Par Anne Gillain Mauffette
En manipulant les matériaux, l’enfant va apprendre à les connaître : c’est comme un dialogue : je fais ceci, le matériel répond, réagit de telle façon (cause-effet) ce qui m’amène à faire telle autre chose. Il produit des idées. C’est un phénomène interactif. L’enfant transforme le matériau qui le transforme.
En observant l’enfant, on va découvrir le monde intérieur de l’enfant. On peut se poser toutes sortes de questions :
Qu’est-ce qui importe pour l’enfant en ce moment : l’aspect sensoriel, le mouvement, le bien-être, l’esthétique, une émotion?
Quels liens fait-il, quelles histoires raconte-t-il en agissant? Quels rapports avec les autres tisse-t-il? Qu’est-ce qu’il me dit de lui?
Quelles connaissances acquière-t-il? Quels gestes développe-t-il? Quels outils apprend-t-il à maîtriser? Quelles techniques?
Les gribouillis
Les gribouillis consistent en des lignes aléatoires qui vont graduellement se transformer en formes. Chaque enfant va créer des points des lignes, des spirales des escargots, etc.
En représentation graphique, chaque individu fait son propre chemin, exprimant son unicité et ses variations personnelles, tout en étant impliqué dans un processus universel de développement 1 : tous les enfants vont se bâtir un répertoire de formes : les mandalas, les cercles, les triangles, les carrés et de gestes.
Le fait d’offrir des cahiers à colorier arrête le processus de gribouillages des enfants et court-circuite son développement symbolique (voir l’article : Que penser du coloriage? https://jeulibrequebec.blogspot.com/search?q=Que+penser+du+coloriage )
Ce type d’expression est toléré chez les touts petits mais ils sont vite encouragés à passer au « bonhomme» et incités à « ne pas dépasser».
À l’école et même à 4 ans dans les CPE, le dessin représentatif est louangé. Les gribouillages (« barbeaux») sont parfois ridiculisés et facilement jetés.
L’enfant ne devrait pas y avoir le stress de faire quelque chose à un âge défini. L’enfant en ressent un sentiment d’incompétence.1 Il est privé d’un exutoire et d’une forme d’expression.
À cet âge, il doit pouvoir juste faire des lignes et des formes abstraites pour le plaisir du geste.
Parfois, dans leurs gribouillis les enfants représentent des mots et même des émotions, des questionnements.
Exemples :
Photo Anne Mauffette |
Ce dessin n’a l’air de rien mais quand on a été là pour observer et entendre l’enfant de 18 mois qui dit en crayonnant : «Maman, bébé», on comprend qu’avec ces quelques gestes graphiques qu’il possède, il exprime une vraie préoccupation : le rond est le ventre de sa maman et les traits à l’intérieur, le bébé qui s’en vient.
Photo Nona Orbach The good enough studio |
Travailler à la verticale ou à l’horizontale peut amener l’enfant à explorer des gestes différents.
(enfant de 4 ans). Nona Orbach : Thegood enough studio
L’enfant reprend des mouvements circulaires, en changeant de couleur.
Les gribouillis sont à la fois la joie de faire des traces, celle du mouvement mais aussi une communication. Le mouvement plus ou moins énergique, peut être cette communication. Il y a un plaisir physique dans cette activité.
Des traces dans le sable sur la table lumineuse
Photo Anne Mauffette |
«Les représentations de l’enfant que ça soit en dessin ou en peinture suivent un cheminement graduel qu’ il est important de connaitre et de respecter» (Dominique Carreau).
Les enfants vont naturellement évoluer et faire à un moment donné une forme fermée et faire un ou des cercles, une mandala (un cercle avec un dessin d’une croix à l’intérieur), un carré, un triangle. Puis vont les agencer et passer au stade pré schématique (4 à 7 ans) puis schématique (7 à 12 ans). Un cercle et des lignes va représenter le soleil ou un personnage; un triangle sur un carré, une maison, etc.
