vendredi 7 novembre 2025

Le problème avec les cibles à l'éducation préscolaire

Par Anne Gillain Mauffette

Nous sommes dans une culture du rendement, du résultat. Les cibles de performance sont partout : dans l’industrie, pour les médecins et maintenant pour les enfants de la maternelle.

Certaines enseignantes à l'éducation préscolaire, se font maintenant imposer d’adopter les méthodes de François Massé dans les écoles CAP (Communautés d’apprentissage professionnelles).

Je ne suis évidemment pas contre les regroupements d’enseignantes qui discutent régulièrement de pédagogie, échangent sur leurs pratiques en classe. C’est un mode de perfectionnement très efficace et soutenant, très utilisé dans les écoles de Reggio Emilia, par exemple. Toutefois, c’est le contenu de ces réunions qui y est très différent : dans celles-ci on discute de la documentation large recueillie (réalisations et dires des enfants) et des suites à proposer, on ne fractionne pas l’apprentissage en petites unités, alors que dans les réunions CAP, on isole certaines variables dites apprentissages prioritaires et on établit les stratégies à déployer pour en assurer un certain seuil de réussite.

Les communautés d’apprentissage existent depuis longtemps et ont pris différentes formes. Le modèle proposé dans le projet CAR parle d’écoles «performantes » et «efficaces», utilisant les « pratiques efficaces.»

Mais, regardons de plus près de quoi il s’agit.

Bien sûr la démarche est plus complexe que rapidement expliquée ici. Nous ne parlons pas de la définition au départ de valeurs communes, de l’installation d’une école sécuritaire, des attentes élevées pour tous les élèves, etc., avec lesquelles tout le monde peut être d’accord, ni des différentes équipes formées pour en assurer la transmission et la réalisation. Car notre propos est de démontrer l’incompatibilité de ce modèle avec le Programme cycle de l'éducation préscolaire.

Cette approche s’adresse à toute l’école. Il s’agit d’établir à rebours, c’est-à-dire à partir de la sixième année, ce qu’on va enseigner à chaque niveau. On va découper les matières essentielles en tranches et en attribuer des sections (les préalables) aux classes en dessous. On va donc établir des apprentissages prioritaires dans des matières données (notions et habiletés à acquérir), les diviser en petits segments mesurables et les organiser en séquences d’enseignement/apprentissage par niveau. Un programme dans le programme en quelque sorte. Une façon d’avoir un programme dit «viable» c'est-à-dire réalisable, clair, qui ne se prête pas à des interprétations différentes et «harmonisé» qui garantit que chaque niveau n’empiète pas sur un autre et que tous les élèves en seront à un même niveau de préparation par rapport aux apprentissages essentiels identifiés quand ils changeront de niveau.

 On va suivre de près ces éléments choisis (ciblés) et seulement ceux-là et  définir des seuils de réussite et établir des cibles (80% de la classe a atteint tel niveau). On compare nos résultats et on cherche ensemble des solutions et des stratégies pour améliorer les scores de nos élèves.

Donc les enseignants vont ensemble, par niveau, décrire ce que les élèves doivent avoir réalisé, ce qu’ils devraient savoir, être capables de faire ou comprendre, à tel moment de l’année, par rapport à différents éléments jugés indispensables dans différentes compétences et établir des séquences obligatoires.

Et  tous les élèves, des enseignants qui travaillent ensemble à un certain niveau, poursuivent un même résultat d’apprentissage. Les enseignants vont tous utiliser les mêmes critères d’évaluation et outils d’observation pour accumuler des preuves et données d’apprentissages afin d'en évaluer la progression et pouvoir analyser les résultats. Pour évaluer les élèves on va souvent utiliser des grilles et des tableaux de compilation (portraits de classe), plus faciles à quantifier et à comparer. Ensuite, on va discuter des pratiques et stratégies les plus efficaces à utiliser et organiser ensemble, les prochaines interventions.

Pourquoi cela ne s’applique pas au niveau préscolaire :

Tout simplement parce que notre programme-cycle est un programme de développement GLOBAL et non un programme axé sur des didactiques (matières). Les jeunes enfants se développent globalement en tout temps et en tous lieux.

