découper le père Noël avec les autres. » Il fait signe que non de la tête. Elle lui propose : « Aimerais-tu mieux jouer aux blocs Lego? » Aucune réponse ni aucun geste. Elle ajoute : « Attends un peu, je reviens. » Mélany va fouiller dans son armoire et revient vers Xavier une boîte dans les mains. Avec un grand sourire, elle lui suggère : « Si je te donnais des autocollants de Noël, aimerais-tu en choisir et les coller sur une feuille de couleur? » Xavier ouvre grand les yeux. Cela l’intéresse, c’est sûr. Il va vite à une table et se met à examiner les autocollants et à faire ses choix pour ensuite les placer sur sa feuille. Mélany le félicite : « Excellent! On pourra montrer ça à tous les autres enfants et peut-être que certains seront intéressés à faire comme toi plus tard. » Xavier est maintenant engagé dans son projet.
Mélany se promène parmi les enfants et propose à l’occasion des façons de faire : « Tu devrais tenir ta feuille; ça t’aiderait quand tu découpes. » Elle replace, positionne, puis repasse en disant : « Tu as réussi; je l’ai vu. »
Des interventions qui apportent du soutien pour répondre à des besoins observés plutôt que de porter sur le produit final.
À la fin de l’activité, Mélany revient sur le travail d’équipe et demande aux enfants si, selon eux, le partage du travail était une bonne idée. Les enfants sont convaincus que oui et fiers de leur père Noël. Elle prend le temps de parler du projet de Xavier, de leur présenter ce qu’il a fait avec les autocollants qu’il a choisis et de la possibilité qu’ils auront aussi de choisir des autocollants de Noël pendant la période de jeux libres : « Notre classe sera belle toute décorée. »
Prendre le temps d’écouter les idées des enfants, mettre des mots sur ce que font les enfants pour activer et préciser leurs choix, favoriser leur engagement et nommer ce qui les rend fiers.
Mais les enfants ont besoin de bouger. On le voit : le ton monte, ils se lèvent, s’assoient, se relèvent, se rassoient. Mélany réagit : « On va aller à la salle de toilettes et, si le petit local où se trouve un piano est libre, on ira chanter et danser. » Les enfants sont excités; certains courent un peu partout. Mélany intervient : « Maintenant, on arrête. Dans la classe, on marche. Je n’aurai pas besoin de le répéter; vous savez ce que vous pouvez faire. » Son ton est ferme et déterminé.
Les enfants maintenant placés en file, Mélany fait semblant qu’elle tient une fleur et respire profondément : « J’ai une fleur dans mes mains qui sent tellement bon. Pouvez-vous la sentir aussi? » Les enfants prennent une grande respiration et on entend : « Moi, je trouve que ça sent la confiture de fraises. » « Moi, le parfum. » Mélany invite de nouveau les enfants à respirer profondément pour imaginer ces odeurs. Tous ensemble, ils inspirent et expirent. Ah! l’odeur des fleurs, c’est magique ou presque!
Le petit local en question est libre. Mélany s’installe au piano et tous chantent, avec cœur et beaucoup de plaisir, Petit papa Noël, puis ils jouent au chat et à la souris. La chanson commence, des enfants attendent avec impatience le refrain pour aller se cacher, puis les chats doivent les attraper et les rôles sont inversés. Les enfants s’amusent, rient, bougent, attrapent, se transforment. L’activité se termine. Les enfants ont chaud et sont même un peu essoufflés.
Enseigner en maternelle 4 ans, c’est aussi reconnaître, à travers les attitudes et les comportements des enfants, leurs besoins immédiats et leur proposer des actions pour y répondre tout en resituant les limites permises pour mieux poursuivre.
De retour dans la classe, des jeux libres sont prévus. Chrystal prend le temps de regarder les autres enfants s’installer pour leur jeu, mais son choix est fait : elle va à la table de bricolage où se trouvent les autocollants de Noël; elle n’a pas oublié. Deux autres enfants se joignent à elle. Chacun se concentre sur ses choix d’autocollants sans tenir compte de ce que l’autre fait.
Finalement, très peu d’entre eux choisissent les autocollants. Par contre, tous savent quel jeu ou quel coin de jeu les intéresse. Le coin de cuisine, les voitures, les jeux de construction, la peinture, les jeux de table, les casse-tête, les blocs Lego, les déguisements, plusieurs possibilités et aucun enfant ne semble hésiter. Ils avaient déjà fait leur choix. Sur le tapis, Alex et Danyk font ensemble, sans se parler, un casse-tête choisi d’abord par Danyk, qui a accepté qu’Alex se joigne à lui. Ensemble, ils vont réussir.
Ce temps de jeu, si précieux pour les enfants, leur permet de s’investir dans des actions et des activités qu’ils ont choisies et permet à l’enseignante de les observer dans ce qu’ils aiment le plus : jouer.
Puis vient le moment de l’histoire, qui aujourd’hui est d’occasion, car elle porte sur un petit sapin qui grandit. Les enfants écoutent et regardent avec attention, puisqu’elle appartient au temps de Noël, qui prend forme de plus en plus autour d’eux, mais peut-être aussi parce que le petit sapin grandit tout comme eux. Je peux voir Danyk qui est très concentré, avec ses beaux yeux mouillés et sa bouche grande ouverte.
Pour terminer l’histoire, Mélany sort un bac de petits cylindres de carton (du matériel récupéré) et les invite à construire de petites et grandes tours, à l’image du petit sapin qui grandit.
Profiter de l’intérêt des enfants, passer du monde du livre et de l’imaginaire au concret et à la manipulation, à l’organisation ou à l’apprentissage et leur permettre de grandir.
Voir la deuxième partie : Janvier à Décembre:
https://jeulibrequebec.blogspot.com/2025/10/un-enfant-qui-grandit-deuxieme-partie.html
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