Par Anne Gillain Mauffette
Pouvez-vous imaginer
une ville où on donnerait priorité aux enfants et aux familles?
A la suite
de Reggio Emilia, plusieurs villes italiennes «ont opéré une ‘véritable
révolution’ pédagogique» dans leurs écoles maternelles. Mais en plus, à
Pistoia, on a ajouté des centres communautaires (Aree bambini ), spécialisés dans certains domaines (artistiques,
littérature, nature), animés par des enseignantes. On a aussi mis en place un
accueil et un accompagnement personnalisé et respectueux des nouveaux arrivants.
Des projets et fêtes sont organisés pour la collectivité, en collaboration avec
les écoles. On a également créé une signalisation claire et ludique dans la
ville et ses institutions pour les parents et les enfants.
Parmi
les caractéristiques de l’organisation municipale on retrouve:
-
L’image
d’un enfant créatif dont on peut s’émerveiller
-
Un
pari positif sur les potentialités de tous (enfants et adultes)
-
Une
image de familles « riches» qui fait écho à celle des ressources des enfants
-
La
valorisation de l’identité des enfants
-
Un
souci d’assurer à l’enfant une continuité entre la vie chez lui et dans le
milieu éducatif
-
L’aménagement
d’espaces et de situations soigneusement pensé pour cultiver ces potentialités
et les relations entre tous
-
La
prise en compte de ce que disent, pensent et ressentent les différents
protagonistes dont les petits
-
Des
structures éducatives chaleureuses et des aires de jeu communautaires comme de
petits laboratoires pensés dans la lignée des pédagogies actives
-
La pratique de la documentation
-
L’impératif
de l’inclusion et de la participation de tous
-
Une
approche ouverte à l’altérité
-
Des
coordonnatrices pédagogiques
-
Des
groupes de recherches-actions-formations
-
Des
stratégies pour faciliter la
participation des familles migrantes dans les structures
Cela parait
trop beau pour être vrai et pourtant grâce à
une continuité de choix politiques de la part de la municipalité :
défense soutenue des droits des enfants, lien étroits avec la recherche,
engagement dans des réseaux régionaux, nationaux et internationaux, ils ont
réussi à créer une ville et des écoles amiables et accueillantes.
Regardons de
plus près leurs valeurs et les moyens pour les mettre en action.
Le
projet éducatif
« Notre
projet éducatif, dit Anna Lia Galardini, a pour objectif de permettre aux
nombreuses ressources de l’enfant - sa curiosité, sa volonté de donner du sens à la réalité qui l’entoure -
de trouver un environnement propice à leur déploiement.»
«Nous sommes à l’opposé des pratiques
évaluatrices quantifiantes, catégorisantes, hiérarchisantes que l’on cherche à
imposer ailleurs au personnel de la petite enfance…»
Le jeu,
stimulé par la qualité des matériaux et l’organisation de l’espace et du temps,
est l’activité principale, à travers laquelle les enfants font des expériences
et développent leur pensée.
La documentation
Même si on
est frappés pas la beauté de la documentation, il «ne s’agit pas de décorer les
murs mais de renvoyer l’image que l’on défend des enfants, de partager des expériences,
d’inviter à participer». « Des murs qui parlent» pour mettre les capacités des
enfants en valeur. On montre que «tous les moments de la journée comptent» et
que «la quotidienneté a de la valeur»
« Les
équipes saisissent au jour le jour, les images fortes, émouvantes, des enfants,
des parents aussi, sélectionnent les plus significatives puis les restituent
sous différentes formes» :
- de grands panneaux,
- un journal de
bord hebdomadaire des sections qui relate l’expérience du groupe et que les
parents peuvent consulter et qui sera revisité tous les mois;
- des livres photos individuels et collectifs
(consultés aussi par les enfants),
- les «cahiers structure-maison» réalisés avec
les parents qui servent d’objets passerelles;
- les «boîtes de vacances» qui créent un raccord
entre la fin d’une année et le début d’une autre;
- un livre de l’enfant (une sorte de biographie)
est tenu à partir du premier jour et consulté régulièrement par les parents
puis remis aux parents à son départ.
Ils mettent ces paroles «en écho avec d’autres
voix » (Van Gogh, Montaigne, Pennac etc.) et partagent le tout «pour engager de nouveaux
échanges».