Que les composantes du programme sont toutes interreliées et se développent toutes à la fois, mais à des rythmes différents pour chaque enfant, à travers des activités pluridimensionnelles, transversales, ouvertes (dont le jeu).

Des lignes et des formes                        Photo Beverly Hills

Chaque enfant se développe différemment et acquiert habiletés et connaissances selon ses intérêts, ses capacités du moment et son environnement. L’enseignante cherche à rejoindre chaque enfant dans sa zone proximale de développement.

                            Motricité globale                    Photo Beverly Hills             Motricité fine

 Rappelons qu’il n’y a pas de contenu obligatoire prescrit au préscolaire, et donc pas de notions spécifiques à séquencer.

Et que beaucoup d’apprentissages ne se mesurent pas.

Bien sûr, nous avons en tête, en plus de notre programme, l’évolution naturelle des enfants dans différentes sphères et activités. Nous savons que dans la construction par exemple, les enfants commencent par vider les blocs et les transporter, puis les aligner et les empiler. Ensuite, ils vont découvrir comment faire un pont, un escalier. Leurs constructions vont devenir de plus en plus complexes. Il en va de même pour le langage (babil, mot, phrase de deux mots, trois mots, etc.), du dessin (gribouillis, première mandala qui va se transformer en soleil puis en personnage, dessin pré schématique et schématique, réaliste, etc.). Pourtant, cela ne nous viendrait pas à l’idée de déclarer qu’à quatre ans, tout le monde devrait savoir faire un personnage à telle date et qu’on va donc leur montrer, à ce moment là, comment en faire un, puis les évaluer sur leur dessin. On va plutôt fournir des occasions de jeux psychomoteurs en rapport avec le corps pour favoriser l’élaboration de leur schéma corporel et de multiples occasions de dessiner librement.

                                     Construire             Photo Beverly Hills            Représenter

Il y a évidemment des expériences proposées qui privilégient certaines composantes (la lecture d’une histoire par exemple va favoriser l’émergence de l’écrit) mais elles restent polyvalentes et vont toucher différents autres domaines de développement et d’apprentissage (dans le cas de l’histoire : le développement affectif, social, l’écologie, etc., selon les livres choisis).

L’enfant glisse un «message» dans la boîte à lettres.

À noter que dans tous les textes consultés sur le sujet, on parle toujours d’élèves, jamais d’enfants.

Les inconvénients en général:

Sous le couvert de programmes harmonisés, on tend vers une uniformisation des pratiques, les enseignantes devant enseigner la même chose au même moment. On y recherche des pratiques universelles. Mais, lorsqu’il y a obligation de suivre le groupe, cela met en jeu l'autonomie professionnelle.

Certaines enseignantes peuvent se sentir à l’aise, même rassurées, encadrées, dans un tel système, mais d’autres ont besoin de plus de latitude. Le fait que tout soit orienté uniquement vers le rendement mesurable peut devenir lourd.

La loi sur l’Instruction publique stipule que les enseignants peuvent choisir les façons de soutenir chaque enfant dans ses apprentissages. Mais difficile, sinon impossible, de résister quand «tout le monde le fait» ou que c’est inscrit dans le projet pédagogique de l'école. Dans le modèle CAP, en principe, chaque enseignant peut enseigner comme il le veut (par projets, enseignement explicite) mais doit suivre les séquences d’enseignement/apprentissage définies et être à même de comparer les résultats de ses élèves sur ces apprentissages ciblés, mettant de côté tous les autres apprentissages qui ont eu lieu.

Définir des objectifs prioritaires, c’est en écarter d’autres, dits au mieux, «importants pour certains élèves» ou « intéressants». On doit rester centrés sur les objectifs choisis et préserver le temps consacré à ceux-ci en évitant les diversions, aussi enrichissantes qu’elles puissent être.

Les risques pour l'éducation préscolaire.

-          Cette approche est inconciliable avec notre programme et contraire aux façons d’apprendre des jeunes enfants et à nos façons d'intervenir et d’enseigner à l'éducation préscolaire.