Voir aussi l’article : Jouer avec les lignes, ces précurseurs de l'écriture: https://jeulibrequebec.blogspot.com/2021/08/jouer-avec-les-lignes-ces-precurseurs.html
«On a besoin de gribouiller toute sa vie, ce n’est pas simplement une phase de la petite enfance» (Roberta Pucci ). Des artistes adultes s’en inspirent d’ailleurs.
Daniel Lahaie Pierre Bourgault |
Il est important d’offrir aux enfants des matériaux qui permettent ses explorations, ses « gribouillis» : dans le sable, la peinture ou tout autre type d’expériences qui libèrent l’enfant de l’obligation de faire quelque chose. (Photos tirées d’un document de Dominique Carreau)
La peinture digitale :
C’est une peinture à laquelle on a ajouté de la glycérine. Son onctuosité la rend facile d’emploi. On n’a pas besoin d’outils. On utilise du papier glacé (type peinture tactile, du papier ciré ou de congélation, du papier bulle, des acétates). On peut aussi travailler sur du plexiglas, du verre, des stratifiés (Formica, Arborite).
On peut la préparer soi-même :
1. 1 tasse de colle à tapisserie délayée à une consistance légèrement plus épaisse que désirée
¼ de tasse de gouache liquide
¼ de tasse de savon liquide (type savon à vaisselle)
2. 1 tasse de colle à tapisserie délayée à une consistance plus épaisse que désirée
¼ de tasse de couleur en poudre
¼ de tasse d’empois liquide
¼ de tasse de savon liquide
Photo et vidéo Anne Mauffette https://youtu.be/tvE3LQE4tDQ
Dans cette première vidéo, l’enfant n’ose d’abord tremper que qu’un petit doigt puis un autre pour finir par y mettre toute la main. Il est plus intéressé par la sensation tactile : «c’est mou», visuelle (c’est comme des gants) et même sonore (ça fait proutch). C’est la texture qui l’intrigue. Il éprouve une nouvelle sensation.
Il a fait une association (C’est comme des gants, des mitaines). Il résume bien la situation : « je joue dedans».
Dans cette deuxième vidéo : c’est le mouvement qui prime et la sensation de bien-être qui en découle, plus encore que le mélange des couleurs. Au départ : une discussion sur les couleurs de Noël. Les enfants disent que ce sont le rouge et le vert. Ce sont les couleurs que les deux filles ont choisies. C’est aussi le travail à deux qui encourage les discussions. Et le plaisir de voir apparaître des lignes sous ses doigts. Ce n’est qu’après un long temps à faire des spirales et autres lignes que les enfants vont finalement, en réponse à la question de l’adulte : «pouvez-vous chanter en même temps que vous dessinez?», chanter et représenter des personnages (Sainte Lucie et ses chandelles, une tradition scandinave) et puis sous l’influence de la chanson de l’adulte (un cerf dans une grande maison) vont dessiner des maisons.
Vidéo Suzanne Axelsson : https://youtu.be/5p1KRsapXCY
Peinture sur la table lumineuse :
«Hier, les enfants étaient invités à faire de la peinture à doigts sur la table lumineuse. Les enfants ont exploré la texture de la peinture à doigts qui est différente de la gouache. Également, les enfants ont pu observer la lumière qui passait au travers de la peinture lorsque ils l’étendaient. Les enfants ont également étendu de la peinture sur leurs jambes et leurs pieds» (Guylaine Painchaud).
Photos©Guylaine Painchaud. Garderie Imagine |
Les jeunes enfants sont en pleine période de découverte de soi, des autres et du monde. Laissons leur la chance d’accumuler ces expériences fondamentales.
Références :
1. Roberta Pucci (Italie) The grammar of Matter: Voir son site: RobertaPucciLab
Ses textes: Why do teachers hate mess
2. Suzanne Axelsson (Suède): Voir son site Interaction Imagination
- The soothing nature of scribbles
- Drawing as an act of democracy
3. Nona Orbach (Israel) : Voir son site The good enough studio
Ses livres: The good enough studio et The spirit of matter
Ses textes:
- Why are adults so involved in children’s drawings?
- Why do kindergarten children Stop Scribbling?
Ses videos: A four year old scribbling
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