mercredi 2 mars 2022

Expérimenter avec les matériaux, deuxième partie: Gribouillis et Peinture digitale

 Par Anne Gillain Mauffette


Pour voir la partie précédente:

 

En manipulant les matériaux, l’enfant va apprendre à les connaître : c’est comme un dialogue : je fais ceci, le matériel  répond, réagit de telle façon (cause-effet) ce qui m’amène à faire telle autre chose. Il produit des idées. C’est un phénomène interactif. L’enfant transforme le matériau qui le transforme.

En  observant l’enfant, on va découvrir le monde intérieur de l’enfant. On peut se poser toutes sortes de questions :

 Qu’est-ce qui importe pour l’enfant en ce moment : l’aspect sensoriel, le mouvement, le bien-être, l’esthétique, une émotion?

Quels liens fait-il, quelles histoires raconte-t-il en agissant? Quels rapports avec les autres tisse-t-il? Qu’est-ce qu’il me dit de lui?

Quelles connaissances acquière-t-il? Quels gestes développe-t-il? Quels outils apprend-t-il à maîtriser? Quelles techniques?

 

Les gribouillis


Photo©Suzanne Axelsonn, InteractionImagination  


Les gribouillis consistent en des lignes aléatoires qui vont graduellement se transformer en formes. Chaque enfant va créer des points des lignes, des spirales des escargots, etc.


En représentation graphique, chaque individu fait son propre chemin, exprimant son unicité et ses variations personnelles, tout en étant impliqué dans un processus universel de développement 1 : tous les enfants vont se bâtir un répertoire de formes : les mandalas, les cercles, les triangles, les carrés et de gestes.

Le fait d’offrir des cahiers à colorier arrête le processus de gribouillages des enfants et court-circuite son développement symbolique (voir l’article : Que penser du coloriage?  https://jeulibrequebec.blogspot.com/search?q=Que+penser+du+coloriage )


Ce type d’expression est toléré chez les touts petits mais ils sont vite encouragés à passer au « bonhomme» et incités à « ne pas dépasser».

À l’école et même à  4 ans dans les CPE, le dessin représentatif est louangé. Les gribouillages (« barbeaux») sont parfois ridiculisés et facilement jetés.

L’enfant  ne devrait pas y avoir le stress de faire quelque chose à un âge défini. L’enfant en ressent un sentiment d’incompétence.1 Il est privé d’un exutoire et d’une forme d’expression.

À cet âge, il doit pouvoir juste faire des lignes et des formes abstraites pour le plaisir du geste.

 Créer une image et une signification verbale est perçu dans notre société comme un niveau cognitif plus élevé. On a une échelle comparative dans notre tête par rapport aux productions des enfants. Ceci nous pousse à encourager un enfant qui a fait une forme fermée à dessiner un personnage même s’il n’en avait pas encore l’envie. On accélère le processus par des démonstrations, des louanges et des suggestions. 1

 Pourtant, «les gribouillis sont les racines qui nourrissent  le dessin,  l’écriture et l’expression des émotions et des opinions». 1 Ils peuvent être énergiques, démontrer de la colère, etc.

Parfois, dans leurs gribouillis les enfants représentent des mots et même des émotions, des questionnements. 

Exemples :


Photo Anne Mauffette

Ce dessin n’a l’air de rien mais quand on a été là pour observer et entendre l’enfant  de 18 mois qui dit en crayonnant : «Maman, bébé», on comprend qu’avec ces quelques gestes graphiques qu’il possède, il exprime une vraie préoccupation : le rond est le ventre de sa maman et les traits à l’intérieur, le bébé qui s’en vient.



 Cette petite fille fait des tracés de haut en bas. Elle observe les effets de ses gestes et du crayon de cire. Elle écoute les bruits ambiants dont ceux faits par son outil.

Photo Nona Orbach The good enough studio

Travailler à la verticale ou à l’horizontale peut amener l’enfant à explorer des gestes différents.

 

(enfant de 4 ans). Nona Orbach : Thegood enough studio


L’enfant reprend des mouvements circulaires, en changeant de couleur.

Les gribouillis sont à la fois la joie de faire des traces, celle du mouvement mais aussi une communication. Le mouvement plus ou moins énergique, peut être cette communication. Il y a un plaisir physique dans cette activité.

Des traces dans le sable sur la table lumineuse

Photo Anne Mauffette







«Les représentations de l’enfant que ça soit en dessin ou en peinture suivent un cheminement graduel qu’ il est important de connaitre et de respecter» (Dominique Carreau).

Les enfants vont naturellement évoluer et faire à un moment donné une forme fermée et faire un ou des cercles, une mandala (un cercle avec un dessin d’une croix à l’intérieur), un carré, un triangle. Puis vont les agencer et passer au stade pré schématique (4 à 7 ans) puis schématique  (7 à 12 ans).  Un cercle et des lignes va représenter le soleil ou un personnage;  un triangle sur un carré, une maison, etc.