-          Cette approche suppose que l’apprentissage est linéaire, alors que nous concevons l’apprentissage comme une spirale ascendante, où l’on revient sans cesse sur des concepts pour les modifier, les concepts se précisant et se complexifiant avec les différentes expériences. Exemple : la première fois qu’un enfant voit un chien et qu’on lui dit le mot chien, il enregistre certaines perceptions : grandeur, couleur, 4 pattes, etc. À force d’en croiser d’autres, son concept va se transformer, il va inclure différentes races de chiens et différents attributs ainsi que des éléments affectifs.

-          Comme cette approche est basée sur l' enseignements des différentes didactiques, le danger est qu’on aura tendance à privilégier les apprentissages qui sont les plus mesurables comme dans la lecture, les mathématiques, comme si tout le reste n’était pas important.

-          Cela va changer le regard des enseignantes qui sera focalisé seulement sur les cibles d’apprentissages visées, ignorant d’autres composantes essentielles du développement et va déformer l’observation à la maternelle qui se veut large et se faire principalement dans le jeu.

Voir: https://jeulibrequebec.blogspot.com/2023/06/observer-les-enfants-au-quotidien-et.html

-          On va observer un rétrécissement du programme, puisqu’il sera axé sur ce qui est mesurable.

-          On va sans doute assister à une augmentation de l’enseignement explicite.

-          Le fait de devoir établir des séquences d’apprentissages pour évaluer les enfants amène les enseignantes à établir des listes progressives d’habiletés : «doit savoir attacher ses souliers ou écrire son nom à tel moment, avant ceci et après cela» ce qui ne respecte pas la variabilité des trajectoires à cet âge.

-          Les objectifs « prioritaires» sont différents pour chaque enfant; un est très moteur mais a besoin de développer son langage, l’autre a un langage élaboré mais doit apprendre à composer avec ses pairs, un autre doit améliorer sa motricité fine, etc. L’enseignante va donc insister sur différentes choses, à un même moment, pour chaque enfant et non se centrer sur le même objectif pour tous.

Découvrir les lignes parallèles               Photo Beverly Hills

 L'adoption de cette approche risque de favoriser des activités dirigées en fonction des apprentissages ciblés.

-          Cela risque aussi d’encourager l’utilisation de «tests» si peu fiables à cet âge.

-          On va sans doute vouloir définir de façon stricte ce qui doit être enseigné aux enfants de quatre ans et ce qui doit l’être pour ceux de cinq ans, ce qui va à l’encontre de l’idée même d’un cycle qui est fait pour respecter les rythmes individuels.

-          De même établir des préalables (les prérequis d'antan) à la première année, est aussi un danger: cela assujettit le niveau préscolaire au programme défini en première année et le relégué à une forme de préparation pour la première année.

-          L’idée que tous les enfants de 4 à 6 ans arrivent à tel moment de l’année ou à la fin de l’année ou du cycle, avec le même bagage et les mêmes connaissances, alors que certains d'entre eux ont presque un an de différence avec d’autres, que certains ne parlaient pas la langue de l'école en arrivant, etc., est une illusion et pourrait nuire aux plus jeunes et aux nouveaux arrivants puisqu’ils seront considérés comme en retard, vulnérables ou à risque, etc.

-          L’évaluation peut se faire autrement tout en donnant un portrait juste de chaque enfant dans son ensemble.

Voir: https://jeulibrequebec.blogspot.com/2021/01/la-documentation-et-les-recits.html

h-          La mobilisation d’une équipe école, l’entraide des enseignantes et autres professionnelles ainsi que des parents peut s’organiser autrement autour des besoins de votre milieu.

Pourquoi ne pas inverser ce processus; partir des enfants de la maternelle, construire sur ce qu’ils ont appris et adapter notre enseignement en première année puis en deuxième, etc. aux enfants eux-mêmes.

Profiter des réunions

Si vous êtes enseignantes à l'éducation préscolaire et que votre école est une école CAP qui veut inclure le préscolaire dans cette démarche (car il s’agit d’une culture d’école entière), et que vous avez des réunions de planification, vous pourriez, si votre CP ou votre directrice ou autres professionnelles sont partantes, en profiter pour partager sur vos pratiques, vos façons de soutenir le jeu ou tout autre sujet qui vous préoccupe. Pour apprendre ou perfectionner vos façons de documenter ce que font et disent les enfants, etc., et  partager cette documentation qui va rendre les apprentissages des enfants de cet âge vraiment visibles, célébrer ceux-ci et les faire connaître à tous (enfants, adultes). Mais pas question de morceler le programme et de faire rentrer le développement et l’apprentissage dans des cases.