«Si les murs, les journaux et autres documents rendent visibles aux parents l’expérience des enfants, les traces des familles y sont également nombreuses dans l’environnement».
Les enfants
peuvent apporter leurs trésors de la maison.
Les
environnements des crèches, des écoles maternelles et des centres
communautaires
«Il existe
un rapport étroit entre aménagement de l’espace et la qualité des
apprentissages.»
« L’espace n’est pas un ‘contenant’ amorphe
mais un contexte qui permet ou empêche.»« La qualité des structures éducatives
(va) contribuer de façon décisive au développement des potentialités de
chacun». La création des lieux « passe par du beau, du doux, du gai.» Le
matériel n’est pas «dicté par les catalogues, mais méticuleusement choisi,
souvent ‘fait maison’.» Il suggère «de multiples pistes de jeu et
d’expérimentation.» On y note une attention au détail.
Ces espaces sont des lieux
d’expériences conçus pour «susciter la curiosité», «inviter les enfants à
s’auto-organiser dans le jeu», «favoriser et soutenir les apprentissages»,
«solliciter l’imagination des enfants», «développer l’autonomie».
«Les crèches, maternelles et aree bambini se présentent comme des espaces où l’on peut ‘faire’» : «des sollicitations y attirent le regard, les mains et les gestes des enfants.»
Ce sont des lieux qui montrent les compétences des enfants, sur les plans cognitif et social, leurs amitiés, leur curiosité, leurs jeux avec les possibles et qui créent un sentiment d’appartenance ce qui favorise la participation et la responsabilité envers ce lieu.
L’attachement affectif de l’enfant
aux lieux où il fait des expériences dans la durée constitue une partie de son
identité.
Les
aree bambini sont des centres qui
coexistent avec les autres milieux éducatifs et que les enseignantes fréquentent
avec les enfants de leurs groupes le matin et qui sont ouverts aux parents avec
leurs enfants l’après midi.
Dans l’Area Verde, les enfants explorent la nature dans les champs qui l’entourent et dans une grande serre. À l’Area Blu, il s’agit de projets artistiques liés à des thèmes en rapport avec les intérêts (ex.: les vitrines et la mode) et préoccupations du moment des enfants (ex. : les maladies) ou des suggestions de partenaires. Il y a aussi un centre tout en douceur (La maison des ours) pour les poupons et les plus jeunes. Ce sont des enseignantes chez qui on a décelé «des potentiels artistiques, scientifiques ou narratifs» qui animent ces lieux.
Les
coordonnatrices pédagogiques et la formation:
Employées de la ville, elles cherchent «à
soutenir dans chaque structure les cheminements propres» et à tisser des
réseaux entre les structures éducatives. Elles
encouragent le développement personnel autant que professionnel de
chaque enseignante, organisant des groupes et des voyages d’études, des
conférences, etc. Elles favorisent la solidarité entre les différents
protagonistes qui se sentent partie prenante d’un dessein commun.
Elles
organisent plusieurs rencontres de haute qualité par année. Elles ont aussi
rapproché les enseignantes des chercheurs, des universitaires et des artistes.
La formation se donne en plus par la participation à des recherches actions qui
impliquent parfois l’ensemble du personnel. «On cherche à générer une attitude de recherche dans la
pratique quotidienne à partir de l’expérience concrète».
Les
enseignantes participent aussi à des événements nationaux et internationaux.
Le
respect des enseignantes/éducatrices
On encourage
les enseignantes à être elles-mêmes et à apporter au milieu «la valeur de
(leur) individualité et de (leurs) ressources pour alimenter la qualité
éducative, grâce à la subjectivité (des) personnes». Aussi chaque crèche ou
école maternelle, partageant une même idée de l’enfance et de l’éducation, a
des particularités qui reflètent la sensibilité et le style des personnes qui y
travaillent.
«Elles ne
sont pas des exécutantes d’un ‘faire, pensé par d’autres, pour elles’.»
Le rôle de
l’enseignante n’est pas de transmettre le savoir, elle offre les conditions
pour la connaissance mais aussi pour le bien-être, les relations, les actions
partagées entre enfants et adultes.
En maternelle, deux enseignantes
travaillent ensemble dans la même classe.
