samedi 7 novembre 2020

ACCUEILLIR D'ABORD: Que penser des tests universels de dépistages précoces?

par Anne Gillain Mauffette


 

Depuis quelques années, un courant ou des directives ont fait qu’on impose des «tests» de dépistage systématiques, formels et universels au début puis plusieurs fois dans l’année aux enfants du préscolaire.


Plus les enfants «testés» sont jeunes,
plus on a de chances de se tromper.

(Lilian Katz, 1995)


 

Les enfants de 4 ans, tous capables ou tous à risques?

Quelle présomption adopterons-nous? Quel message enverrons-nous aux enfants?

 

Les notions de prévention précoce, de mesures de protection, de dépistage, louables en soi et  les bonnes intentions par rapport au succès de tous, ont donné naissance, en maternelle, à des méthodes universelles d’apprentissage systématique formel en grand groupe de la lecture et à une pléthore d’outils de dépistage de la maîtrise des contenus de celles-ci. Pourtant, les enfants à qui on enseigne de façon formelle à lire plus tôt n’ont pas plus de succès  académiques que d’autres ayant appris plus tard.  En effet  plusieurs auteurs ont démontré que les progrès (minimes) des enfants dont les enseignantes appliquaient des méthodes didactiques ne duraient pas  (Krashen 2004, Suggate, 2011, dans House 2017) et qu’un enseignement de style trop académique avait de nombreux effets pervers chez des enfants de cet âge (surtout des garçons): stress, anxiété de performance, passivité, absentéisme, etc. (Marcon ,2002; Hirsh Pasek et al. , 2009).

L’identification de variables isolées, dites déterminantes mais pas toujours justifiées (les fameux «prédicteurs»)  ayant pour objectif la réussite éducative et la diminution du décrochage scolaire ont aussi provoqué des solutions inappropriées pour de jeunes enfants.

Les pronostics

On justifie ce type d’interventions par des statistiques établissant qu’un quart des  enfants de 4 ans seraient à risque ou vulnérables, alors «qu’on n’a pas commencé  à les entourer, les éduquer » (NPS, 2012). À risque de quoi?

 À risque de problèmes d’apprentissages, d’échec, de décrochage ou de délinquance futurs.  Dans ces projections négatives, on considère des enfants de 3-4-5 ans déjà comme de possibles futurs délinquants! Il y a une confusion entre corrélation et causalité, entre les risques auxquels peut être exposé un enfant et une supposée relation de cause à effet qui l’amènerait automatiquement vers le décrochage ou la délinquance. Cela «transforme le regard sur l’enfant et donc le déforme risquant d’induire ce qu’on voulait éviter» (Giampino, NPS, 2012). « Les trajectoires des enfants peuvent se modifier très radicalement» (Rousseau dans NPS, 2012). Les auteurs dans La prévention précoce en question regrettent qu’on «réduise des phénomènes complexes à un nombre de variables observables qui pourront être soumises à des expériences et des tests de corrélation statistique (Parazelli 2010, dans NPS).

Pourquoi automatiquement supposer ces enfants «inadéquats» avant  même qu’il n’aient été immergés dans des environnements stimulants, accompagnés par des éducatrices ou enseignantes bien informées qui leur permettraient de construire et démontrer leurs compétences et connaissances  grandissantes?

 

 Si les enfants sont placés dans des conditions respectant et stimulant leur développement  (climat chaleureux, jeu, exposition aux livres, conversations, sorties, etc.), leurs trajectoires peuvent se modifier considérablement. Et pourtant nous nous apprêtons, à traquer leurs failles («détecter» dit-on au Ministère) dès leur entrée en CPE ou à l’école, par des tests fréquents, aux indices étroits, au lieu d’identifier quotidiennement leurs capacités naissantes et s’en émerveiller. Et qu’est-ce qu’on va chercher à vérifier? Que l’enfant a acquis les connaissances en lecture  prescrites par des méthodes qui souvent dépassent les attentes des programmes préscolaires actuels ou ses capacités biologiques?  Ou bien qu’il bouge trop? Qu’il est trop impulsif, qu’il ne contrôle pas ses émotions? Qu’il résiste à se conformer? Ce ne sont, le plus souvent, que des caractéristiques de l’enfance! Pas toujours  des signes d’hyperactivité ou de troubles de comportements.

 

Plusieurs interventions sont basées sur une vision «déficitaire» de l’enfant, soulignant à gros traits « ce qui lui manque» plutôt que de partir de ses compétences.  Cette vision déterministe, pessimiste des enfants, ne tient pas compte de leur capacité extraordinaire de progresser. Basée sur ce qui manque, elle est contraire aux principes d’inclusion et de respect des différences, concepts fondamentaux dans une école démocratique. Axée sur le déficit, elle entraîne des attitudes et modalités très différentes par rapport au rôle de l’enseignante et aux pratiques à privilégier.