Prôner un enseignement «universel efficace» pour tous les enseignants et qui convienne à tous les enfants, n’est pas une voie acceptable à l'éducation préscolaire.

Conclusion :

Les administrateurs ont tendance à vouloir comptabiliser les « résultats» de notre enseignement. Ils veulent des chiffres.

Ils ne sont souvent pas nécessairement intéressés à savoir ce qui développe chez les enfants, l’empathie, l’entraide,  la résilience, la curiosité, le goût du savoir, la persévérance, la créativité, l’expression, etc., toutes ces choses qu’on tente de soutenir à la maternelle.

C’est pourquoi, ils endossent facilement des systèmes axés sur le rendement (des enfants et des enseignants), paient pour ces formations mais pas pour d’autres et s’attendent à ce que tout le monde embarque. Difficile pour une enseignante de dire Non.

Mais à l'éducation préscolaire, il nous faut dire Non à ces cibles, Ensemble.

samedi 18 octobre 2025

Les conditions qui vont nuire au développement des enfants et de leur cerveau: première partie

Par Anne Gillain Mauffette

 Ce texte est tiré de l'article : Les droits et les besoins de l'enfant et son développement à la maternelle, au CPE, à la maison et ailleurs  publié en 2020

Ce qui va nuire aux enfants 

« Un phénomène commun va ralentir, voire perturber le processus de maturation cérébrale et le développement tant cognitif que social chez la plupart des enfants. Il s’agit de leur degré d’anxiété vécu à la maison, au centre de la petite enfance et à l’école 1 p.22». « La multiplicité des demandes d’adaptation faites par les différents adultes rencontrés représente parfois un défi insurmontable pour les enfants 1 p.22». Joël Monzée 
  • Le climat affectif 
« Il y a impact négatif immédiat du climat affectif sur la construction du cerveau qui peut avoir des effets délétères parfois irréversibles, ce qui peut compromettre significativement la vie sociale. » « En entretenant des rapports de force (domination, soumission) entre les adultes et les enfants (…) l’encodage est : « Lorsque nous ne sommes pas d’accord, la seule façon de résoudre un conflit, c’est d’écraser ou s’écraser5, p. 15 ». 
  • Le stress 
« L’enfant dont l’organisme est en constitution est plus vulnérable au stress que l’adulte 5, p.159». « Le stress est très nocif pour un cerveau immature et fragile. » « Le stress peut détruire des neurones dans des zones importantes du cerveau… » « La dureté des mots et des gestes empêche la maturation du cerveau, altère son développement et ne permet pas à l’enfant de réguler ses émotions 4 p. 213 ». « Le stress altère l’hippocampe lieu de la mémoire et de l’apprentissage4 p. 177 ». 

Les facteurs de stress et le cerveau



Photo © Danielle Jasmin

L
es facteurs de stress sont nombreux et s’accumulent : «les transitions entre deux activités; le manque de cohérence dans la discipline; les familles recomposées et instables ainsi que les modes de vie différents chez le père et la mère, le trop grand nombre de professeurs pour un enfant au primaire; la volonté des parents et des éducatrices préscolaires à faire des activités cognitives au détriment du développement psychomoteur; le morcellement des interventions; la suroccupation et le manque de liberté…; le manque de temps pour l’activité physique; le manque de disponibilité des adultes eux-mêmes stressés; les alertes incendies et de sécurité dans les écoles; les drames humains diffusés à longueur de journée à la télévision; le contenu et le nombre d’heures consacrées à des jeux vidéo de plus en plus réalistes et violents; etc.1, p.22». « La peur, le stress perturbent la maturation des structures cérébrales qui contrôlent les émotions5, p.182». 

Même « les situations de plaisir » (sur stimulations : ex. : une journée à la ronde) peuvent « également augmenter l’activité des amygdales et déclencher des comportements dérangeants 2, p. 153 ». « Par ailleurs, les enfants n’ont pas beaucoup de moyens pour réduire l’activité des amygdales. Seuls les pleurs et le sommeil peuvent tempérer cette activité 2, p.153». 

