Par Anne Gillain Mauffette
Retour à la Première partie, deuxième section: Trajectoire de Guillaume
Que peut-on faire pour éveiller chez les uns le goût de la lecture-écriture et consolider chez les autres leurs acquis?
En groupe, il y a une merveilleuse contagion des apprentissages, les enfants étant enclins à imiter leurs pairs. Il suffit d’être attentif à ce qui se passe et se dit entre enfants pour revenir sur quelque chose qu’un enfant a dit ou fait et le partager aux autres et les engager dans des découvertes langagières et graphiques.
À nous de remplir l’environnement d’objets intéressants à observer, à manipuler, à comparer : des livres évidemment mais aussi toutes sortes de jouets, d’objets, d’outils graphiques et scripteurs et de papiers attirants.
Notre rôle est de proposer (et non pas imposer) aux enfants des activités signifiantes où les lettres et les mots auront leur place (chansons, comptines, lecture et invention de poésies, recherches, discussions, etc.).
Il faut aussi considérer les exigences des programmes qui nous régissent.
Les programmes
En CPE, le programme Accueillir la petite enfance (2019) (6), demande «des actions éducatives centrées sur les compétences, les besoins, la curiosité et la créativité des jeunes enfants plutôt que sur des contenus à lui transmettre de façons systématique. On y précise que : «Le soutien à l’apprentissage vise également à sensibiliser les jeunes enfants au plaisir de la lecture, de l’écriture…à partir du jeu (dans le jeu symbolique par exemple) et d’actions de la vie quotidienne». On ajoute qu’on doit « soutenir les enfants par un accompagnement approprié aux mode spécifiques d’apprentissage et de développement pendant la petite enfance et non transmettre des contenus prédéterminées pour l’ensemble du groupe». En plus du développement du vocabulaire, « L’éveil à la lecture et à écriture se réalise aussi par l’exploration des fonctions de l’écrit, de la sensibilité phonologique, le principe alphabétique et l’écriture spontanée».
«L’apprentissage du principe alphabétique ne consiste pas à réciter les 26 lettres de l’alphabet mais plutôt à saisir le lien entre les sons qui composent les mots entendus et les lettre employées pour les écrire». «Au cours de ses dernières années de fréquentation du SGEE, l’enfant peut être initié à associer quelques phonèmes aux lettres signifiantes… par exemple celles de son prénom, son mon et ceux de ses proches». Quant aux activités proposées par les adultes : « L’enfant peut toutefois choisir de ne pas y participer.»
En maternelle, le nouveau programme cycle (7) énonce que l’enfant va interagir avec l’écrit : connaître des conventions propres à la lecture-écriture, découvrir des fonctions de l’écrit, connaître les lettres de l’alphabet (nom et sons). Dans les attentes de fin de cycle, on précise : connaître la plupart des lettres de l’alphabet en majuscules et minuscules. L’enfant doit développer une conscience phonologique, repérer des syllabes, des rimes et des phonèmes.
Mais nulle part n’oblige-t-on les enseignantes à faire un enseignement systématique des lettres.
Et nulle part ne fait-on mention par exemple de faire des exercices de fusions (!). Là on est au-delà du programme.
Voyons cela de plus près.
Notre vision
«Très tôt les enfants rencontrent des formes d’écriture et cherchent à les interpréter, ont des idées à propos de celles-ci et posent des questions…1».
«Les enfants entre eux et avec les adultes essaient de représenter des choses et la réalité par des mots et cherchent à comprendre comment les mots- ou de façon plus générale le langage parlé- peut être représenté dans l’écriture» (idem p.101).
Il s’agit de prendre la langue parlée et écrite comme objet d’investigation, d’en faire un projet de recherche avec les enfants. On va attirer l’attention des enfants non seulement sur le sens mais aussi sur la structure des mots.
Il ne s’agit pas de leçons (!!) mais d’une familiarisation, soutenue de façon concrète par l’enseignante, avec le principe alphabétique c'est-à-dire la construction «d’une première compréhension» (2) des relations entre l’oral et l’écrit et du fonctionnement de notre système alphabétique et ce dans le quotidien des activités de la classe.
«Les enfants doivent avoir l’occasion d’être placés dans des contextes de communication qui favorisent la production de sens, l’acquisition d’informations et de règles concernant le code de l’écrit - en prenant le temps nécessaire- dans des situations de communication à la fois désirées et efficaces» 1 p.102.
«L’important c’est de laisser l’enfant construire son système personnel d’écriture qui va dialoguer avec celui des autres enfants et avec les codes convenus de la culture dans lequel il vit. C’est en comparant avec les autres que les enfants essaient, vérifient leurs hypothèses et les étendent» 1p.98.
Nous croyons que la compréhension de notre système alphabétique est une démarche qui prend du temps et que chaque enfant évolue à son rythme vers cette compréhension. Que l’enseignante devra donc adapter les propositions aux capacités et intérêts de chacun et fournir du matériel ouvert et adéquat pour tous les niveaux de compétences.
Nous reconnaissons que les mots sont la plus petite unité de sens et que l’exploration des codes doit rester liée à ceux-ci. Que toute cette exploration doit se faire dans des contextes langagiers signifiants pour les enfants.
Nous affirmons que les noms des enfants sont le premier matériau à analyser avec eux (longueur, forme…) et à utiliser pour découvrir la structure de mots (syllabes, phonèmes, lettres) et le « support privilégié pour mettre en évidence la permanence des lettres et leur alignement de gauche à droite»2.
Notre approche est basée sur une conception socioconstructiviste de l’apprentissage.