 

Un « test» est très différent d’une observation bienveillante, attentive et continue des progrès d’un enfant et d’une intervention différenciée en fonction de celle-ci. Et si nous adoptions le postulat qu’ils sont tous compétents à leur manière et que les éducatrices et enseignantes sauront utiliser leur autonomie professionnelle pour choisir les façons adéquates de soutenir l’évolution de chacun. Que celles-ci sauront juger rapidement (elles l’ont toujours fait, ce sont les ressources qui manquaient à l’appel) si un enfant a besoin d’évaluations plus poussées et de soutien additionnels. Oui, les éducatrices et enseignantes ont besoin de référer certains enfants à du personnel spécialisé mais pas tous! Il est inutile, par exemple, d’ouvrir un dossier en orthophonie pour tous les enfants de 4 ans!

 

Les  risques  de certains dépistages, évaluations ou formes de prévention


 


« Les écoles sont de plus en plus animées par la volonté d’effectuer du dépistage et les psychologues scolaires sont contraints de faire de la psychométrie, car certains diagnostics permettent soit la médication, soit plus de subventions pour l’école..»(Monzée, 2016).

Les enfants « sont-ils trop rapidement étiquetés, stigmatisés par des comportements qui ne correspondent pas aux attentes sociales?»« On peut s’inquiéter que le message envoyé à ces enfants soit plus proche du règlement d’une défectuosité que de son individualité».

«Le processus de dépistage d’un trouble permet d’orienter les interventions. Toutefois, ce processus induit aussi de dommages collatéraux» (Monzée, 2014).  « Combien d’enfants sont meurtris par les diagnostics qu’on leur sert en pâture»« Souvent le diagnostic réduit les rêves et l’estime de soi, et ce, même si la médication aide à la réussite scolaire (Monzée, 2016). Il faut être très prudent avec les diagnostics, les étiquettes et leurs interprétations. « Les indices sont-ils  seulement valides?»« L’impulsivité n’est pas une trace de maladie mentale, surtout chez un jeune enfant qui est encore contrôlé par ses affects et ses réflexes de survie» (Monzée, 2014).

On confond souvent « l’attention avec la concentration, la distraction avec le déficit  d’attention, l’hyperactivité et la sur réactivité causée par l’anxiété trop envahissante, l’hyper vigilance et la curiosité, l’Impulsivité et la désorganisation régulière, le manque d’intérêt ou de motivation et le TDAH…» (Monzée, 2014). «Les tests psychométriques ne tiennent pas compte du contexte dans lequel apparaissent les comportements.»« (Ils) donne(nt) tellement peu d’informations sur les habiletés et sur l’autonomie; il(s) mesure(nt) des déficits.»… «La durée de ces évaluations formelles apparait souvent trop longue pour des enfants qui se fatiguent vite». (Monzée 2016)

 

Méfions-nous des conséquences de ces dépistages systématisés, trop hâtifs, basés sur des variables érigées en  normes et les jugements qui les accompagnent. Il y a, de plus en plus de faux diagnostics qui entraînent de fausses solutions et diminuent l’estime de soi de l’enfant et la confiance de tous en son avenir.  Ces tests ne se passent pas toujours dans des conditions favorisant leur validité donc leur utilité: personnes étrangères à l’enfant, local non familier, distractions. En fait les tests sont peu fiables chez les jeunes enfants et les conditions d’administration variables (dans les corridors par exemple) rendent les résultats peu valides.

Soit nos attentes sont irréalistes, soit le stress, ou la timidité inhibent l’enfant ou l’évaluation est trop longue ou son interprétation est erronée. La plupart des tests donnent  d’ailleurs peu d’informations sur d’autres éléments plus essentiels  à la réussite éducative et personnelle.


Un autre inconvénient de ces tests pour tous est qu’ils finissent par déterminer l’enseignement : afin que les enfants « réussissent» cette épreuve, on enseigne le même type de contenu que ce qui est dans le test («teaching to the test»). Cela  entraîne un enseignement systématique des connaissances attendues. L’enseignant est centré sur l’acquisition de la matière (essentiellement en littératie et numératie), plus que sur l’enfant et son développement global.

 

Ces pratiques et des programmes d’intervention prédéterminés, codifiés, peu adaptés aux façons d’apprendre des enfants, peuvent être contreproductives et risquent  de créer des décrocheurs plus tôt, de jeunes enfants trouvant l’école ennuyante  (en particulier des garçons qui trouvaient dans le jeu et les projets des occasions de bouger). De plus, le fait de se sentir  « pas bon», à 4-5 ans, n’aide pas à aimer l’école ni à persévérer.