« Quand les professeurs pressurisent les élèves, ont des paroles négatives blessantes ou humiliantes » … « quand les parents, de même, mettent de la pression, s’énervent, crient, par exemple lors des devoirs à la maison, … (ils) altèrent les capacités d’apprentissage, de mémorisation et de réflexion de l’enfant à l’inverse du but recherché 5, p 145 ». 

« Par contre, quand les enseignants intègrent ces connaissances sur les effets délétères du stress sur le cerveau de l’enfant, ils modifient leur manière d’enseigner 5 p.144». 

  • L'anxiété, la peur
« Le contexte scolaire et familial est une source majeure d’anxiété pour certains enfants » 1, p. 29
« L’anxiété affecte autant le développement du cortex préfrontal que l’hippocampe, deux régions du cerveau qui sont primordiales pour effectuer les tâches d’apprentissage 1, p.24». « L’anxiété va se manifester différemment chez les enfants : certains traduisent leur anxiété par des mouvements dérangeants, de l’opposition, une baisse de la réceptivité aux consignes de l’adulte, d’autres vont sous-réagir (davantage les filles), voulant maintenir la relation à tout prix avec l’adulte et vont plutôt devenir distraits et partir dans leur imaginaire 1, p. 24». L’anxiété peut amener des comportements dérangeants sans qu’il n’y ait de déficit neurologique. Il ne faut pas confondre « un défi » avec « une pathologie 2, p.308». 

« L’éducation par la peur est très nocive. La peur, le stress perturbent la maturation des structures cérébrales qui contrôlent les émotions. » « Cette notion de peur est fondamentale dans l’éducation 5, p. 182 ». « Un certain nombre d’enfants même en maternelle vont à l’école la peur au ventre ou refusent totalement d‘y aller. Parfois c’est l’enseignante qui fait peur, d’autres fois des enfants qui sur la cour de récréation font peur ou tapent ». Que ce soit « les paroles dévalorisantes, les mauvaises notes, l’agressivité sur la cour (tout cela crée) un profond mal être » 4, p.171 que les enfants ont parfois peine à identifier. 

  • La charge émotionnelle















 « La charge représente…le degré de tension interne que vit une personne ». « (Elle) peut augmenter à cause d’une situation courante, mais également en résonance avec l’émotion de l’autre ». « Les enfants sont « des éponges à émotions ». « Ils vont sentir le degré de stress de personnes avec lesquelles ils sont en relation dans la famille, la classe, dans la cour… » « Ils absorbent, se chargent et tôt ou tard, ils devront décharger » pour retrouver leur « équilibre psycho émotionnel 2, p. 196 ». 

Les «amis» qui ne sont pas des amis




On impose parfois aux enfants « à la garderie ou à l’école, des « amis », au mépris quelquefois de leur petite voix intérieure qui leur dit, justement, que ceux-ci ne sont pas vraiment des amis ».

« Combien d’éducateurs ou d’enseignants disent « Va voir ton ami », « Va jouer avec tel ami », voire imposent des travaux de groupes, modifient les alliances ou changent les places dans la salle, sans tenir compte de la qualité des liens existant entre les enfants? 3, p. 112 ». 

« L’enjeu est important sur le plan de son développement… » « En effet, lorsqu’un adulte impose, même avec une bonne intention, des relations entre les enfants, ceux-ci…se sentent coincés entre les consignes de l’adulte et leur voix intérieure. « De plus ils ne se sentent pas écoutés par l’adulte, pas compris 3, p. 113 ». Ils vivent alors « des déchirures émotionnelles » qu’ils ne peuvent pas gérer seuls. « Certains vont se refermer sur eux-mêmes, d’autres ressentiront de la frustration, de la colère et réagiront. Des situations où l’enfant doit se couper de lui, il y en a beaucoup dans une journée. 

Or si les adultes n’invitent pas l’enfant à écouter ses sentis, n’y a-t-il pas le risque d’encourager les comportements dérangeants? 3, 114 ».

