Par Anne Gillain Mauffette
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B - Deuxième situation de jeu – G. (février)
G. a eu 6 ans en janvier et est à la maternelle depuis septembre.
Nous avons joué – à sa suggestion – à l’épicerie. Il est le propriétaire et caissier du magasin. Moi je serai la cliente. Je vais chercher une poupée qui sera ma petite fille.
« Voilà ton porte-monnaie », me dit-il en me tendant plein de billets avant d’entreprendre le jeu.
Je mets ma petite fille dans le panier à épicerie.
Quand je l’interroge sur la disponibilité d’un produit, il me répond :
« Vous trouverez cela dans la rangée 5. »
Il m’avertit que tous ses produits sont très chers parce qu’il est pauvre et qu’il doit faire de l’argent pour nourrir ses enfants. Je lui réponds que je vois que ses produits sont très frais et biologiques et que je suis prête pour la santé de ma petite fille à payer plus cher. Je lui demande :
« D’où viennent vos produits, du Mexique ou de Californie?
— D’un grand potager (ils en ont un à la maison). C’est un homme très riche qui a un grand potager. »
Je trouve de la pâte à modeler et fabrique en vitesse carotte et haricots. Je les lui amène et lui demande de les peser pour me dire combien cela coûte.
Je lui demande ensuite de mettre cela dans des petits sacs et me dire combien je lui dois.
« Cela coûte tant ! » dit-il, en pianotant sur la caisse, sans préciser de nombre mais regardant le total affiché.
Je lui demande :
« Est-ce que je peux payer avec ma carte de crédit ?
— Oui. » Il la passe dans la machine. Je m’apprête à partir, mais il me répète :
« Cela fait tant.
— Mais je vous ai déjà payé avec ma carte.
— Mais cela fait tant. » répète-t-il.
Je lui explique alors que la carte remplace l’argent, qu’ensuite la banque qui va dire que cette dame doit tant à cet épicier et va le payer.
« Ah bon. » dit-il.
Il m’invite à revenir « le lendemain ». J’y retourne. Cette fois, j’achète du riz, des pâtes et des haricots rouges secs (qui sont dans les petits tiroirs de l’épicerie.
Il me demande combien j’en veux et les ensache tout de suite.
« C’est cinq dollars. » me dit-il.
Cette fois je paie comptant. Je lui tends un billet de dix dollars et lui demande de m’en remettre un de cinq. Mais à la dernière minute, je veux rajouter une crème glacée pour ma petite fille. Je lui dis qu’elle adore la crème glacée. Il me répond :
Je veux le payer avec des pièces. Il me dit :
« C’est gratuit. »
Je le remercie de sa générosité, mais le questionne. Il m’explique que beaucoup de clients sont venus acheter ses produits chers et que maintenant il est riche. Juste avant de partir, il me fait cadeau d’un collier de grosses perles de verre.
« Mais vous êtes trop gentil ! » lui dis-je.
Il me dit que si je reviens le lendemain, il pourra me faire un cadeau encore plus gros.
Pendant que je fais semblant de cuisiner mon souper sur le petit poêle, il frappe à ma porte (imaginaire) et me dit qu’il vient me faire une petite visite. Il répète son invitation pour « le lendemain ».
Je reviens donc une troisième fois. Cette fois j’achète de la soupe aux épinards (le mélange vert foncé qu’il a fabriqué la dernière fois et que j’ai mis dans un bocal) et des œufs. J’ai le droit cette fois à une autre prime. Il s’approche en faisant semblant de porter une boîte très lourde. Il me la donne et je la dépose sur mon panier. Je lui demande ce qu’il y a dedans et il répond :
« C’est un trésor comme ceux des pirates avec de l’or et des colliers.
— Oh, je suis très surprise, c’est trop. D'où viennent ces pierres précieuses ? Elles ne sont pas volées, j’espère.
— Non, c’est moi qui vais les chercher à travers le monde. Je les trouve dans l’eau partout. (Son petit frère a versé dans notre bac à eau ce matin tous les « cailloux » de verre de couleur que nous avons).
— Oh! Vous faites de la plongée sous-marine. Il s’agit donc de trésors de bateaux échoués. » dis-je.
Avant de quitter le magasin, je lui demande s’il n’a pas un comptoir où on peut acheter un repas tout fait. Je pense qu’il va peut-être me préparer quelque chose en mélangeant du sable et autres matériaux disponibles. Il me mène plutôt dans un coin et prend des blocs de plastique « Bristle » (avec lesquels il ne joue jamais) pour me faire un sandwich, une bouteille d’eau et du jus d’orange. J’achète aussi un morceau de fromage (il choisit un triangle « Bristle » pâle).