 

La question que pose (la) prévention n’est pas de « débusquer» mais  «comment entourer», n’est pas « comment adapter  l’enfant à», mais «comment étayer, sécuriser, socialiser, soutenir, accompagner…» (Giampino dans NPS, 2012). Comme enseignante socioconstructiviste, on se reconnait dans cette description de rôle. Les auteurs nous encouragent dans une attention «subtile» «délicate» et respectueuse de l’enfant (de qui il est) et de sa famille.

Alors, avant d’accepter de faire passer un test, analysons bien ce qu’il mesure et ce qu’il demande de l’enfant. Est-ce approprié à pour son niveau de développement ? Le contenu dépasse-t-il les attentes du programme préscolaire québécois? Demande-t-il des pré requis qui ne font pas partie du programme? Touche-t-il à  tous les aspects du développement?  Ou est-il axé presque exclusivement sur les connaissances en lecture et mathématiques? Comment évalue-t-on  l’autorégulation, l’empathie, la créativité, la coopération, l’engagement, l’agentivité, les capacités d’entrer en relations positives, tous ces éléments tout aussi importants que de reconnaître la lettre initiale d’un mot mais plus difficiles à quantifier? Donne-t-il un portrait juste complexe de l’enfant qu’on a devant soi.

 

Conclusion :

Et si nous décidions de d’abord accueillir, sans préjugés,  les enfants, de les écouter, les regarder jouer pour les connaître vraiment,  de leur parler avec bienveillance, de soutenir le développement de leur langage par des conversations signifiantes,  par la lecture de livres jeunesse, d’entretenir leur curiosité et leur créativité par du matériel ouvert, de leur refléter leurs habiletés et de leur donner un peu de temps avant de les soumettre à des tests.  Ils vous surprendront sans doute par leur évolution rapide. Et si,  pour certains enfants, nous éprouvons un doute, un questionnement, une inquiétude : alors, oui, faisons appel aux parents, à d’autres spécialistes du développement et apprentissage de l’enfant et décidons ensemble si une évaluation formelle est nécessaire. Mais appliquer à tous un test en début d’année et continuellement à tous n’est sans doute pas nécessaire et peut être même nuisible. C’est en fait un manque de confiance dans les enfants et quant ils sont imposés par des directions ou autres un manque de confiance dans les enseignantes.

Efforçons nous de « trouver des pistes d’interventions qui s’avèrent offrir une meilleure adéquation en regard de l’apport des neurosciences pour développer des stratégies qui partent des forces de  l’enfant plutôt que de leurs défi (cits)» (Monzée, 2014).

 L’exemple des écoles préscolaires italiennes de Reggio Emilia pourrait nous servir de phare pour comprendre ce que sont des pratiques qui révèlent le véritable  potentiel  de  tous les enfants de cet âge. Leurs façons de documenter pourraient nous renseigner sur comment témoigner de la progression réelle de ceux-ci, sans tomber dans des formes d’enseignement et une accumulation d’évaluations formelles contreproductives. 

Anne Gillain Mauffette,


 Références :

Gueguen, Catherine:

 Vivre heureux avec son enfant (2014), Robert Lafont;

Pour une enfance heureuse : Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau. (2015) Pocket .

 

Hirsh-Pasek , K., Golingoff R.M., Berk L. E., & Singer D.G. (2009). A Mandate for Playful Learning in Preschool. Presenting the evidence. Oxford University Press , dans Zigler (2011) Pre K Debates.


Honoré Carl: Manifeste pour une enfance heureuse, Marabout ,2008


House, Richard (2011): « Too Much too soon? Early learning and the erosion of childhood , Hawthorn Press, Early Learning Series, 2011 (7)

 

Nouvelles pratiques sociales (2012) Hors Série no 1. La prévention précoce en question

 

Marcon, Rebecca A. (2002): Moving up the grades : relationship between preschool model and later school success. Early Childhood Research and Practice, 4 (1)

 

Monzée, Joël:  

Soutenir le développement affectif de l’enfant , CARD, 2014;

J’ai juste besoin d’être compris : Comprendre les comportements dérangeants chez l’enfant et l’adolescent  Le Dauphin Blanc, 2014 b ;

 J’ai juste besoin de votre attention : Aider l’enfant et l’adolescent aux prises avec l’anxiété et le stress, Le dauphin blanc 2016 ; 

Et si on les laissait vivre, Le Dauphin Blanc, 2018.


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