Les transitions difficiles




« Les moments de transition sont vécus parfois avec beaucoup de difficulté par les enfants. La transition est une coupure de l’expérience, il y a un bris de continuité. Passage entre la maison de maman et celle de papa. Changement de professeur (ou éducatrice) parfois plusieurs fois par jour. Arrêt d’une activité pour entamer une nouvelle occupation. Quitter un lieu…La transition est un défi pour le cerveau. (Elle) est anxiogène 2, p. 137-138 ».

« Or, le sentiment de soi qui repose sur l’expérience de la continuité est primordial pour assurer la capacité d’adaptation de l’enfant… » « Pour que le cerveau puisse développer tout son potentiel, les enfants…ont besoin de vivre des expériences de continuité, de sécurité et d’identification pour faire émerger le Soi. Le Soi, c’est l’expérience de se sentir vivant, en sécurité, à tout moment. Le sentiment de soi devient un moyen de se repérer, de se fier à soi, de se sentir vivant malgré les défis. Cette habileté est une base fondamentale de la santé psychologique. Elle repose sur la collaboration de milliards de neurones organisés en réseaux 2, p. 138-139 ».

La notion du temps chez le jeune enfant




« L’enfant est inscrit dans un temps analogique, émotif. Il a de la difficulté à se repérer dans le temps chronologique » « Attendre cinq minutes une attention…peut paraître bien plus long et pénible que son émission préférée » 2, p.139». Les (adultes) et l’enfant ne vivent pas dans le même monde. » ... « L’enfant de 5-6 ans (et donc encore moins l’enfant de 4 ans) n’a pas la notion du temps, car cela nécessite une certaine maturité cérébrale que le petit n’a pas encore. Il vit intensément le présent, il aime prendre son temps, rêvasser, jouer, se raconter des histoires. Il vit dans l’imaginaire et n’a aucun sens du devoir ». 

« L’enfant peut subir dans une journée une multitude de petits stress. Dès le matin, les parents sont pressés…et répètent : « Dépêche-toi » …. « Habille-toi, mange, n’oublie pas… », les parents s’énervent, crient. » « Bousculer l’enfant, le stresser ». « On va être en retard ne signifie rien pour lui. » … « Il veut et a besoin de s’amuser 4, p.144-145 et 179».


Le manque de temps pour l’activité physique dans la nature


Photo © Danielle Jasmin

Les enfants ont de moins en moins l’occasion de faire de l’activité physique suffisamment intense, et ce même dans les cours d’éducations physiques. L’obésité est en hausse chez les enfants, les risques de fractures plus grandes (la densité osseuse est moindre), leur capacité pulmonaire est aussi réduite et le manque d’expériences fait que les enfants ont plus maladroits et ont facilement des blessures. De plus, certaines écoles ont diminué le nombre des récréations, malgré leur importance sur l’attention des enfants. 

S’ajoutent à cela d’autres facteurs tels que: le temps passé devant les écrans et la peur des parents de laisser leurs enfants jouer dehors sans eux ainsi que leur manque de disponibilité pour les accompagner. Les changements pédagogiques vers un enseignement moins basé sur la manipulation et plus statique exacerbent le problème. 


« La fondation Pierre Lavoie a sensibilisé et transformé certaines habitudes des enfants pour qu’ils fassent plus (d’activité physique) à l’école et à la maison 2, p.263 pour contrer cette tendance à l’immobilisme, mais malgré cela, il y a des administrateurs qui voient d’un mauvais œil que les enseignantes sortent dehors avec les enfants.

« En Belgique, le ministère de l’Éducation a imposé deux heures de psychomotricité par semaine, en plus des cours d’éducation physique, aux enfants de maternelle et des deux premières années du primaire. Ces séances visent à mieux outiller l’enfant en matière de développement de ses habiletés sensorimotrices, affectives et sociales 2, p. 262 ». Les maternelles en plein air sont aussi des exemples dont nous pourrions nous inspirer. Nos cours d’école auraient aussi besoin d’être repensées, renaturalisées pour les rendre plus intéressantes et agréables donc plus riches en apprentissages et plus fréquentées par les élèves et enseignants et même en dehors des heures de classe, par les gens du quartier environnant. Elles sont actuellement une source de stress pour de nombreux enfants et pour les adultes qui en assurent la surveillance.