Je lui dis que je vais aller le manger dans le parc (dans le coin des blocs où sont installés en ce moment le petit trampoline et le tourniquet).
« Je peux vous accompagner, me demande-t-il ?
— Avec plaisir. » Je sors mon sandwich du sac et lui demande :
« C’est au saumon ?
— Non, au thon.
— Il est délicieux. »
Il aperçoit deux cylindres de plastique, les prend et m’annonce qu’il va pêcher de la truite (j’imagine qu’il fait une association avec le poisson dans le sandwich). Je lui demande (pour lui rappeler le scénario) :
« Alors, le parc serait près d’une rivière? »
Il me dit que oui, part à la pêche et revient. Je lui propose qu’on utilise peut-être des blocs en bois pour faire un feu. Il ignore ma suggestion et dit :
« Voilà, en me tendant sa prise (rien).
— Il va falloir les cuire, lui dis-je. »
Je savais que des papiers de soie déchirés par ses cousines la semaine d’avant trainaient tout près. J’ajoute :
« Sur le feu, là peut-être ? » en les lui montrant du doigt.
Il les assemble rapidement en un petit tas, mais je sens qu’il s’en serait passé et jette les truites imaginaires sur le feu.
« C’est prêt, déclare-t-il. Comment vais-je les enlever du feu? Avec un bâton? Avec une pique (imaginaire) : voilà votre brochette. »
Il me la tend, mais ses mains sont vides. Il déclare :
« Je vais aller à la chasse, à la chasse au cerf ! (Par association avec la pêche, j’imagine).
— Oh! Pourquoi ?
— Pour rapporter un trophée de chasse. »
Puis il change d’idée :
« À la chasse au rhinocéros.
— Il y en a par ici ? dis-je.
— Oui.
— Pourquoi chasser le rhinocéros ? demande-je, pour approfondir le jeu.
— Pour un trophée de chasse. »
Il utilise les cylindres comme lunettes d’approche. Je lui demande :
« Oh ! mais qu’allez-vous faire du reste de l’animal ?
— On va le manger.
— Cela se mange ?
— Oui, j’en ai déjà mangé et c’est délicieux. Mais… attention ! Plein de guêpes qui foncent sur nous.
— Il nous faudrait quelque chose, dis-je, pour nous protéger, comme une moustiquaire ou quelque chose.
— Ne vous inquiétez pas, je tire tellement rapidement que je vais toutes les attraper. »
Il utilise les deux cylindres comme fusil. Il vise de tous côtés. Il précise :
« Il y en a quelques-unes qui se sont échappées!
— J’ai ce qu’il faut ! dis-je en prenant une couverture ajourée qui était juste à côté. Je vais pouvoir protéger ma fille (poupée) et moi-même. »
Il propose un autre développement.
« On dirait qu’on serait retourné à l’épicerie et qu’elle aurait pris en feu. »
Nous revenons dans le coin épicerie.
« Ça sent le feu. Il faut sortir ! » crie-t-il.
Je sors en courant avec ma poupée dans mes bras, laissant tout derrière moi.
« Je retourne dans le feu chercher toutes vos affaires, me dit-il.
— Non, c’est trop dangereux ! »
Il se précipite quand même et revient :
« Tenez, dit-il, en présentant ses mains vides.
— Comme vous êtes courageux! Mais quelle catastrophe! Avez-vous appelé le 911 pour les pompiers ?
— Je n’ai pas de téléphone.
— Et moi j’ai oublié mon cellulaire, dis-je. Vous n’aviez pas d’avertisseur de fumée, d’extincteur ou de gicleurs ?
— Ils étaient brisés. Ce n’est pas grave, je vais tout reconstruire. »
Il ajoute sur un autre ton :
« On dirait que c’est tout reconstruit. »
Nous revenons donc dans l’épicerie. Je dis :
« Mais c’est magnifique d’avoir pu tout reconstruire comme avant et si rapidement.
— C’est les gens qui venaient à l’épicerie qui m’ont aidé à reconstruire.
— Comme c’est beau cette entraide. »
Le jeu s’est arrêté par l’arrivée de son papa.
« Oh ! » dit G. d’un air déçu.
Cette improvisation continue, où chacun réagit à ce que dit l’autre, ce dialogue a duré au moins quarante-cinq minutes. C’est assez impressionnant pour un petit garçon qui a plutôt tendance à changer facilement d’activité.
Suite: Analyse de la séquence de jeu de G.
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