«Adopter une telle (perspective) change non seulement les questions que l’adulte pose mais change aussi les contextes d’enseignement/apprentissages qu’il offre et demande aussi aux écoles d’accorder aux enfants un rôle actif et constructif dans leurs trajectoires d’apprentissages» 1 p.100-101.
L’enfant et l'écrit
Les enfants sont exposés dans et hors de l’école à de l’écrit sous toutes sortes de formes (panneaux publicitaires, affiches sur les murs, revues, journaux…). Les enfants fréquentant les CPE ont déjà des expériences avec l’écrit entre autres par les lectures qui leur sont faites. Cependant il y a de grandes différences dans les familles par rapport à la fréquentation des livres et au niveau langage. L’école et la classe sont les lieux de prédilection pour enrichir les connaissances des enfants et étayer leurs compétences par rapport à la lecture/écriture. Ces lieux devront donc être organisés en conséquence et fournir les contextes favorables à la découverte des secrets du monde de l’écrit.
Contextes et situations favorisant la découverte et l'exploration des lettres et leur usage ainsi que le sens des mots écrits
Voici quelques exemples de contextes, situations et activités qui peuvent advenir (donc émergentes) et qu’on peut soutenir, ou que l’on peut intentionnellement créer et proposer (invitations) qui favorisent la découverte des lettres et la compréhension progressive du principe alphabétique c’est-à dire que les lettres reproduisent les sons que l’on dit, ainsi que du sens des mots écrits. Cette liste de suggestions est évidemment incomplète car les situations en classes sont multiples et souvent imprévisibles. On pourrait ajouter d’autres propositions et ce probablement à l’infini.
L'environnement :
Organisation de l’espace
- Le vestiaire
Les enfants vont y retrouver leurs noms avec des photos sur leurs casiers. La plupart sont déjà habitués à cet alignement de ces formes et certains le reconnaissent grâce à un ou deux indices sans toutefois savoir le reproduire.
- L’entrée :
Les groupes de maternelles ont souvent un nom qu’on peut retrouver écrit sur la porte.
Les lettres de cette banderole peuvent être décorées par les enfants.
- Le coin lecture :
Photo © Sylvie Rayna: https://vimeo.com/111743430 |
Il est entendu que des livres sont présents dans tous les coins de la classe : livres de
recettes dans le coin maison, livres sur les métiers de la construction, les habitats dans différents pays dans le coin des blocs, livre d’arts dans le coin dessin/écriture/arts) mais on doit également prévoir un coin lecture confortable, avec moultes coussins et choix de livres (qu’on va sans cesse enrichir) dont des abécédaires achetés ou/et fabriqués avec les enfants.
- Le coin enregistrement
Les enfants peuvent enregistrer leurs histoires inventées (qu’on pourra transcrire et inclure, illustrés par eux dans notre coin lecture).
Ils peuvent aussi s’enregistrer chantant, inventer des chansons.
Ils y écoutent aussi des histoires.
- L’alphabet personnalisé au mur
Si on y tient, on peut fabriquer un alphabet avec les enfants (en remplacement du matériel commercial). On prend des photos des enfants (ils peuvent le faire eux-mêmes). Celles-ci seront sont, avec la première lettre de leurs noms, placées dans l’ordre de l’alphabet. Pour les lettres manquantes on choisira ensemble le nom de quelqu’un, un animal ou quelque chose de signifiant pour tous. On pourrait plus tard, aussi laisser les enfants photographier des objets dehors ou dedans qui commencent par les lettres et les mettre au mur.
- Un coin correspondance : un lieu social d’échanges
Un coin où chaque enfant a sa case (de petites boîtes transparentes de préférence comme cela on voit qui a eu du courrier et qui n’en a pas et on peut compenser). Les enfants peuvent s’envoyer des dessins, des messages, des petits objets ou jouer au facteur. Du matériel de dessin et écritures (feutres, stylos, enveloppes, cartes) présenté de façon attirante complète ce coin. On y inclue aussi des copies de photos des enfants, des bandelettes pré-écrites des noms des enfants et de mots qu’on sait qu’ils voudront écrire (à coller ou copier selon leurs désirs et capacités). Des revues dans lesquelles on peut découper des mots…
- Le coin dessin/écriture
Dessiner c’est représenter.
Écrire c’est aussi représenter.
Une multitude d’outils et de supports sont accessibles aux enfants pour les inciter à communiquer à travers leurs dessins et leurs essais d’écriture.
À un moment donné, ils aiment écrire leur nom sur leurs dessins, certains sont fascinés de voir leur nom écrit.
Le matériel
Le matériel est un grand incitatif pour explorer des aspects de la lecture- écriture.
L’enseignante va inviter les enfants à utiliser tel ou tel matériel : «Est-ce qu’il y en a qui aimeraient…»
Ce jeu de formes composé de droites et de courbes à assembler peut être utilisé sur des tables, par terre ou sur la table lumineuse. Ici un enfant a choisi d’écrire son surnom sur la table lumineuse.
Mais plus spécifiquement:
Étampes de lettres et tampons encreurs
Lettres magnétiques
Casse-têtes avec des lettres et images et d’autres avec des lettres qui s’emboitent ou se juxtaposent pour former un mot et une image
Lettre découpées, placées dans de petites boîtes, mots découpés et revues dans lesquelles découper des mots
Matériel Montessorien : lettres de papier sablé. Pochoirs de lettres
I Pad, ordinateur, rétroprojecteur, table lumineuse, etc.
Voir section suivante de la Deuxième partie: Les expériences et activités
Suite à la lecture de ce texte, comment peut-on encore opter pour un enseignement formel des lettres?
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