Les réactions au stress


«
L’enfant…ne dispose pas encore suffisamment de ressources du cortex préfrontal pour inhiber des réactions pourtant totalement naturelles en situation de stress ».
« Les poils se dressent, la peau devient rouge. Il y a un serrement de gorge, le cœur bat plus vite, la respiration s’accélère et ils tombent en hyper vigilance. Leur regard part à gauche ou à droite à la recherche d’un ancrage rassurant. Un parent, un prof, un ami, un toutou. Si l’inconfort physique et l’impression de menace se poursuivent, ils finissent par se désorganiser.

Les comportements dérangeants signalent, en fait, qu’ils ressentent un malaise, un mal-être. Et qu’ils ont besoin d’être rassurés, vus, entendus, reconnus 1p. 23 ». « Nos interventions peuvent être porteuses de réassurance ou de stress 2, p151 ». 

Voici quelques-unes de ces réactions au stress :
  • Les comportements dérangeants

Les comportements dérangeants reflètent une demande, un défi, ou une requête d’aide auprès des adultes responsables et bienveillants 2, p. 31». « (Ils) traduisent (…) un déséquilibre en termes de développement affectif 2, p. 167 ». « (Ce) sont des réactions maladroites face à la pression exercée par l’entourage familial et scolaire à se conformer à une norme plutôt que d’être accueillis et encouragés à développer leurs talents 1, p.31». 

Elles seront nécessaires tant et aussi longtemps qu’on ne répond pas à leurs vrais besoins en termes de développement affectif 2, p. 167 ». Il faut chercher à « comprendre le sens caché des comportements dérangeants des enfants, car ceux-ci communiquent comme ils peuvent 2, p. 14 ». 

« Les adultes partent du principe que l’enfant va s’adapter à tout 1 p. 15 ». « Mais il manifeste ses difficultés tant affectives et cognitives par des comportements dérangeants. Il dérange par sa maladresse quand quelque chose ne va pas, quand le malaise s’installe et pire quand le mal être devient tellement envahissant qu’il n’a plus de mots pour l’exprimer. La réponse qu’on lui fournit, c’est d’analyser de plus en plus ses « déficits ». On fait usage de tests psychométriques qui isolent l’enfant du contexte dans lequel il grandit 1, p. 15 ». On prescrit des médicaments pour « forcer la normalisation des comportements sans pour autant remettre en cause les principes, les valeurs et la cohérence des interventions éducatives ». « On se centre sur la performance scolaire sans questionner l’ensemble 1, p.16». « On néglige souvent les besoins de l’enfant dérangeant en matière de développement global 1, p. 17 ». « La compréhension de ces phénomènes encourage la mise en place d’une intervention structurante basée sur la qualité de présence et l’attention bienveillante, plutôt que la sanction des comportements dérangeants 2, p.175». 

« Et quand un comportement dérangeant émerge, chez un élève ou toute une classe, n’est-ce pas simplement un indice d’un déséquilibre plus ou moins intense auquel il est nécessaire de faire face avant de reprendre l’exploration intellectuelle du monde? (Monzée) ». Dans le jeu par exemple, « l’enfant apprend à mieux maîtriser le déclenchement des comportements réactifs 2, p. 327 ».
  • Les « crises» et les colères

    « Il y a plusieurs formes de crises chez l’enfant : l’enfant vit trop d’émotions, l’enfant est angoissé, l’enfant a besoin de s’affirmer, quitte à s’opposer, l’enfant exprime un caprice… « D’ailleurs un caprice cache souvent un besoin ». « Souvent il y a des petits comportements qui annoncent la crise : des soupirs, des grognements, des coups de pied au sol, des bras croisés sur le thorax, des poings fermés, des périodes de bouderie et surtout durant la petite enfance, des gestes agressifs envers ses jeux ou des lancers d’objets 3, p. 88 ». « La « crise de bacon » illustre ce qu’il ressent dedans. 

    Au départ, il n’a aucune envie de nous manipuler! Il n’a pas les ressources cognitives nécessaires à deux ni à quatre ni à six ans d’ailleurs pour nous manipuler! Il vit une fragmentation 3, p. 85 ». 