Voir aussi l’article : Jouer avec les lignes, ces précurseurs de l'écriture: https://jeulibrequebec.blogspot.com/2021/08/jouer-avec-les-lignes-ces-precurseurs.html

 

«On a besoin de gribouiller toute sa vie, ce n’est pas simplement une phase de la petite enfance» (Roberta Pucci ).  Des artistes adultes s’en inspirent d’ailleurs.

Daniel Lahaie                                    Pierre Bourgault

Il  est important d’offrir aux enfants des matériaux qui permettent ses explorations, ses « gribouillis» : dans le sable, la peinture ou tout autre type d’expériences qui libèrent l’enfant de l’obligation de faire quelque chose. (Photos tirées d’un document de Dominique Carreau)

 

La peinture digitale :

C’est une peinture à laquelle on a ajouté de la glycérine. Son onctuosité la rend facile d’emploi. On n’a pas besoin d’outils. On utilise du papier glacé (type peinture tactile, du papier ciré ou de congélation, du papier bulle, des acétates). On peut aussi travailler sur du plexiglas, du verre, des stratifiés (Formica, Arborite).

On peut la préparer soi-même :

1.       1 tasse de colle à tapisserie délayée à une consistance légèrement plus épaisse que désirée

¼ de tasse de gouache liquide

¼ de tasse de savon liquide (type savon à vaisselle)

2.       1 tasse de colle à tapisserie délayée à une consistance plus épaisse que désirée

¼ de tasse de couleur en poudre

¼ de tasse d’empois liquide

¼ de tasse de savon liquide

 

Photo et vidéo Anne Mauffette https://youtu.be/tvE3LQE4tDQ

Dans cette première vidéo, l’enfant n’ose d’abord tremper que qu’un petit doigt puis un autre pour finir par y mettre toute la main. Il est plus intéressé par la sensation tactile : «c’est mou», visuelle (c’est comme des gants) et même sonore (ça fait proutch). C’est la texture qui l’intrigue. Il éprouve une nouvelle sensation.

 Il a fait une association (C’est comme des gants, des mitaines). Il résume bien la situation : « je joue dedans».

Dans cette deuxième vidéo : c’est le mouvement qui prime et la sensation de bien-être qui en découle, plus encore que le mélange des couleurs. Au départ : une discussion sur les couleurs de Noël. Les enfants disent que ce sont  le rouge et le vert. Ce sont les couleurs que les deux filles ont choisies. C’est aussi le travail à deux qui encourage les discussions. Et le plaisir de voir apparaître des lignes sous ses doigts. Ce n’est qu’après un long temps à faire des spirales et autres lignes que les enfants vont finalement, en réponse  à la question de l’adulte : «pouvez-vous chanter en même temps que vous dessinez?»,  chanter et  représenter des personnages  (Sainte Lucie et ses chandelles, une tradition scandinave) et puis sous l’influence de la chanson de l’adulte (un cerf dans une grande maison)  vont dessiner des maisons.

Vidéo Suzanne Axelsson : https://youtu.be/5p1KRsapXCY

Peinture sur la table lumineuse :

«Hier, les enfants étaient invités à faire de la peinture à doigts sur la table lumineuse. Les enfants ont exploré la texture de la peinture à doigts qui est différente de la gouache. Également, les enfants ont pu observer la lumière qui passait au travers de la peinture lorsque ils l’étendaient. Les enfants ont également étendu de la peinture sur leurs jambes et leurs pieds» (Guylaine Painchaud). 


Photos©Guylaine Painchaud. Garderie Imagine




Un enfant  s’engage pleinement quand il explore avec tous ses  sens, son corps et son esprit. Il s’agit d’une expérience holistique qui contient plusieurs dimensions : physique, émotive, cognitive et sociale ainsi que les besoins de l’enfant, ses buts, se histoires, ses questions.1  
Nous en avons une magnifique démonstration ci-dessus. Les enfants observent avec étonnement les effets de leurs actions et de cette substance. Leur intérêt est évident. Ils sont pleinement dans l'expérience.

Les jeunes enfants sont en pleine période de découverte de soi, des autres et du monde. Laissons leur la chance d’accumuler ces expériences fondamentales.

 

Références :

1.       Roberta Pucci (Italie) The grammar of Matter: Voir son site: RobertaPucciLab

Ses textes:  Why do teachers hate mess

 

2.       Suzanne  Axelsson (Suède): Voir son site Interaction Imagination

 Son blog: ses textes :

-           The soothing nature of  scribbles

-           Drawing as an act of democracy

 

3.       Nona Orbach (Israel) : Voir son site The good enough studio

       Ses livres: The good enough studio et The spirit of matter

Ses textes:

-          Why are adults so involved in children’s drawings?

-          Why do kindergarten children Stop Scribbling?

Ses videos: A four year old scribbling

 

Pour voir la troisième partie: La Colle et le Ruban adhésif: https://jeulibrequebec.blogspot.com/2022/03/experimenter-avec-les-materiaux_70.html

Pour imprimer cette deuxième partie en Format PDF:https://drive.google.com/file/d/1JAPtUDSJQS20GIkcjWkgfX2u8GIy5Mhu/view?usp=sharing

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