Elles ont six heures par semaine sans
les enfants pour pouvoir documenter ou se former, discuter, mais n’ont pas de
véritables pauses dans la journée et prennent leur dîner avec les enfants. Il y
a aussi des réunions le soir ou les fins de semaine.
Elles
travaillent sans personnel de direction.
«Le personnels des crèches et des maternelles ont le même
profil professionnel ce qui permet de la mobilité entre les différents types de
structure ainsi que l’unité et la continuité entre celles-ci. Elles ont partout
les mêmes horaires de travail et bénéficient d’une formation continue en partie
spécifique et en partie commune».
Le
respect des parents
Des parcours
particuliers ont été inventés pour les familles migrantes, où elles font des
rencontres avec toutes sortes de ressources, tout en sortant de leur isolement
et établissant de nouveaux réseaux. Ce n’est pas un modèle de transmission mais
bien de constructions de significations mutuelles. Des projets prennent forme
où les parents sont encouragés à formules «des actions concrètes que les
structures pourraient mettre en œuvre». Ils sont eux aussi, invités à s’engager
avec leurs multiples talents.
- La ville et ses habitants
Des projets comme « Pistoia amie des enfants» ou «Par la main» ont pour but de «faire connaître la ville aux enfants et aux parents : « leur faire découvrir ou redécouvrir leur espace urbain»… « aimer leur riche patrimoine, les amener à dialoguer avec « les anciens» et «les professionnels des musées où ils sont accueillis à bas ouverts». «Les parents sont impliqués afin qu’ils développent ou renforcent leur attachement avec les lieux et les personnes rencontrées».
- Hors les murs
Nombre de projets amènent les enfants à faire des parcours en dehors de la ville pour vivre de riches expériences.
Un
projet de pédagogie sociale
La
ville a créé «une vision d’ensemble avec
un projet pédagogique et culturel pour l’enfance…». Une vision systémique et un
travail en réseau « a donné vie à une communauté de professionnelles dont les
membres sont liés par les mêmes objectifs et une même passion». La coordination
pédagogique estime que «l’éducation concerne toute la communauté» et ont
impliqué des pédiatres, psychologues, assistantes sociales, les enseignants des
autres cycles, les intervenants culturels et d’autres encore».
Conclusion
Dans
l’ensemble de ces lieux éducatifs, on constate une vraie culture de l’hospitalité,
un esprit caractérisé par « la générosité, l’exigence et l’enthousiasme des
équipes». Mais de la fierté aussi. Collégialité, tranversalité, dans et entre les différentes structures, sont les
mots d’ordre.
C’est donc «
dans un engagement fort du service municipal, des coordonatrices pédagogiques
et des équipes des structures que se construit au quotidien l’alliance
éducative dans chaque lieu, voulu comme lieu de dialogue entre les cultures
familiales et institutionnelles et comme lieu d’exercice de la citoyenneté».
Qui dit mieux?
Dommage que
nos dirigeants ne lisent pas ce livre, cela pourrait leur donner des idées. En
attendant, à nous de jouer. Que pourrions-nous faire pour appliquer certaines
de ces mesures? À chacun de trouver sa réponse.
Références :
1. Pistoia
Une culture de la petite enfance (2020). Ana lia Galardini, Donatella Giovanni,
Sonia Iozzelli, Antonio Mastio, Maria Laura Contini, Sylvie Rayna. Édition érès
2.
L’imaginario : bambino ; Le esperienze educative del Comune di
Pistoias nei disegni nella grafica di Andrea Rauch de 1979-1999, edizioni
junior. Édition 2003.
* Note : La plupart des photos sont tirées de la conférence de Madame Anna Lia Galardini (Les éléments de la qualité éducative dans les services de la petite enfance, une expérience italienne) et de celle de Sylvie Rayna (Regards sur l’éducation de la petite enfance à Pistoia : quelles inspirations?); conférences organisées par l'équipe de recherche Qualité Petite enfance sous le titre de «L'approche de Pistoia en éducation à la petite enfance», le 4 septembre 2014 à l'UQAM. Les deux conférences sont disponibles à: https://qualitepetiteenfance.uqam.ca/ dans En vidéo/voir toutes les capsules ou sur Viméo: https://vimeo.com/111743430 et https://vimeo.com/111743431
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