    « Il appartient à l’adulte de décoder les signes corporels et d’identifier le besoin de l’enfant 3, p.88 ».
    « L’enfant ne peut pas se calmer seul. Quand il est laissé seul face à ses émotions de tristesse colère, peur, son amygdale active la sécrétion de molécules de stress, du cortisol, de l’adrénaline qui en quantité importante peuvent être très toxiques pour son cerveau et tout son organisme 4, p 212 ».

    « L’adulte n’oubliera pas que l’enfant a davantage de réactions émotionnelles exacerbées quand il n’a pas eu le loisir de laisser libre cours à son énergie. L’enfant a un immense besoin d’exprimer sa vitalité, de jouer avec d’autres enfants, dehors, dans un espace suffisant. Il sera alors plus calme et fera moins de colère 4, p.131 ».

  • Les réactions face à l’autoritarisme et obéissance

    « Quand l’adulte exige que l’enfant obéisse immédiatement, l’enfant         résiste 4, p.140». « Plus l’enfant est confronté à de l’autoritarisme, à des     exigences, plus il résiste- parfois il se soumet, il rumine, ressent une grande colère 4, p. 150 ». « L’obéissance n’apprend pas l’autonomie, à être responsable de ses actes, mais au contraire favorise la soumission 4, p.143  ». « Si les adultes sont dans l’autoritarisme à la maison, à l’école, si quotidiennement pleuvent des reproches, des ordres, des punitions, des cris, des humiliations… l’enfant est alors confronté au stress, le cortisol est élevé, le sympathique en pleine activité et la sécrétion des molécules bienfaisantes bloquées 5. p. 222 ».

  • L’agressivité
« Quand l’entourage comprend l’enfant, sait l’apaiser, les épisodes impulsifs (taper, etc.) diminuent pour se raréfier vers 6-7-ans. C’est donc l’adulte par son attitude calme, tendre et empathique qui permet à l’enfant de ne plus être agressif 4, p. 128 ».

  • Le retrait
Certains enfants réagissent autrement face à un excès de stress. Certains vont « partir dans la lune » pour se sentir plus en sécurité. Il ne s’agit pas d’un déficit d’attention. « L’enfant distrait parce qu’il est désintéressé, stressé, démotivé (ne peut pas s’enfuir) et utilise des comportements d’immobilisation (sous réactivité) et se dissocie tant du vécu affectif que des sensations somatiques qu’il induit 2, p.161». Si ces attitudes et comportements sont moins dérangeants pour l’adulte, ils témoignent tout autant d’un mal être qui peut passer presque inaperçu.

  • Le NON de l’enfant

    Photo © Danielle Jasmin
Le refus de l’enfant est souvent vécu comme une opposition à l’adulte. Mais avant d’y voir de la mauvaise volonté ou un trouble, on pourrait examiner les causes de cette négation. 

Peut-être que l’activité proposée, en fait obligée, réveille chez l’enfant des expériences difficiles, engravées dans la mémoire, inconscientes ou conscientes. Peut-être l’enfant a-t-il peur d’échouer, car il se sent incapable face à la demande et ne veut pas perdre la face? Peut-être n’a-t-il pas bien compris ce qu’on attend de lui? Peut-être a-t-il peur d’être jugé, peut-être n’a-t-il pas confiance dans les commentaires de l’adulte ou des pairs. 

Cette résistance lui cause certainement beaucoup de stress. Peut-on lui permettre de choisir ou lui proposer des solutions de remplacement mieux adaptées?

  • L’enfant Roi
« L’enfant roi est…très souvent le résultat d’adultes qui se sentent dépassés, et démissionnent, baissent les bras. L’enfant les fatigue. Ils le laissent faire par facilité. L’enfant laissé à lui-même …devient anxieux, souvent agressif. » 

« Les parents…oscillent entre le laisser-faire et la violence verbale et physique. » « Ces enfants rois ne sont donc pas « gâtés », mais au contraire, souvent humiliés, maltraités dans l’intimité de la famille.» 

« Il arrive aussi que des adultes gâtent leurs enfants, cèdent à leurs désirs…par culpabilité, pour compenser un manque de présence affective 4, p. 134 ». 

Pour voir la suite: Deuxième partie:
 https://jeulibrequebec.blogspot.com/2025/10/les-conditions-qui-vont-nuire-au_18.html




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